La locomotive repart...sans les wagons

Cas unique parmi les puissances occidentales, l’économie allemande connaît une croissance insolente. Et le fossé avec le reste de la zone euro, qui ne bénéficie pas des retombées de cette embellie, se creuse, suscitant davantage d’inquiétude que d’enthousiasme chez ses voisins.

Publié le 25 août 2010 à 11:15

L’Allemagne se trouve aujourd’hui isolée, non politiquement, mais économiquement. Aucune autre grande nation industrielle occidentale ne peut se targuer d’un rebond économique aussi formidable que celui affiché par la république fédérale. Le fossé ne cesse de se creuser entre l’Allemagne et le reste de la zone euro. Alors que les responsables commerciaux des entreprises allemandes regardent avec confiance vers l’avenir, leurs confrères de la zone euro donnent des signes de nervosité, comme le montrent les chiffres publiés le 23 août.

Isolée, l’économie allemande pourrait souffrir de son statut d’exception. La croissance allemande reposant sur les exportations, elle ne peut que ralentir si ses principaux partenaires commerciaux ne suivent pas le même rythme. Or, partout où les exportateurs allemands regardent chez leurs principaux débouchés, les perspectives se troublent. Les derniers chiffres de l’Ifo World Economic Climate montrent un ralentissement économique en Amérique du Nord et en Asie. Si l’Europe occidentale affiche encore une croissance positive, c’est uniquement parce que les bons résultats de l’Allemagne masquent les problèmes de ses voisins.

Les facteurs de risque diffèrent selon les pays. En dépit d’un plan de relance historique, la reprise aux Etats-Unis reste trop fragile pour créer suffisamment de nouveaux emplois. Le taux de chômage reste proche des 10 %, ce qui décourage la consommation, moteur de la croissance américaine.

La Chine, deuxième puissance économique mondiale, connaît elle un problème diamétralement opposé : face au risque de surchauffe du marché de l’immobilier, le gouvernement chinois a décidé de réduire l’accès au crédit. Au cours des cinq premiers mois de l’année, la Chine a été le septième plus gros destinataire des exportations allemandes. Loin en tête se trouvait la France, suivie des Etats-Unis, des Pays-Bas et du Royaume-Uni. Les cinq places suivantes étaient également occupées par des Etats européens. Dans tous ces pays, le niveau d’endettement limite les perspectives de croissance.

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Rigueur et recul néfastes pour l'Allemagne

Dans toute l’Europe, les plans de relance toucheront à leur fin le mois prochain. Pour leur succéder, les gouvernements ont prévu de mettre en place des mesures de rigueur drastiques, semblables à celles qui ont déjà fait replonger la Grèce dans la récession. Au Royaume-Uni, des économistes mettent en garde contre le plan strict présenté par le gouvernement, qui pourrait nuire à l’économie nationale après un premier semestre étonnamment positif. En Europe occidentale, les exportateurs allemands pourraient donc se retrouver dans une position plus délicate.

Les nuages s’accumulent également au-dessus de l’Europe de l’Est. En Pologne, dixième partenaire commercial de l’Allemagne, la production industrielle et le secteur du bâtiment entament leur premier recul. Rainer Singer, spécialiste de l’Europe de l’Est pour la première banque de Vienne, prévoit une croissance divisée par deux sur l’ensemble de la région.

Les exportations, moteur de la croissance allemande, pourraient bien descendre d’une ou deux vitesses dans les trimestres qui viennent. "En raison de la conjoncture internationale mais surtout des difficultés dans l’ensemble de l’Europe, la croissance allemande devrait connaître un ralentissement notable à partir de l’automne", prévient Gustav Horn, chef de l’institut économique IMK.

Pendant ce temps, les signes d’une reprise durable en Allemagne se multiplient. L’économie suit le chemin habituel : après les exportations, les investissements et la consommation servent de relais de croissance. Quant au ralentissement attendu, il est inquiétant, mais ce n’est pas une raison pour paniquer.

Débat

Une reprise salutaire pour l’Europe ou pas ?

La locomotive allemande pourra-t-elle tirer hors de la crise les autres pays de la zone euro ou sa reprise va-t-elle se faire au dépens de ses partenaires ? La presse allemande est partagée. "Le fait que l'Allemagne dépende des exportations ne prouve nullement la supériorité de ses produits mais c’est le résultat d'un dumping salarial qui, contrairement à la situation dans la plupart d'autres pays européens, empêche les salariés de bénéficier de la croissance", estime ainsi le Tagesspiegel. "Ce n'est pas une force mais une faiblesse qui mine la stabilité de l'euro. Tant que les exportations allemandes sont excédentaires, les autres pays européens sont forcés d'accumuler des déficits. Et pour pouvoir payer leurs dettes, l'Allemagne est obligé d'importer davantage." Au contraire, affirme Der Spiegel dans sa version anglaise en ligne : "Les exportations allemandes aident les pays de la zone euro". Ainsi, note le magazine, "Une Mercedes reste plus chère qu'une Renault malgré les bas salaires et elle se vend toujours aussi bien en Chine justement parce qu’il s’agit d’une voiture allemande. Et ceci vaut également pour les machines-outils et les produits chimiques allemands." Concernant les importations, le Spiegel montre qu'elles ont bel et bien augmenté, contrairement à ce que l'on dit souvent : "Par rapport à l'année précédente, la France a augmenté ses ventes vers l'Allemagne de 6 %, l'Espagne de 12 % et même la Grèce de 9 %".

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