Dans le quartier de Lycabette, à Athènes.

Traquer les fraudeurs jusque dans leur piscine

Pour remplir les caisses de l’Etat et ses obligations internationales, le gouvernement de Georges Papandréou a décidé d’utiliser les grands moyens pour faire payer les nombreux Grecs qui échappaient à l’impôt.

Publié le 4 août 2010 à 10:43
ArkanGL  | Dans le quartier de Lycabette, à Athènes.

Quand Nikolaos Logothetis parle de chiffres, c’est comme s’il parlait d’amour. "La science de la statistique possède son propre langage, il suffit d’y prêter une oreille attentive pour comprendre d’où proviennent les maux de notre pays", explique cet homme à la carrure imposante, à la barbe soignée et aux lunettes de professeur. Au pays des chiffres falsifiés, cette approche mérite d’être soulignée. A 57 ans, Nikolas Logothetis, qui vient d’être nommé vice-président du nouvel office grec indépendant de la statistique, est attablé dans un restaurant chic de la capitale et nous fait part de son intention de réformer en profondeur l’institution. "Nous n’aurons de comptes à rendre que devant le Parlement et pourrons enfin travailler de manière rigoureuse et indépendante", déclare-t-il.

"Greek statistics" [en anglais dans le texte], la formule est devenue une expression à part entière. Elle désigne la manipulation politique, la comptabilité fantaisiste, le désastre grec dans son ensemble et les châteaux de cartes statistiques des prédécesseurs de Logothetis, dont l’un s’est exilé depuis à l’étranger.

Depuis quelques semaines, la Grèce assiste au retour de la "troïka" formée par l’Union européenne, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque centrale européenne (BCE). Le trio [un Danois, un Belge et un Allemand] doit à présent juger si les mesures prises par le gouvernement Papandréou sont suffisantes pour permettre à Athènes de bénéficier d’un nouveau crédit de 9 milliards d’euros en septembre.

Ce nouveau départ, Athènes le doit également à un autre homme : Ioannis Kapeleris, responsable de la Brigade grecque de lutte contre la criminalité financièrer (SDOE), créée en décembre dernier. A 50 ans, Kapeleris est probablement l’un des employés du gouvernement les plus occupés en ce moment. C’est les traits tirés, une cigarette à la main et une tasse de café dans l’autre, la chemise largement déboutonnée, qu’il nous reçoit dans son bureau. "Regardez ça", lance-t-il en nous montrant un tableau Excel. "Ici, vous avez le nombre de cas de fraude fiscale découverts en juin 2009 dans le secteur du tourisme à Athènes : 506. Vous savez combien ont été découverts en juin 2010 ? 4 340".

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Ses collaborateurs font désormais preuve d’imagination dans leur chasse aux fraudeurs : à bord d’hélicoptères de la police, ils ont survolé les quartiers riches de la capitale et ont filmé les propriétés de médecins, d’avocats et d’hommes d’affaires. Ils ont également utilisé des photos satellite pour localiser certains terrains et maisons de campagne. C’est ainsi qu’ils ont découvert que les faubourgs de la ville ne comptaient pas 324 piscines – comme indiqué officiellement – mais 16 974. "Nous nous efforçons de ne pas attraper que les petits poissons, nous pêchons aussi le gros", explique Kapeleris. La SDOE devrait récupérer au moins 1,2 milliard d’euros cette année. Au cours des six premiers mois, le fisc a déjà encaissé plus de 1,8 milliard d’euros.

Dans son rapport provisoire, le FMI note et apprécie des "progrès considérables" dans la gestion des finances publiques grecques, notamment avec les réductions drastiques des salaires des fonctionnaires et des pensions de retraite. Mais les grands argentiers internationaux n’en veulent pas moins maintenir la pression sur le Premier ministre grec : Athènes doit à présent réduire de toute urgence les coûts de son système de santé, libéraliser les marchés du travail et de l’énergie et privatiser certaines entreprises publiques largement déficitaires.

Les conflits à venir sont déjà prévisibles. Ces dernières semaines ont été marquées par les manifestations des routiers protestant contre la libéralisation de leur secteur exigée par l’UE. Simple anecdote ? Le chaos qu’elle a provoqué dans l’approvisionnement des stations-service n’est pourtant qu’un petit aperçu de la vague de grèves qui ne devrait pas tarder à déferler sur la Grèce. Kostas Papantoniou, le vice-président du syndicat des fonctionnaires, a prédit une période bien plus difficile encore pour le gouvernement. "Il paraîtrait que les fonctionnaires grecs coûtent trop cher, déclare Papantoniou, c’est complètement faux. 80% des fonctionnaires grecs touchent entre 700 et 1 400 euros net par mois. C’est ce que vous appelez un statut de privilégié ?"

Bon nombre d’employés de la fonction publique devraient durement souffrir de la politique de rigueur du gouvernement. Parmi les plus touchés figurent ceux qui partent à la retraite cette année. Après avoir cotisé pendant des décennies à la caisse du service public, ils devraient toucher en moyenne 40 000 euros pour leur départ à la retraite. De plus, pour ne pas aggraver le déficit public, le gouvernement a décidé une cessation temporaire des versements. Les caisses de l’Etat ne doivent pas être vides au moment de l’inspection du FMI et de l’Union européenne. La restitution par l'Etat de la TVA aux entreprises ou les indemnisations du personnel d'entreprises privé ont vécu le même sort.

Le miracle de la réduction des déficits grâce auquel le gouvernement Papandreou espère impressionner l’UE et le FMI pourrait donc ramener le pays à une forme de comptabilité un peu trop imaginative, et déboucher sur une réédition des "Greek Statistics".

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