Et le gagnant est... Beppe Grillo

En fédérant les nombreux déçus de la politique traditionnelle, l’ancien comique a privé la coalition de gauche de Pier Luigi Bersani d’une victoire considérée comme acquise. ll va désormais falloir compter avec ce nouvel acteur aussi incontournable qu’imprévisible.

Publié le 26 février 2013 à 10:47

Ce qui est sûr, dans ces élections, c'est que Beppe Grillo a gagné. Et c'est peu dire. Les urnes ont produit un soulèvement de masse contre les élites. Au moins un électeur sur quatre a voté pour la liste du comique barbu, souvent sans avoir eu la courtoisie de l’annoncer aux instituts de sondage, considérés eux aussi comme faisant partie de l'élite. Et on ne peut pas tout réduire à une question de tripes, même si celles-ci se révoltent d'autant plus qu'elle sont vides. Ici, il y a du sentiment, pas que du ressentiment. Il y a l'espoir désespéré que les parlementaires du Mouvement 5 étoiles [le parti de Grillo] soient différents, qu'ils ne s'en mettent pas plein les poches, mais, surtout, qu'ils écoutent : les autres ne le faisaient plus.
C'est comme si, depuis mille bureaux s'était levé le cri de mille solitudes reliées entre elles par les câbles des ordinateurs. Une émotion virtuelle qui, avec le temps, est devenue une manifestation de protestation réunissant des individus qui s'estiment incompris et dominés par l'ombre sourde de trop de centres d'intérêt : la Caste des politiques, des journalistes, des banquiers, des pistonnés.

Les poches pleines de tickets-cadeaux

Chaque membre de la communauté de Grillo a une histoire et un échec différent : celui qui a perdu ou n'a jamais trouvé d'emploi, ou la confiance en l'avenir, dans l'Etat et dans les corps intermédiaires, comme les partis et les syndicats. Ils ne détestent pas la politique, mais ceux qui font ce métier depuis trop longtemps, sans en avoir la compétence ni l'autorité morale.
Autour de ces solitudes désolées, il y avait un vide d'attention et Grillo l'a rempli. D'abord avec un “Vaffanculo” ["Va te faire foutre"], puis, avec une série de propositions concrètes et une bonne dose d'utopie. Il a dessiné des paysages que chacun a ensuite colorié comme il voulait. Du point de vue de la composition sociale, son mouvement est une franchise : à Turin, on y trouve les alternatifs qui veulent abattre le capitalisme ; à Bergame, les petits patrons de PME en délicatesse avec le fisc ; à Palerme, les désespérés et les allergiques à toute forme d'oppression publique ou privée. Là où il y a un mal-être, Grillo a mis à disposition un format et un visage, le sien.

Les professionnels de la politique n'ont pas su ou peut-être pas pu offrir une alternative. Il aurait suffi de faire une auto-réforme ne serait-ce que digne, quelques coupes dans les coûts et le nombre des parlementaires, une campagne électorale qui ne parle pas que de chiffres, mais aussi d'environnement, de vie, d'avenir. Au contraire, ils ont débité des chiffres froids, discuté de Mme Merkel et marmonné des métaphores incompréhensibles, perdus qu'ils étaient dans leur univers.

Sur la Terre, il ne restait qu'un vieil impresario, les poches pleines de tickets-cadeaux pour le monde des rêves et un bouffon qui a si bien étudié le mécanisme de séduction de Berlusconi qu'il est parvenu à le sublimer. Grillo a choisi le langage du spectacle, le seul que les Italiens montrent qu’ils comprennent, après 20 ans de vide.

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Des extraterrestres à la vue aiguisée

Mais il a choisi de l'utiliser pour dire des choses sérieuses, aidé en cela par sa popularité, son énergie et même ses défauts. Même la sélection de candidats inconnus et peu représentatifs s'est révélée être un point de force. Si, parmi les nombreuses nouvelles offres politiques, la seule qui ait cartonné est la sienne, c'est aussi parce que — à la différence du chef du gouvernement sortant, le technicien Mario Monti et de l'ancien juge [anti-mafia] Antonio Ingroia — il ne l'avait pas farcie de pseudo-personnalités, de froids technocrates et de notables poussiéreux.

Parmi les supporters de Grillo on trouve de tout : du rêveur pragmatique au victimiste chronique. Mais parmi les nombreux électeurs de la dernière heure, il y a, je pense, la fusion de deux humeurs apparemment opposées. D'un côté, le désir passionnel de faire s’effondrer le système, dans l'espoir qu'une nouvelle classe dirigeante puisse sortir des ruines des différentes Castes. De l'autre, le calcul rationnel qui consiste à envoyer au Parlement un groupe d'extraterrestres à la vue aiguisée, qui surveillera de près les magouilles du pouvoir.

Et maintenant ? Le mouvement des fiables contrôleurs de gestion est tellement nouveau qu'il reste mystérieux, même pour ceux qui ont voté pour lui. Grillo est maître absolu de cette équipe ou il n'en est que l'arbitre, qui veille au respect des règles et décide les expulsions ? Les parlementaires recevront des ordres de lui ou, comme ils l'assurent en choeur, uniquement du peuple de l'Internet, auxquels ils soumettront chaque proposition, de celle d'un improbable accord de gouvernement au nom du prochain chef de l'Etat ?

La seule question qu'il est vraiment idiot de se poser, c'est de savoir si les électeurs du Mouvement 5 étoiles sont de droite ou de gauche. Grillo n'a pas pris de voix aux autres partis. Il s'est limité à ramasser ceux qu'ils ont laissé tomber. Et la prochaine fois, ils pourraient être encore plus nombreux.

Commentaire

Un vote eurosceptique

“Un vote choc, il n’y a pas de majorité”, constate le Corriere della Sera au lendemain du vote qui a vu la coalition de gauche remporter la majorité absolue à la Chambre des députés, mais pas au Sénat, ainsi que l'affirmation du Mouvement 5 étoiles du comique Beppe Grillo. Pour l'éditorialiste Massimo Franco, "c'est une Italie eurosceptique qui l'a emporté, du moins vis-à-vis de la politique de la rigueur" :

Un troisième pôle est sorti de terre, mais ce n'est pas celui de Mario Monti : modéré, européen, pro-gouvernemental. C'est au contraire celui radical, protestataire et populiste de Beppe Grillo, qui a obtenu des pourcentages surprenants. Mais à côté du comique qui est parvenu à obtenir un quart des voix, il y a un autre gagnant : Silvio Berlusconi, qui a parié sur sa propre survie. Et il a réussi, grâce à une série de listes satellites qui lui ont fait frôler la majorité relative des sièges au Sénat et une victoire éclatante à la Chambre des députés. […]
C'est comme si l'Italie avait intériorisé l'idée d'une suspension de la démocratie et qu'elle s'était refusée à analyser les reflets internationaux du vote. Pire : elle a décidé de les défier, allant dans le sens des humeurs hostiles à une austérité jugée non pas pour ses effets bénéfiques sur les comptes publics, mais pour ceux négatifs sur la croissance et sur l'emploi. Monti paie le prix de ses choix controversés, de l'impopularité et de l'inexpérience. Faute d'accord entre les partis pour mener certaines réformes, la perspective d'une législature courte, voire très courte, deviendrait dangereusement vraisemblable. Avec le risque d'une mise sous tutelle bien plus traumatique que celle ressentie ces derniers mois.

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