Pourquoi l’Europe ne doit pas s’effacer

Les pays européens sont peu à peu évincés de l’Afrique par les pays émergents, Chine en tête. Si l’Europe tient à jouer encore un rôle significatif dans la région, elle ferait bien de suivre l’exemple de Pékin ou Brasilia et de faire prévaloir les affaires sur son sentiment de culpabilité.

Publié le 12 février 2013 à 12:21

Les rapports de force se détectent à certains détails. Par exemple, à Lusaka, pas un ministre zambien n’assiste à la fête de la reine des Pays-Bas ou à la célébration du jour de l’indépendance des Etats-Unis. Dans les cabinets ministériels, les investisseurs brésiliens, indiens et chinois se sentent chez eux. C’est à cela qu’on constate que les Blancs ne comptent plus en Afrique.

La meute des “lions africains”, comme on appelle ces économies à forte croissance par analogie aux “tigres asiatiques” des années 1990, s’élargit : Nigeria, Kenya, Ghana, Zambie, Angola, Ouganda, Rwanda et Ethiopie. Avec dix années de croissance économique au compteur, ils ont leurs gratte-ciel dans la capitale, leur sushi bars et leur iPhones.
Les Occidentaux sont encore présents : les diplomates, les humanitaires en tous genres. Sauf qu’ils ne jouent pas un rôle significatif. Dans les années 1970, les flux du Nord vers le Sud se composaient d’aides à 70 %. Aujourd’hui, cette part s’est réduite à 13 %.

Imprévisible Afrique

La diminution du poids de l’aide ne s’est pas accompagnée d’une intensification des activités commerciales et des investissements du côté des entreprises occidentales. En trente ans, la part de l’Europe occidentale dans le commerce extérieur de l’Afrique a reculé de 51 % à 28 %. Certes, quelques multinationales occidentales comme Heineken et Unilever investissent en Afrique, mais elles y sont actives depuis longtemps. Le gros des entreprises occidentales n’a pas de stratégie africaine. Elles ont peur de l’Afrique, qu’elles jugent imprévisible.

Le plus grand bouleversement en Afrique a été déclenché par un intervenant qui ne cherchait pas à le provoquer : la Chine se procure dans ce continent cuivre, étain, bauxite, minerai de fer, coltan et bois exotique et elle y construit des routes, des ponts, des chemins de fer, des aéroports et des stades de football. Ces derniers sont offerts aux dirigeants africains, tandis que les infrastructures servent à transporter les richesses du sous-sol vers l’Orient.

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Prédateur capitaliste

La superpuissance asiatique n’a pas de bonnes intentions. Les Blancs la voient d’un mauvais œil. Il traduit sa propre impuissance par une réprobation morale : la Chine est un prédateur capitaliste qui pille l’Afrique. Ce point de vue déclenche les rires moqueurs des élites africaines qui, à mesure qu’elles prospèrent, acquièrent une meilleure image d’elles-mêmes : “Ce n’est pas ce que vous avez fait pendant un siècle, vous les Occidentaux ?!”

Ne reste-t-il aux Occidentaux qu’à quitter l’Afrique, la queue entre les jambes ? Bien sûr que non ! Ils doivent remettre en question leur rôle et leur relation avec l’Afrique. Ils doivent avant tout se défaire du sentiment de supériorité et du paternalisme qui ont caractérisé leurs relations avec l’Afrique pendant 150 ans. Si les Africains sont satisfaits des Chinois, c’est entre autres raisons — et non des moindres — parce que ces derniers entretiennent avec eux une relation d’affaires dépassionnée.

Perspective désagréable

Ensuite, l’Occident doit avoir une idée claire de ce qu’il recherche en Afrique. Sa nouvelle politique vis-à-vis du continent doit s’articuler autour de trois axes au moins : la géopolitique, l’économie et l’humanitaire.
Il a fallu un petit moment mais la France, avec dans son sillage le Royaume-Uni et les Etats-Unis, a fini par comprendre qu'un Maghreb islamiste n'est pas une perspective enthousiasmante. Ni les Etats-Unis ni la Chine ne prendront la tête de la lutte contre les islamistes et les trafiquants. La stabilité de l’Afrique présente un intérêt géopolitique pour l’Europe.

En ce siècle où les matières premières se raréfient, l’Afrique abrite la plupart des réserves. La Chine a accès à des matières premières, le Brésil et l’Inde prélèvent aussi leur part. Mais, embarrassés par leur histoire coloniale, les Blancs se tiennent à l’écart. L’axe économique présente un double intérêt. Non seulement l’Afrique possède des matières premières, mais elle constitue un débouché à forte croissance pour l’industrie européenne. Les sociétés de conseil McKinsey et KPMG constatent que la rentabilité des investissements n’est nulle part ailleurs aussi élevée qu’au sud du Sahara.

Se libérer de son passé

Le troisième axe de la politique vis-à-vis de l’Afrique est plus familier : l’empathie envers la pauvreté sans autre perspective apparente dont sont prisonnières des milliers de personnes. La trajectoire de croissance de l’Afrique ne ressemble pas à celle des pays occidentaux. Il n’est pour l’instant pas question de ce phénomène appelé trickle down, qui désigne le ruissellement des richesses des plus aisés vers les plus pauvres. Au contraire : dans les économies en pleine croissance que sont l’Angola et le Mozambique, la pauvreté s’aggrave. Qui plus est, ces économies n’ont pas engagé de processus de diversification, ce qui rend les “Lions” vulnérables à une chute des cours des matières premières.
Les conflits, conséquence des inégalités croissantes et des famines — dont certaines dues au changement climatique — continueront de provoquer des catastrophes humanitaires en grand nombre.

Les Européens doivent s’inspirer de l’art de la realpolitik que pratique la Chine et concevoir sa propre politique, décente, vis-à-vis de l’Afrique. Ils doivent pour cela se libérer de leur passé chargé : ne pas avoir peur d’être accusés de “néocolonialisme” quand ils participent à la course aux matières premières. Et aussi se défaire de leur sentiment de supériorité et aller à la rencontre de l’Afrique d’égal à égal.

La France a raison d’engager le combat contre les rebelles islamistes au Mali. Mais elle doit ensuite exiger, selon les règles de la realpolitik, le premier choix lorsque les concessions seront accordées pour l’uranium ou les terres agricoles.

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