L’Europe déconcertée par la réticence britannique

À la veille du discours très attendu du Premier ministre sur la place du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne, le correspondant à Bruxelles du journal grec I Kathimerini estime que quoi que dise David Cameron à Amsterdam, les Britanniques se sont déjà coupés du reste de l'Union.

Publié le 17 janvier 2013 à 16:41

Pour un nouveau venu à Bruxelles, l'attitude du Royaume-Uni vis-à-vis de l'Europe est totalement incompréhensible. Qu'on l'aime ou qu'on la déteste, l'Union européenne est en effet le premier marché au monde et le processus d'intégration a permis – pour la première fois dans l'histoire du continent – de faire de la guerre un lointain souvenir et non une triste perspective d'avenir. Dans chaque domaine qui compte vraiment en cette époque troublée, de la protection de l'environnement au respect des droits de l'homme, de la démocratie à la paix, l'Europe est un acteur mondial de premier plan et une des principales forces au service du bien.

Le Royaume-Uni pourrait jouer un rôle majeur – peut-être même le premier - dans le processus de réforme et de renforcement de l'UE. Et ce pour plusieurs raisons : les Britanniques pourraient d'abord profiter de leurs bonnes relations avec les pays d'Europe de l'Est. Ils ont en effet été les principaux défenseurs du processus d'élargissement à l'Est, et les nouveaux Etats membres ne l'ont pas oublié. Le Royaume-Uni pourrait également trouver de solides alliés parmi les pays scandinaves, aux économies ouvertes et traditionnellement libérales. En outre, la soi-disant "capitale de l'Europe" est déjà anglophone et les journalistes et les diplomates français déplorent la marginalisation de leur langue à Bruxelles.

Paris est en butte à des problèmes structurels et de compétitivité et il est probable que l'influence française ne cesse de décroître en Europe. Enfin, pour des raisons historiques, les peuples européens manifestent une aversion naturelle pour toute domination germanique et Berlin répugne encore à tenir une place hégémonique sur le continent. Il suffit de faire le compte pour voir que l'équilibre du pouvoir à Bruxelles pourrait facilement tourner en faveur du Royaume-Uni. À moyen terme, Londres pourrait même tenir la place de "premier parmi les égaux" qu'occupe actuellement Berlin en Europe.

Volonté obsessionnelle incompréhensible

Et pourtant, sous le règne des conservateurs, le Royaume-Uni a déjà abandonné cette idée, comme si le géant politique et économique juste à ses portes n'existait même pas. À présent, quoi que dise David Cameron dans son discours sur l'Europe ce vendredi, l'horrible vérité pour les diplomates, les lobbyistes et les médias à Bruxelles est que le Royaume-Uni n'a pas seulement raté une occasion, il a déjà pris la posture de simple "observateur" au sein de l'union. Bien des journalistes européens ne s’intéressent pas aux briefings des Britanniques avant les sommets européens, tout simplement parce que la voix du Royaume-Uni n’est guère écoutée lors de ces rencontres.

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A en croire certains diplomates, Cameron a même l’air de “s’ennuyer ferme” lors de ces rencontres entre dirigeants du premier bloc économique mondial. Les pays de ce que l’on appelle le “Commonwealth blanc” (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) ne peuvent plus compter sur le Royaume-Uni pour défendre leurs intérêts en Europe : l’influence politique d’Albion faiblit à une vitesse inattendue. Et les chiffres des services des ressources humaines de l’UE sont plus préoccupants encore.

Ces quatre dernières années, le nombre de technocrates et de cadres britanniques promus à de hauts postes communautaires a sérieusement fondu et avoisine même le zéro. Selon certaines sources, les nouvelles recrues britanniques au sein des institutions européennes, en recul de près de 60 %, sont aujourd’hui presque au même nombre que celles venues d’Estonie. Au fond, le Royaume-Uni a déjà dit non tant de fois, exigé si souvent de faire exception, que cela n’intéressera bientôt plus personne à Bruxelles de savoir s’il reste dans l’Union ou préfère en sortir. Cette volonté obsessionnelle de “rapatrier” des prérogatives au détriment de l’Europe est d’ailleurs incompréhensible, étant donné que la plupart des grands problèmes du moment (de la cybercriminalité au commerce) nécessitent un traitement à l’échelon régional, voire mondial, et que l’Etat nation traditionnel apparaît comme un espace bien étriqué pour les résoudre.

