Après le déluge à Nowshera, dans la Province du Nord-Ouest.

Le problème avec le Pakistan

Trois semaines après le début des inondations au Pakistan, les gouvernements et les citoyens européens tardent à réagir. Préjugés, lassitude, lenteur des médias : les causes sont multiples, mais elles ne justifient pas l’inaction, estime la presse européenne.

Publié le 19 août 2010 à 13:29
Après le déluge à Nowshera, dans la Province du Nord-Ouest.

Dix jours après le tremblement de terre à Haïti, en janvier, les promesses d’aide s’élevaient déjà à 1 milliard de dollars. Lors du tremblement de terre de 2005 au Pakistan, près de 300 millions de dollars avaient été réunis en quelques jours. Le Tsunami de 2005 avait quant à lui suscité un élan de solidarité jamais égalé. Avec leur 20 millions de victimes, les inondations au Pakistan ne semblent pas émouvoir les gouvernements ni les citoyens européens, qui peinent à délier les cordons de leur bourse, comme le révèle le diagramme que publie The Guardian.

Près de trois semaines se sont écoulées depuis le début de la catastrophe et "enfin, l'ONU et quelques donateurs internationaux prennent conscience de l’ampleur du désastre", note à ce sujet le quotidien pakistanais The Nation, selon lequel "alors que certains pays, comme les Etats-Unis font de tout pour faire parler de leurs efforts, et que les alliés traditionnels du Pakistan (Arabie Saoudite, Chine, Iran) fournissent en silence l’aide qu’ils peuvent, l’UE reste avare".

"Islamophobie flagrante"

"De nombreux Pakistanais s’étonnent de la réaction de l’Occident", écrit ainsi l’historien pakistanais Tariq Ali dans la Süddeutsche Zeitung. "Parmi eux, témoigne-t-il, certains expliquent qu’étant donné que leur pays est considéré comme un refuge pour terroristes, l’Europe et les Etats-Unis préfèrent garder les cordons de leur bourse bien serrés. La situation est un peu plus compliquée que cela et le problème ne vient pas que du Pakistan. En réalité, si l’aide internationale est aussi limitée c’est surtout parce que depuis le 11 septembre, l’Europe et une partie de l’Amérique du Nord sont pris par une islamophobie flagrante. Dans un récent sondage, à la question ’que vous évoque en premier lieu le mot Islam ?', plus de la moitié des personnes interrogées ont répondu ’le terrorisme’'".

"Certes, tempère Tariq Ali, cette étude a été effectuée au Royaume-Uni mais on sait que les Français, les Allemands, les Hollandais et les Danois pensent la même chose que les Britanniques". "Le Pakistan est sous les eaux et le reste du monde n’en a cure", constate-t-il, amer : "Oui, le préjugé latent contre les pays de culture musulmane est bien une des raisons de la faiblesse de l’aide internationale. A cela s’ajoute un autre facteur, local celui-ci : bon nombre de Pakistanais préfèrent garder leur argent de crainte qu’il n’atterrisse dans les poches de leurs dirigeants corrompus". "Le Pakistan a depuis des années contribué lui-même à acquérir une mauvaise réputation internationale", lui répond implacable le Jyllands Posten, selon lequel le pays "est considéré comme l'endroit le plus dangereux du monde, une puissance nucléaire avec une armée qui ne veut pas, ou ne peut pas se mesurer aux talibans et à Al-Qaida, et avec des services secrets qui les soutiennent". Cela dit, s’il "ne suscite pas la sympathie, le Pakistan a besoin malgré tout d’une aide massive", lance le quotidien danois.

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"L’humanitaire serait-il touché par la discrimination religieuse ?", se demande Libération, selon lequel l’aide en provenance des organisations musulmanes l’emporte de loin sur celle qui émane d’autres ONG. Pas du tout, lui rétorque De Volkskrant, dans les colonnes duquel deux représentants d’ONG affirment qu’en cas de catastrophe comme au Pakistan, les humanitaires s’activent dès le premier jour et débloquent directement de l’argent provenant de leurs propres fonds d’urgence.

"Pénurie d'image"

Contrairement à ce qu’affirment bon nombre de commentaires ces derniers jours, "La situation politique n’est pas un facteur déterminant pour l’échec ou la réussite d’une collecte", explique de son côté dans Trouw un professeur en philanthropie de l’Université VU d’Amsterdam, selon lequel "les dons dépendent surtout d’images. Celles-ci doivent être poignantes, humaines et publiées sur la durée. De plus, les infos sur la catastrophe doivent être traitées en priorité par les médias". Voilà pourquoi Libération exhorte les acteurs de l’information à "faire du bruit médiatique" autour de la catastrophe. "La pénurie d’image, l’absence de reportage frappant et émouvant, ont tari à la source la générosité de l’opinion", analyse le quotidien, qui rappelle "une loi élémentaire : la justice suppose la raison ; mais la charité est fondée sur l’émotion. Sans elle, point d’élan, point d’initiative, point de solidarité humaine".

Après s’être fait attendre, celle des Européens commence à arriver. Tandis que la France demandait la création d’une force de réaction rapide aux urgences, la commissaire à l’Aide humanitaire Kristallina Georgieva annonçait qu’elle va proposer "bientôt" une nouvelle politique de l’UE pour faire face à ce type d’urgence, raconte EUobserver. Pressée de toutes parts, l’UE a porté à 115 millions d’euros (sur les 460 millions de fonds d’urgence que l’ONU a réclamé) le montant de son aide et envisage d'organiser une conférence internationale des donneurs au mois d’octobre, explique la Süddeutsche Zeitung. "Les Européens ont enfin eu le courage de faire passer la souffrance inimaginable des victimes avant l’image négative du Pakistan en Occident", écrit à ce sujet le quotidien munichois. L’enjeu est de taille, note le journal : "Ceux qui vont soutenir financièrement la reconstruction du pays sur le long terme ne se limiteront pas à alléger les souffrances des victimes. Ils vont aussi travailler à l’établissement de la paix dans la région". Mais cela demandera un engagement financier plus important : "Les pays occidentaux qui ont sauvé leurs banques à coups de centaines de millions vont devoir puiser plus profondément dans leurs poches pour la stabilité du Pakistan".

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