L'islam, nouvel épouventail de la droite populiste européenne.

La naissance de l’Europe extrémiste

Les nationalistes et les partis hostiles aux immigrés deviennent des éléments incontournables de la vie politique européenne. Et les partis traditionnellement au centre s’efforcent de jouer leur jeu, souligne Denis McShane, député travailliste britannique et ancien ministre pour l’Europe.

Publié le 5 octobre 2010 à 14:27
L'islam, nouvel épouventail de la droite populiste européenne.

Ce n’est pas la première fois que la Suède joue les précurseurs politiques en Europe. Pendant des décennies, elle a incarné le modèle mêlant libre échange et solidarité sociale, modèle qui est devenu l’idéal européen. Ce qui n'est plus le cas aujourd’hui. A l’issue des législatives du mois dernier, les électeurs suédois ont rejoint leurs voisins européens moins heureux et ont tourné le dos à la politique traditionnelle.

C’est donc au tour des robustes Suédois d’avoir fait entrer au Parlement un groupe de politiciens obsessionnels qui dénoncent ce qu’ils considèrent comme une perte d’identité nationale et s’emportent contre les immigrés qui, selon eux, menacent leur “suédité”. D’où l’irruption d’une nouvelle politique en Europe.

Il y a une dizaine d’années, l’extrémisme était marginalisé. Aujourd’hui, il constitue une force parlementaire et commence à modifier la façon de se comporter et de s’exprimer d’autres formations.

"Non" ! : la nouvelle politique identitaire européenne

Depuis la chute du Mur, l’Europe n’est plus confrontée à une menace reconnue comme commune. Ne parvenant pas à s’entendre sur l’idée que l’Alliance atlantique puisse être une priorité absolue, la politique a perdu ses repères. La politique de la Gemeinschaft (la communauté) se substitue à celle de la Gesellschaft (la société).

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Ceux qui imputent leurs malheurs nationaux aux immigrés — ou à l’énergie nucléaire, ou à l’UE, aux musulmans, aux juifs, à l’économie de marché, ou aux Etats-Unis — s’unissent au sein de nouvelles communautés politiques, qui portent toutes tort à la société. Pour gouverner une société, il est nécessaire de parvenir à un compromis et de choisir des priorités. Or, la nouvelle politique identitaire en Europe se résume à un seul cri : “Non !”

La décadence des partis centristes au pouvoir est accélérée par des systèmes électoraux européens fondés sur la représentation proportionnelle, qui permet même à de petits partis d’obtenir des sièges. Ce qui empêche désormais l’émergence de toute direction cohérente. Les dernières élections à la proportionnelle ont été le théâtre de l’ascension de partis nationalistes et anti-immigrés.

Certains, comme le Jobbik hongrois, sont antisémites. En Europe de l’Est, la droite nationaliste cherche à atténuer l’importance de l’Holocauste en comparant les crimes du communisme européen à l’extermination industrialisée des juifs dans les camps de la mort nazis.

La plus grande région démocratique du monde est aujourd’hui le terreau fertile de l’extrême droite. Les chiffres électoraux les plus récents font état de 11,9 % en France (Front National), 8,3 % en Italie (Ligue du Nord), 15,5 % aux Pays-Bas (Parti pour la Liberté), 28,9 % en Suisse (Union démocratique du Centre), 16,7 % en Hongrie (Jobbik) et 22,9 % en Norvège (Parti du Progrès).

On trouve également des formations d’extrême droite importante en Belgique, en Lettonie, en Slovaquie et en Slovénie. Le soutien considérable dont ils disposent menace sérieusement la légitimité des partis traditionnels et érode la confiance en soi des formations autrefois dominante de la politique de l’après-guerre.

