Un banc de thons rouges au large des côtes espagnoles.

Pauvre Mare nostrum

La première étude mondiale sur l'état des océans, de l'Arctique à l'Antarctique en passant par les mers tropicales, livre un verdict alarmant : la Méditerranée est la mer la plus menacée au monde.

Publié le 3 août 2010 à 11:31
Un banc de thons rouges au large des côtes espagnoles.

La liste des ultimatums semble interminable. Destruction de l'habitat, surpêche effrénée, pollution, réchauffement de la planète et déversement massif d'engrais agricoles et d'eaux usées frappent de plein fouet les quelque 17 000 espèces vivant dans la Méditerranée. “Et ces menaces vont probablement s'aggraver à l'avenir, en particulier celles liées au changement climatique et à la dégradation de l'habitat”, estime une des coordinatrices de l'étude, Marta Coll, chercheuse pour le CSIC [équivalent espagnol du CNRS français] à l'Institut des Sciences de la mer (ICM) de Barcelone.

Et les dangers se multiplient. Selon ces nouvelles recherches, qui s'intègrent dans le projet international de Recensement de la vie marine, des légions de plus de 600 espèces “étrangères” ont envahi la grande bleue. Plus de la moitié viennent de la mer Rouge et sont entrées par le canal de Suez. D'autres (22 % du total) ont fait le chemin avec des bateaux depuis d'autres régions du monde. Et une sur dix provient d'“évasions” de fermes d'aquaculture.

Les conséquences de la présence de ce envahisseurs en Méditerranée sont difficiles à mesurer. Les auteurs de l'étude, publiée le 2 août dans la revue scientifique PLoS ONE, rappellent le cas de la méduse Mnemiopsis leidyi, arrivée en bateau dans les eaux européennes depuis le nord-ouest de l'Atlantique et qui, en 2009, s'est répandue d'Israël à l'Espagne. Dans les années 1980, cette méduse avait fait des ravages en mer Noire et provoqué un effondrement de la population d'anchois et de lourdes pertes économiques.

Nombre de ces espèces invasives proviennent de mers tropicales et sont favorisées par le réchauffement de l'eau. Dans les années 1980, la température des eaux de surface sur la côte méditerranéenne oscillait entre 16,25 °C dans la partie ouest et 22,75 °C à l'est. Or les scientifiques estiment que vers 2050, cette température dépassera dans certaines zones les 24 °C, souligne Bhavani Narayanaswamy, la porte-parole pour l'Europe du projet Census of Marine Life, qui vise le recensement de la vie marine.

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Parmi les espèces les plus menacées en Méditerranée figurent les coraux des eaux froides et profondes. Ils sont incapables de fuir le réchauffement des eaux, et leurs populations sont en diminution”, déplore Narayanaswamy, qui redoute même “des extinctions locales”.

L'Initiative Horizon 2020, lancée il y a quatre ans par la Commission européenne, est ce qui se rapproche le plus d'une opération de sauvetage de la Méditerranée. L'objectif est ambitieux : réduire de façon drastique la pollution. L'exécutif communautaire fournit lui-même des chiffres témoignant de l'ampleur de ce défi. Plus de 140 millions de personnes vivent sur les rives de la grande bleue, et la région reçoit chaque année 175 millions de visiteurs. En 2025, la moitié du littoral sera urbanisée, enterrée sous le béton. Selon la Commission, 80 % des pressions que subissent les organismes marins proviennent de la terre ferme. Plus la moitié des centres urbains de plus de 100 000 habitants ne possèdent pas d'usines de traitement des eaux usées. Et 60 % de ces dernières sont déversées directement dans la mer.

Bhavani Narayanaswamy reste malgré tout sceptique : “Je ne suis pas certaine que réduire les rejets de l'industrie, de l'agriculture et des centres urbains permette à l'écosystème méditerranéen de redevenir ce qu'il était”. Pour Josep María Gasol, également co-auteur de l'étude, chercheur à l'ICM de Barcelone, “le plus étonnant a été de constater qu'on ne sait rien”. Les nouveaux chiffres du Recensement de la vie marine parlent de 17 000 espèces marines décrites par la science dans le bassin méditerranéen, soit près du double des dernières estimations en date. Pourtant, 75 % des espèces vivant dans les profondeurs de la Méditerranée restent inconnues – et peuvent disparaître sans que personne n'ait tiré la sonnette d'alarme.

Hydrocarbures

Appel pour un moratoire sur les forages en Méditerranée

La ministre italienne de l’Environnement a lancé un appel aux 21 États riverains de la Méditerranée pour demander un moratoire sur les prospections pétrolières et gazières les plus dangereuses (celles qui concernent notamment les forages pétroliers en eaux profondes et les gisements de pétrole et de gaz à haute pression ou à haute température). Après la catastrophe provoquée par l’explosion de la plate-forme de BP dans le Golfe du Mexique, le moratoire "donnerait le temps à l’Europe de définir une stratégie nouvelle et spécifique calibrée sur la Méditerranée", expliqueIl Sole 24 Ore. La proposition italienne est moins restrictive que celle faite début juillet par le commissaire européen à l’Énergie Günther Oettinger, ajoute le quotidien italien, selon lequel l’appel vise en premier lieu le projet de BP d’entamer des prospections dans le Golfe de Sirte, dans les eaux Libyennes et à quelques encablures de la Sicile.

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