Actualité République tchèque
Un chercheur, qui revêt un équipement NBC, collecte des échantillons pour des recherches biologiques àTěchonín.

L’hôpital dont on ne revient pas

Au coeur des montagnes de Bohème, près de la frontière polonaise, se trouve une structure unique en Europe : le Centre de protection biologique de Těchonín, destiné à accueillir les victimes des épidémies les plus dangereuses ou d’une éventuelle attaque bactériologique.

Publié le 3 janvier 2013 à 11:57
Jan Kouba  | Un chercheur, qui revêt un équipement NBC, collecte des échantillons pour des recherches biologiques àTěchonín.

Appelons-le… Jiří. Il se trouvait depuis un an au Congo, lorsqu’une épidémie d’Ebola s’est déclarée dans la région où il était en mission. La probabilité était très forte qu’il ait été infecté par cette maladie, mortelle dans quasiment 100 % des cas, qui se caractérise par d’importantes hémorragies internes.

Après son retour en République  tchèque, le responsable en chef hygiène des armées l’avait dirigé immédiatement vers l’unité de quarantaine du Centre de protection biologique de Těchonín, un hôpital militaire, dissimulé au cœur des monts Orlické hory. Aucune autre structure semblable n’existe en Europe.

Il peut servir en cas d’attaque terroriste à l’arme biologique, comme le SRAS ou l’Antrax.

Des lits vides

Autre caractéristique singulière : il n’accueille pratiquement aucun malade. Jiří était son unique patient, si l’on ne compte pas les soldats qui, de retour de mission à l’étranger, y passent toujours 24 heures en quarantaine.

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

Jiří a eu de la chance. Malgré les forts soupçons d’une infection par le virus Ebola, le diagnostic n’a pas été confirmé après deux semaines de quarantaine et il a pu rentrer chez lui. Jiří est donc l’un des rares mortels à savoir à quoi ressemble l’intérieur de ce complexe hypermoderne.  

Presque tout ici est fait d’acier inoxydable et les médecins examinent les patients vêtus de scaphandres munis de leur propre système d’alimentation en oxygène. Les portes s’ouvrent dans un bruit sourd du fait de la dépressurisation.

Il faut plusieurs minutes aux médecins pour se rendre auprès de leur patient, qui pourtant se tient à portée de main, derrière une paroi à triple vitrage. Et même si leur patient s’étouffait, les médecins devraient tout d’abord revêtir leur scaphandre et traverser les zones de sécurité. Environ trois minutes se seraient écoulées avant qu’ils n’aient pu le rejoindre.

Chaque patient est isolé

Les visites médicales se déroulent avec des micros placés dans le scaphandre. Les observations du médecin sont retranscrites par ordinateur par un de ses collègues qui se trouve à l’extérieur, derrière la paroi à triple vitrage. Presque tous les appareils ne sont utilisés qu’une seule fois, y compris les détecteurs les plus coûteux, car il est quasiment impossible de les désinfecter totalement après qu’ils aient été en contact avec un patient réellement contaminé.

Chaque patient est en fait isolé dans une sorte d’aquarium alimenté en oxygène et en eau propre et disposant d’un système fermé de gestion des déchets. Contrairement aux autres hôpitaux, et malgré l’existence d’une salle d’opération, on n’envisage pas vraiment ici la possibilité d’opérer les patients. En revanche, leur autopsie est clairement programmée. La salle d’autopsie et le laboratoire d’analyse se trouvent juste à côté des chambres des patients.

L’évolution des maladies infectieuses mortelles est souvent rapide. Et il est indispensable de déterminer le plus vite possible la nature de la contamination afin de pouvoir protéger l’entourage du patient.

Médecine de catastrophe

Jusqu’en 1992, Těchonín abritait une banque de virus unique en son genre. Un arrêté du ministre de la Défense a ordonné plus tard sa destruction. Aujourd’hui, les microbiologistes achètent très cher à l’étranger les micro-organismes dont ils ont besoin, comme la bactérie E.coli.

Les activités du Centre de défense biologique se partagent en une triple mission : l’isolement et la quarantaine, comme pour le cas de Jiří, la recherche et la formation.

L’hôpital fonctionne en effet comme un centre de formation, où les médecins et les laborantins réalisent des tests dans des conditions de risque biologique grandeur nature.

"Nous travaillons avec le monde civil. Des praticiens des cliniques spécialisées dans les maladies infectieuses, des experts de la médecine d’urgence, mais aussi des étudiants en médecine fréquentent l’établissement”, affirme Petr Navrátil, l’hygiéniste en chef des armées. Et bien sûr, des soldats viennent également ici s'entraîner pour pouvoir faire face aux éventuelles menaces biologiques contre la population. C’est ce que l’on appelle la médecine de catastrophe.

Quel sort pour ce complexe ?

Le danger du bioterrorisme est toujours là. Fabriquer des armes biologiques est relativement bon marché. Mais tout semble annoncer la fermeture du centre : "La décision n’a pas encore été prise, mais compte tenu des coupes prévues dans le budget de la défense, la poursuite de son exploitation apparaît très compromise”, concède Jan Pejšek, le porte-parole du ministre de la Défense.

Le vendre ? Personne n’est intéressé. On a aussi cherché des repreneurs à l’étranger. "Des négociations ont été engagées avec l’OMS et l’UE, ainsi que des entretiens bilatéraux avec plusieurs pays dans le cadre de l’OTAN (avec la Grande-Bretagne par exemple) et en dehors (avec la Serbie). Ils n’ont pour l’heure abouti à aucun accord”, ajoute Pejšek.

Mais Těchonín pourrait tout aussi bien s’autofinancer. Il suffirait que les responsables de l’armée soient un peu plus entreprenants. Il serait ainsi possible, par exemple, de faire payer et d’étendre à l’international les cours dispensés à l’hôpital – à la fois à destination des soldats de l’OTAN et des civils professionnels de santé étrangers. Les laboratoires pourraient être utilisés dans un but commercial ou l’on pourrait davantage miser sur la recherche, qui grâce aux subventions et aux brevets, est à même de s’autofinancer. Enfin, dans les périodes où l’activité tourne au ralenti, le Centre de Těchonín pourrait être proposé comme lieu de tournage.
D’ici là, ce sera au Conseil national de sécurité de décider du sort du complexe. Sans doute en février.

Tags
Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet