La gauche a perdu sa boussole

Presque partout en Europe, les partis de gauche sont dans l'opposition. Mais dans un monde où l’idéologie disparaît, elle aura du mal à proposer une vraie alternative.

Publié le 22 septembre 2010 à 10:36

Dans certains pays comme l'Allemagne, la France, ou l'Italie, les partis de centre-droit et de droite sont aux commandes depuis plusieurs années. La situation est un peu plus compliquée au Royaume-Uni, où le Parti conservateur gouverne en coalition avec les libéraux-démocrates, que l'on peut qualifier de centre-gauche. Pour compléter ce tableau ajoutons que les partis centristes et de droite ont également remporté les dernières élections européennes.

La domination du centre-droit dans la politique européenne ne résulte pas uniquement de la faiblesse de la gauche. La droite a gagné les élections en Allemagne en 2009, au Royaume-Uni au printemps 2010 et en France en 2007 grâce à des leaders politiques forts et efficaces comme Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, ou David Cameron. De même, la gauche espagnole a réussi à garder le pouvoir grâce à la figure politique bien identifiée de Zapatero.

Pourtant, Sarkozy et Merkel connaissent aujourd'hui des difficultés. Sarkozy perd de sa popularité. La chancelière allemande Angela Merkel était, jusqu'à récemment, considérée comme la femme providentielle de l'Union européenne et de l'Allemagne. Mais la chance politique ne sourit plus à la Frau Germania, qui peine à rallier les Allemands à l'idée de la coalition.

De maigres chances de prendre une revanche

La gauche européenne guette alors une occasion pour reconquérir une partie du terrain perdu dans l'UE. A priori, elle dispose de facteurs qui jouent en sa faveur, comme celui de la crise économique, qui continue à frapper l'Europe, malgré une relative reprise dans une partie de l'Union. Et pourtant, ses véritables chances de prendre une revanche électorale sur la droite sont plutôt maigres. Les socialistes et les sociaux-démocrates manquent d'idées pertinentes pour régler les problèmes qui troublent l'Europe. Plus encore, nos sociétés contemporaines développées connaissent des difficultés que l'on pourrait qualifier de "crises d'un nouveau type", sans couleur idéologique.

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Les deux faits les plus médiatisés ces dernières semaines, à savoir les expulsions du territoire français des Roms, citoyens bulgares et roumains, ainsi que la publication du livre détracteur de l'islam de Thilo Sarrazin, un membre du SPD allemand, semblent corroborer certaines thèses de la droite. Celles selon lesquelles l'Europe n'arrive pas à gérer le problème de l'immigration, que les immigrés ne s'intègrent pas dans les sociétés occidentales et qu'ils manquent de reconnaissance pour la générosité que leur accorde leurs pays d'accueil. Leur présence porterait également atteinte à la sécurité nationale.

Selon cette même rhétorique, l'Europe ne serait quant à elle pas suffisamment investie dans la sauvegarde de son patrimoine culturel et incapable de faire face à l'islam. Pour beaucoup, le fait que ce livre soit de la plume d'un social-démocrate, prouve la fin des idéaux de gauche. Car depuis des décennies, la gauche, tout en combattant le nationalisme et le racisme, prônait la construction d'une société tolérante et multiculturelle.

Le modèle vénézuélien monte en puissance

Les recettes traditionnelles de la gauche ne font pas non plus le poids face aux autres problèmes clés de nos sociétés. Dans le domaine économique, la gauche annonce la fin du modèle économique de la droite, dénommé le néolibéralisme, mais sans proposer de modèle alternatif fiable.

Dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, les méthodes les plus sévères ont été mises en œuvre par les gouvernements de gauche, en Grande-Bretagne, en Allemagne et même en Espagne. En Grande Bretagne, ce sont bien les travaillistes qui ont décidé la participation du pays à la guerre en Irak, en passant outre à la tradition pacifiste de leur famille politique.

L'affaiblissement de la gauche européenne, va de pair avec la montée en puissance, en dehors du Vieux Continent, du modèle d'une gauche beaucoup plus agressive, comme le modèle vénézuélien. Selon de nombreux intellectuels lassés par le capitalisme, l'intérêt de l'idéologie de Hugo Chavez réside dans le fait que, malgré toutes les mesures d'extrême gauche introduites au Venezuela (la nationalisation de la propriété privée et des entreprises, le contrôle des médias, la rhétorique anti-occidentale, en particulier anti-américaine), le dirigeant vénézuélien n'a pas osé introduire dans son pays un système totalitaire basé sur le marxisme-léninisme.

Le déclin des clivages idéologiques affaiblit la gauche

Le Venezuela est en mesure de financer l'exportation de son socialisme excentrique, en préservant les bases d'une économie moderne. Le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, le favori des anticapitalistes, avait, lui aussi, tempéré ses points de vue gauchistes pour mieux assurer la prospérité et la sécurité matérielle au plus grand nombre des Brésiliens. La formule utilisée par Lula est différente de la celle prônée par la gauche traditionnelle et consiste à adapter une économie forte aux besoins de l'Etat.

Ce n'est pas par hasard si les altermondialistes en Europe ou en Amérique s'extasient devant Lula, et non devant Chávez, ou devant le Premier ministre espagnol José Luis Zapatero. Ce dernier étant contraint de limiter son programme de gauche à la seule lutte contre le catholicisme traditionnel et les traditions conservatrices de l'Espagne.

En Europe, le déclin de la division gauche-droite affaiblit la première. En politique, les idéologies comptent de moins en moins. Ce qui importe n'est plus l'appartenance de classe, mais l'appartenance nationale, ou régionale. C'est pourquoi, la route de la gauche européenne vers une reprise du flambeau idéologique en Europe sera longue et semée d’embûches.

Analyse

Une gauche européenne à bout de souffle

"Toute la gauche européenne devrait se rendre en Suède", écritLe Mondedans un éditorial. Pour comprendre le "double séisme politique" [l’entrée de l’extrême droite au Parlement et le très mauvais score du Pari social-démocrate] qui a ébranlé la Suède, "l’inventeur de la social-démocratie moderne et de l’Etat-providence le plus performant du demi-siècle", le quotidien cite les thèses de Raffaele Simone, interviewé dans ses colonnes. Pour le linguiste italien, écrit Le Monde c’est "l’épuisement intellectuel de la gauche qui expliquerait le triomphe de la droite un peu partout sur le Vieux Continent ". Une "gauche qui semble n’avoir rien compris au véritable bouleversement civilisationnel de la victoire de l’individualisme et de la consommation", et qui jusqu’à très récemment "à refuser de discuter de l’immigration de masse et des clandestins". Pour Le Monde, l’immigration contrôlée, "nécessaire au maintien de l’Etat-providence dans nos sociétés vieillissantes suppose un immense effort d’insertion qui n’a pas été fait." Cet effort a un coût, poursuit le journal : "L’Etat-providence à l’européenne ne survivrait-il qu’en en faisant moins dans ses domaines traditionnels – santé, retraites – et plus dans sa nouvelle tâche : l’insertion des immigrés ?" C’est, pour Le Monde, la question essentielle qui a été posée à Stockholm.

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