Extrait de la vidéo promotionnelle du Salon immobilier du Portugal de Rio de Janeiro

Un sésame à un million pour l’Europe

Malmené par la crise, Lisbonne se tourne vers les riches investisseurs de ses anciennes colonies. Quiconque investit dans le pays a de bonnes chances de décrocher un visa et par conséquent, un accès au reste de l’Europe.

Publié le 9 janvier 2013 à 12:05
MIP  | Extrait de la vidéo promotionnelle du Salon immobilier du Portugal de Rio de Janeiro

C’est un salon de l’immobilier un peu particulier qui s’est tenu peu avant Noël à Rio de Janeiro. Les agences immobilières y sont arrivées avec près d’un millier d’offres de maisons et d’appartements au Portugal. Leur offre phare n’était pas un éventail de villas de luxe en Algarve, mais un cadeau réservé aux acquéreurs de biens immobiliers portugais : un permis de séjour permanent, valable non seulement pour le Portugal, mais pour tous les pays d’Europe.

La loi votée par le gouvernement en octobre est désormais surnommée le "visa en or" dans le langage populaire. Il s’agit d’un programme d’envergure visant à attirer les investisseurs extra-européens au Portugal – et avec eux des capitaux frais qui doivent aider le pays à sortir de la crise. Depuis le printemps 2011, le pays touche de l’argent du fonds de sauvetage de l’UE, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI). Mais les réformes que le Portugal est censé mettre en œuvre en contrepartie ne progressent guère. La population se rebiffe face à la cure d’austérité et le programme de privatisation connaît des débuts laborieux.

Visa convertible en titre de séjour

D’où l’idée de faire appel à l’étranger. Le ministre des Affaires étrangères, Paulo Portas, a tenté des mois durant d’en convaincre ses partenaires européens. Ce qui ne fut pas chose aisée. Car le titre de séjour portugais vaut également pour les autres pays de l’Union. Dans l’absolu, les investisseurs que le Portugal fait venir pourraient donc aller s’installer à Paris, Berlin ou Madrid.

C'est la raison pour laquelle les obstacles sont importants. Il est demandé aux investisseurs d’injecter au moins un million d’euros dans une société portugaise, de créer un minimum de 30 postes dans le pays ou d’acquérir eux-mêmes un bien immobilier d’une valeur minimale de 500 000 euros. Dès lors que l’une de ces conditions est remplie, un visa "initial" de deux ans leur est délivré. Lequel peut être converti en titre de séjour permanent, voire en passeport portugais, si les investisseurs conservent leur capital plus de cinq ans dans le pays.

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La loi cible avant tout les investisseurs des anciennes colonies du Portugal : le Brésil, l’Angola et le Mozambique. Et c’est au Brésil que cette nouvelle législation rencontre le plus vif intérêt. De nombreux chômeurs portugais y ont émigré, ainsi qu’en Angola. Mi-décembre, le ministre de l’Economie Álvaro Santos Pereira est également parti faire l’article de cette initiative en Turquie, où beaucoup ont déjà abandonné l’idée d’intégrer l’UE. "Venez au Portugal, a-t-il proclamé devant les entrepreneurs turcs. Vous vous y sentirez comme chez vous".

Des négociations difficiles entre UE et Mercosur

Les destinataires de l’offre ont l’air enchanté. Vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Rio de Janeiro, Frederico da Cunha parle du Portugal comme de la "porte de l’Europe". Rien d’étonnant à cela : le Brésil est l’un des principaux partenaires commerciaux de l’UE, vers laquelle il exporte notamment des produits agricoles. Et si les négociations portant sur un accord de libre-échange entre l’UE et l’espace économique du Mercosur piétinent depuis des années, c’est à cause de la France qui s’inquiète pour son agriculture.

Pour les PME qui ne sont pas en mesure de mettre des milliards sur la table, l’acquisition d’un bien immobilier semble encore le moyen le plus simple de décrocher un titre de séjour, constate Paulo Lourenço, consul général du Portugal à São Paulo.

Les visiteurs du salon de Rio de Janeiro étaient surpris de se voir proposer des biens de grande qualité, y compris des hôtels bénéficiant d’emplacements exceptionnels à des prix parfois inférieurs de moitié à certains biens comparables du sud de Rio, par exemple. En moyenne, le mètre carré se monnaie 2 213 euros au Portugal. En Europe, seules la Lituanie, la Roumanie et Chypre affichent des prix inférieurs.

Immigrés abandonnés à leur sort

L’Espagne envisage à son tour d’adopter un texte analogue à la loi portugaise. Mais le prix des terrains, qui y demeure très élevé, devrait refroidir les investisseurs. Le mètre carré s’y négocie à près de 4 000 euros. Sans compter que de nombreux Espagnols voient le projet d’un mauvais œil. L’annonce de Jaime García-Legaz, le secrétaire d’Etat au Commerce, qui a fait savoir que les Russes et les Chinois pourraient obtenir un titre de séjour en acquérant un bien immobilier d’une valeur de 160 000 euros seulement, a été ressentie comme un affront.

Des organisations de défense des droits de l’homme pointent également le gouvernement du doigt, accusé d’attirer des investisseurs fortunés qui ne font rien pour le pays et dans le même temps d’abandonner à leur sort les immigrés qui sont arrivés pendant les années de vaches grasses et se retrouvent aujourd’hui sans emploi ni logement. Des économistes et des associations juridiques ont rappelé que les acquisitions de logements pouvaient servir à blanchir de l’argent sale. Pendant les années fastes, plusieurs scandales immobiliers mettant en jeu des sommes importantes d’origine douteuse ont éclaté en Espagne.

Pour l’heure, le ministre portugais des Affaires étrangères, Paulo Portas, ne veut pas divulguer combien le gouvernement espère de dossiers d’investisseurs intéressés par un titre de séjour dans son pays. Il assure toutefois que les règles de l’espace Schengen seront observées à la lettre et que le Portugal veillera à ce que seuls les investisseurs jugés "au-delà de tout soupçon" puissent décrocher le fameux sésame.

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