Une singularité préservée

Certes, Cameron a raison de dire que la Grande-Bretagne peut sortir de l’UE sans craindre de s’effondrer. Elle restera une grande économie. Mais comparée aux géants de l’Asie, aux Etats-Unis et à la zone euro, elle se trouvera reléguée dans la “deuxième division” des moteurs économiques mondiaux. Certes, le Royaume-Uni sera toujours une puissance nucléaire. Mais le Pakistan en est une autre. Certes, il conservera sa relation particulière avec les Etats-Unis. Mais les Américains ont bien fait comprendre qu’ils souhaitaient que leur allié le plus proche ait son mot à dire à Bruxelles. Certes, il gardera tous ses alliés du Commonwealth. Mais pour ces derniers, des Britanniques sortis de l’UE ne seront pas d’une grande utilité.

Je sais, les Britanniques forment une nation insulaire, avec ses singularités. Mais contrairement aux légendes urbaines et aux mensonges éhontés que colporte la presse à sensation outre-Manche, l’UE ne leur a jamais demandé de se mettre à conduire à droite, de servir des demis et plus des pintes, de remplacer leurs pubs par des bistrots ni de compter en kilomètres plutôt qu’en miles. Sur ce qui compte vraiment, la Grande-Bretagne est d’ailleurs profondément européenne : attachée au respect de l’état de droit, à la démocratie et à tous ces droits inaliénables qui garantissent la dignité humaine.

Vers une monumentale erreur politique

Naturellement, ce sont le peuple et le gouvernement britanniques qui décideront de l’avenir du Royaume-Uni en Europe. Mais moi qui ai vécu, étudié et travaillé six années durant dans ce pays, et qui ai appris à l’aimer au point d’y trouver ma seconde patrie, je me sens obligé de dire que les députés conservateurs sont en train de le pousser vers une erreur diplomatique et politique de proportions monumentales. L’Europe y perdrait aussi énormément car sans la Grande-Bretagne, elle risquerait de devenir plus bureaucratique, plus repliée sur elle-même et plus rigide encore.

A Athènes, mon appartement se trouvait à côté du cimetière des Alliés. Chaque jour, la vue sur ces sépultures venait me rappeler que lorsque les ténèbres se sont abattues sur notre continent, le Royaume-Uni l’avait défendu en payant le prix fort. Aujourd’hui, ce pays pourrait ouvrir la voie à une Europe plus dynamique, plus transparente, plus prospère et plus responsable, dans un monde où l’équilibre des pouvoirs est en train de se déplacer vers l’Est, et vite. Les générations de demain se souviendront de ceux qui ont ignoré l’appel à la raison et préféré mettre leur pays sur la touche.

Mise à jour le 17 janvier, à 21h00 : David Cameron a annulé son discours de vendredi 18 suite à la crise des otages en Algérie du Sud. — Presseurop

Vu des Pays-Bas

“Cameron ferait mieux de rester chez lui”

“Si David Cameron vient aux Pays-Bas pour prendre ses distances avec l'Union européenne, alors il ferait mieux de rester chez lui !", fustige l'analyste politique Hylke Dijkstra dans le quotidien de gauche De Volkskrant :

Il est préoccupant que notre gouvernement donne une plateforme à Cameron pour faire de la politique nationale. Mais il est encore plus problématique que ses propositions ne soient pas dans l’intérêt des Pays-Bas. Et encore moins dans ceux de l’Union européenne. […] Cameron veut une UE à la carte [...] Si nous permettons à la Grande-Bretagne de renégocier les traités, d’autres pays se manifesteront certainement aussi avec leur liste de doléances. C’est pour cela que la plupart des pays membres ne sont pas partisans des projets de Cameron. Le référendum promis [...] finira par porter sur l’adhésion à l’UE. [...] L’UE serait capable d’assumer la perte de la Grèce, mais le départ du Royaume-Uni mènerait à une réduction importante de l’influence économique, diplomatique et militaire de l’Europe. De plus, des Etats membres plus petits ne se sentiront plus chez eux dans un club où la France et l’Allemagne donnent les ordres.

En outre, la Grande-Bretagne risque de plonger l’UE dans l’incertitude :

Un référendum britannique n’aura pas lieu avant 2017 ou 2018. Cela veut dire que nous traverserons une longue période d’incertitude. Et de l’incertitude, ce n’est pas ce dont nous avons besoin en ce moment.

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