Mitrovica (Kosovo), lors des célébrations pour le troisième anniversaire de la déclaration d'indépendance de l'ex-province serbe, le 17 février 2011

L’Europe à l’épreuve du “nation building”

L’ancienne province serbe fête ce 17 février les 5 ans de son indépendance. Alors que la mission civile européenne envisage de quitter le territoire en juin 2014, les élites locales s’avèrent toujours aussi corrompues. Dès lors, la construction d’un Etat de droit à Pristina est-elle une réalité ?

Publié le 15 février 2013 à 15:16
Mitrovica (Kosovo), lors des célébrations pour le troisième anniversaire de la déclaration d'indépendance de l'ex-province serbe, le 17 février 2011

Qui se souvient du Kosovo ? La guerre en 1999. Les bombardements de l'OTAN contre la Serbie. Le déploiement d'une force internationale, la KFOR, et la mise en place d'un protectorat sous l'égide de l'ONU. Puis, le 17 février 2008, la proclamation de l'indépendance, aujourd'hui reconnue par près de 100 pays. Dans la foulée, l'Union européenne (UE) a pris le relais de l'ONU en créant la plus grande mission civile de son histoire, Eulex. En septembre 2012 a pris fin la supervision internationale.
Résumée ainsi, l'histoire paraît linéaire. Elle évoque une émancipation. Mais les détails condamnent à la nuance. Lorsqu'on retourne le nouveau code de procédure pénale, on découvre le logo du département d'Etat américain.

On l'a vu en Afghanistan et en Irak : gagner la paix est bien plus complexe que gagner la guerre. Au Kosovo aussi, la question du "nation building" (construction d'un Etat), de son coût (plus de 600 millions d'euros en cinq ans pour Eulex, la mission européenne de police et de justice) et de ses méthodes, se pose de façon aiguë. Quel est le prix de la stabilité et de la paix tant désirées, après les guerres sanglantes des années 1990 ?
Sur le sujet, le soupçon ne cesse de grandir : l'UE fermerait un oeil dans la lutte contre la corruption et la grande criminalité. La priorité est le dialogue entre le Kosovo et la Serbie, entamé en mars 2011. "Tout le monde semble déçu par Eulex, des Etats membres aux autorités locales", reconnaît le Slovène Samuel Zbogar, représentant spécial de l'UE à Pristina. "Mais il est faux de croire qu'il suffit d'amener des juges et des policiers pour que tout change d'un coup. Il faut du temps."

Empilement administratif chaotique

Les années passent et le débat enfle. A l'automne 2012, la Cour des comptes européenne a rendu un rapport critique sur les résultats d'Eulex. Le ministre allemand de la Défense, Thomas de Maizière, a brisé un tabou diplomatique, estimant que la mission avait besoin "d'un nouveau commencement, de nouvelles personnes, d'une nouvelle structure et d'un nouveau nom". Berlin s'irrite de la présence prolongée de la force de l'OTAN au Kosovo (la KFOR, avec 5 500 soldats), dont près d'un quart d'Allemands.

La première faiblesse d'Eulex est politique : elle doit aider un Etat que cinq membres de l'UE ne reconnaissent pas. La seconde est territoriale. La mission ne peut pas travailler correctement dans les municipalités du nord du Kosovo, peuplées de Serbes. Les voitures officielles d'Eulex ne passent pas toujours les barrages édifiés sur la route. Les témoins sont intimidés ou hostiles à la mission. L'empilement des administrations crée le chaos. Et comment faire respecter la loi si on ne sait laquelle appliquer ?

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Enfin, il y a les singularités du state building. Les expatriés d'Eulex, bien rémunérés (8 000 euros mensuels en moyenne), répondent davantage à leur gouvernement qu'à la hiérarchie. Leur séjour au Kosovo est trop court - un ou deux ans - pour qu'ils connaissent bien les dossiers et la mentalité, même si beaucoup ont travaillé au sein de l'Unmik, la mission des Nations unies au Kosovo.
Leurs collègues kosovars ne sont pas prêts à assurer la relève. Près de 80 % d'entre eux ont été formés sous l'ancien régime yougoslave, puis ont connu des années sans activité. Après une baisse de 25 % des effectifs en 2012, l'idée d'un reformatage d'Eulex est sur la table. La fin de la mission a beau être fixée en juin 2014, elle reste peu probable. La justice kosovare n'a ni la liberté, ni les moyens, ni les compétences pour porter seule les enquêtes sensibles.

Petits poissons et requins

Deux processus ont lieu au Kosovo. Le premier, sous l'égide d'Eulex, consiste à bâtir un Etat de droit. Cela réclame des décennies. Le second est la normalisation des relations entre Belgrade et Pristina avec l'appui de Bruxelles, qui conduira un jour ces pays vers l'UE. Ces deux processus sont inconciliables. Les renseignements dont disposent Eulex et les services occidentaux en matière de corruption et de grande criminalité sont accablants. Ils concernent l'élite politique kosovare, autour du Premier ministre, Hashim Thaci, soit ceux-là mêmes qui portent la charge de la normalisation. Difficile de ne pas faire le parallèle avec le clan du président Karzaï, en Afghanistan.

"Les juges locaux se trouvent sous la pression des politiciens, mais Eulex est sous celle de Bruxelles", résume le chercheur kosovar Shpend Kursani, de l'institut Kipred, auteur d'un rapport sur la mission européenne. "Si la stabilité et l'objectif du dialogue étaient mis en danger par les enquêtes, le bureau de Mme Ashton [haute représentante pour les affaires étrangères de l'UE] dirait quelque chose."
Hashim Thaci est l'homme de l'Occident, faute de mieux. D'autant qu'il existe une carence de personnel politique. Après la guerre, les cadres de l'Armée de libération du Kosovo (UCK), encore jeunes, ont pris le pouvoir. La culture du droit et le bien-être de la population restent des abstractions.
"Seuls les petits poissons vont en prison, pas les requins”, assène Albin Kurti, le leader du mouvement nationaliste Vetëvendosje. Albin Kurti réclame des enseignants et des médecins européens plutôt que des juges et des policiers. Figure de la société civile, Avni Zogiani partage ces doutes sur les motivations d'Eulex.
"On leur a fourni des dossiers, des preuves", dit le directeur de l'organisation COHU, vigie de la lutte contre la corruption. "Ils ont conduit les enquêtes, mais inculpé personne au final. Eulex accorde une impunité à ceux qui, dans l'élite, se montrent obéissants."

Serbie-Kosovo

Pas d’adhésion sans discussion

Le règlement du contentieux entre Belgrade et Pristina est “une condition essentielle pour l’obtention d’une date pour le début des négociations d’adhésion de la Serbie à L’UE, et pour celles sur un accord de stabilisation et d’association entre l’Union et le Kosovo”, rappelle Danas à Belgrade. Les discussions entre les dirigeants des deux pays, entamées en octobre dernier sous l’égide de l’UE, doivent reprendre le 19 février à Bruxelles.
Le Premier ministre serbe Ivica Dačić doit rencontrer son homologue kosovar Hashim Thaci à Bruxelles, en présence du Haut commissaire européen pour les Affaires extérieures Catherine Ashton. Au centre des discussions, explique le quotidien serbe, *“la question du Nord du Kosovo, majoritairement habité par les Serbes qui ne reconnaissent pas les institutions kosovares”.

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