Sarkozy joue les durs mais l’Etat est faible

L’expulsion des Roms n’est pas tant un simple cas de racisme qu'un symptôme de la crise profonde que traverse la république française, affirme une militante britannique des libertés civiles.

Publié le 15 septembre 2010 à 14:05

L’expulsion des Roms ordonnée par Nicolas Sarkozy a suscité l’indignation tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières françaises. Naturellement, les images montrant l’évacuation de plusieurs camps par les forces de police sont choquantes et condamnables : près de 40 camps ont ainsi été vidés de leurs habitants et 700 personnes menacées d’expulsion. Cette campagne n’est pourtant pas le produit d’un quelconque réflexe d’agressivité ou de racisme de la part du président français mais la conséquence de mécanismes propres à l’Etat français.

La France était le pays le plus centralisé d’Europe, une nation ayant fait de la bureaucratie un art et dotée d’un réseau complexe d’institutions administratives allant de la présidence de la république à la moindre mairie de village. L’Etat français s’est toutefois considérablement affaibli. Il existe aujourd’hui un certain nombre d’endroits – les "quartiers sensibles" - majoritairement peuplés d’immigrés où la présence de l’Etat est presque imperceptible et où les policiers ne pénètrent que lourdement armés.

Ces zones de tension latente sont toujours au bord de l’explosion. C’est d’ailleurs un incident qui est à l’origine de l’expulsion des Roms. Le 16 juillet dernier, un jeune Rom a forcé un barrage de police à Saint Aignan (Loire), emportant un policier sur le capot de sa voiture. Alors qu’il tentait de passer au travers d'un second barrage, il a été abattu par la police. Le lendemain, une cinquantaine de Roms armés de haches déferlaient contre le commissariat ainsi que d’autres bâtiments publics de la ville. C’est en réaction à cet incident que Sarkozy avait alors condamné "le comportement de certains parmi les gens du voyage et les Roms" et annoncé l’expulsion des personnes vivant dans des campements illégaux.

Deux fois plus de Roms en Espagne qu'en France

C’est également à la suite d’un autre incident que Sarkozy a présenté sa deuxième grande initiative de l’été : la déchéance de nationalité pour tout Français "d’origine étrangère" se rendant coupable de crime grave. Tout a commencé après la mort d’un braqueur armé, abattu par des policiers à Grenoble. Cet événement avait été suivi de plusieurs nuits d’émeutes dans les quartiers populaires et immigrés de la ville. "C’est Beyrouth ! Je vous jure, c’est Beyrouth !", s’était exclamée une habitante au milieu du bruit des hélicoptères et des crissements de pneus des voitures de police. Ce genre de flambée de violence peut se produire à tout moment dans certaines régions de France. Même un événement aussi banal que l’arrestation d’un motocycliste peut déclencher une réaction en chaîne se terminant en bataille rangée entre habitants et forces de police.

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Ces incidents ne sont pas une conséquence des vicissitudes inhérentes aux populations immigrées. En réalité, l’Espagne accueille presque deux fois plus de Roms que la France (725 000 contre 400 000 dans la métropole) et le Royaume-Uni en compte 300 000 sur son territoire. Il n’y a qu’en France que de telles tensions existent entre les Roms et l'Etat, ce qui est sans aucun doute une conséquence du système français et de sa relation – ou plutôt de son absence de relation – avec les populations immigrées.

Contrairement au Royaume-Uni, la France n’a pas créé de nouvelles institutions intermédiaires pour assurer la paix sociale. Au Royaume-Uni, l’Etat a mis au point une pléiade de dispositifs pour lutter contre les comportements anti-sociaux avec notamment l’attribution de nouveaux pouvoirs pour les administrations locales et la création de nouveaux représentants de l’autorité (Community support officers).

Une relation militarisée avec la banlieue

Lorsque Sarkozy a introduit le Contrat local de sécurité, il n’a pu que déplorer le peu d’enthousiasme suscité par sa mesure - "22 contrats ont été signés en 2007, huit en 2008 et un en 2009" - alors que les municipalités britanniques auraient sauté sur une telle occasion. La France possède toute la colossale architecture d’un Etat central – les réseaux et les administrations de haut rang – mais ses fonctionnaires sont déconnectés du reste de la société.

Après l’échec de diverses autres tentatives de rapprochement, l’Etat français a de plus en plus militarisé sa relation avec les banlieues dites sensibles. Alors qu’au Royaume-Uni, les Community support officers se promènent dans des vestes mal taillées pour rappeler aux habitants de ne pas jeter leur chewing-gum par terre, en France on envoie tout de suite la brigade anti-criminelle, autrement dit des unités surentraînées aux combats de rue.

Les habitants des quartiers sensibles considèrent ces brigades armées comme les bataillons d’une armée d’invasion. Les jeunes ne sont pas les seuls à réagir ainsi. "Rentrez chez vous !", avait lancé une femme âgée à l’encontre des policiers quadrillant la ville de Grenoble. Après un autre incident, une mère de famille a même été arrêtée pour avoir mordu la jambe d’un policier. Ces confrontations sont devenues une véritable "guerre" entre un puissant appareil d’Etat et une population marginalisée.

Une geste présidentielle sans effet réel sur le quotidien

Ainsi que le souligne le sociologue Denis Muzet, les Roms ont essentiellement pour fonction d’incarner un élément perturbateur auquel l’Etat peut déclarer la guerre. Dans le même temps, la déchéance de nationalité pour les Français "d’origine étrangère" montre clairement que ce sont les comportements d’hostilité contre l’Etat qui sont visés. Cette mesure serait en effet appliquée aux personnes attaquant principalement les représentants de l’Etat, pas seulement les policiers mais presque tous les dépositaires de l’autorité de l’Etat.

En s’en prenant à ces symboles de troubles – Roms ou délinquants -, le gouvernement cherche à envoyer un message à sa base électorale, dont il est également déconnecté. Le problème étant, comme le souligne Denis Muzet, qu’il ne s’agit que d’un "élément de la geste présidentielle sans effet réel sur le quotidien des gens".

Les sondages ont à peine reflété un vague frémissement de l’opinion publique pendant l’été. Tout cela n’était qu’un spectacle que les Français regardaient à la télévision sans se sentir directement concernés. Au final, ces attaques contre des symboles auront surtout pour conséquence d’aggraver les tensions entre l’Etat et les minorités et de creuser le fossé entre les citoyens et les forces de police.

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