Le spectacle d’un centriste comme Sarkozy flirtant avec la marge

Et il est impossible d’isoler ces nouveaux partis. En France, le président Sarkozy, se cherchant un second souffle populiste pour redorer son blason politique, a lancé une campagne d’expulsions contre la minorité rom. Même ses partisans ont été choqués par la brutalité du principe qui consiste à rassembler une minorité ethnique pour la déporter. Viviane Reding, membre de la Commission Européenne, a comparé les expulsions à celles des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement français a émis un démenti cinglant, mais il ne fait aucun doute que le spectacle d’un centriste comme Sarkozy flirtant avec la marge devrait se répéter à l’avenir.

Le déclin des partis au pouvoir sape le projet européen. Après avoir passé une décennie à s’agiter et s’affoler au sujet de sa constitution, les élites de l’UE à Bruxelles n’ont aucune solution face à la lente désintégration des partis politiques nationaux.

L’idée d’une Europe unie a besoin de partis nationaux capables de rassembler le soutien de la majorité, même quand il s’agit de confier de plus grands pouvoirs à l’élite de l’UE, laquelle peine encore à se faire respecter. La classe gouvernante de Bruxelles, nombriliste et divisée, règlemente une économie régionale fragile qui compte aujourd’hui 23 millions de chômeurs. Et elle ne dispose d’aucun plan d’attaque.

Le vide au sommet de l'UE, une cible de choix pour l'extrême droite

Le vide que l’on constate au sommet de l’UE constitue une autre cible de choix pour l’extrême droite. Dans les années 60, quand la croissance était vigoureuse en Europe, les travailleurs immigrés étaient considérés comme une valeur ajoutée pour les économies nationales — actuellement, en phase de déclin économique, on leur reproche de venir voler des emplois. Et l’on accuse les frontières nouvellement ouvertes de l’Union de laisser passer les étrangers.

Au niveau national, les partis de droite passent à l’attaque. Et les communautés régionales comme les nationalistes catalans, flamands ou écossais ne veulent plus faire partie de l’Espagne, de la Belgique ou du Royaume-Uni. Quant au rêve d’un libéralisme économique et social commun remplaçant les atavismes d’une politique centrée sur la nation, ils sont paralysés.

Les électeurs en quête de communauté et d’identité refaçonnent la vie politique en Europe. Ceux qui pensent que ce nouveau populisme est en train de ramener la politique au fascisme d’avant la guerre sont trop alarmistes. La démocratie européenne reste forte, peut-être un peu trop, tandis que les partis politiques se fragmentent et que la cacophonie se fait plus virulente.

Pour les mêmes raisons, “l’Eurabie”, la conquête de l’Europe par les musulmans, n’est qu’un mythe. La majorité des 20 millions de musulmans d’Europe aspirent au mode de vie de la classe moyenne européenne, et s’ils sont de plus en plus nombreux, ils ne sont pas sur le point de devenir plus qu’une minorité supplémentaire dans aucun pays de l’Union. Ce dont l’Europe a besoin, c’est d’une direction sûre d’elle, capable d’unir ses communautés dissociées derrière un projet à même de dire autre chose que “non”.

Pays-Bas

Ouverture du procès Geert Wilders

Le 4 octobre s’est ouvert à Amsterdam le procès contre le leader du Parti pour la liberté (PVV) Geert Wilders. Le député islamophobe, qui a offert son soutien au gouvernement de droite en cours de formation, est accusé d’instigation à la haine envers les musulmans. Il a en effet qualifié l’islam de "fasciste" et a réclamé l’interdiction du Coran, qu’il a comparé à Mein Kampf d’Adolf Hitler. Wilders, qui risque un an de prison ou 7 600 euros d’amende, a demandé la récusation de ses juges, explique NRC Handelsblad. Il s'est également prévalu de "son droit au silence" devant la cour, et a déclaré qu'avec lui, "c’est la liberté d’expression de beaucoup de Néerlandais qui est poursuivie en justice" et que "la démocratie a besoin d’un débat ouvert et libre, surtout sur des sujets sensibles".

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