Beppe Grillo se prépare à envahir l’Europe

Le Mouvement 5 étoiles du comique blogueur a été la révélation des élections de fin février. Son programme anti-establisment et ses méthodes de “démocratie numérique” sont partagées par de nombreuses formations en Europe, qui pourraient faire front commun lors des élections européennes de 2014.

Publié le 20 mars 2013 à 12:14

Beppe Grillo a un objectif : l’Europe. Alors que la politique italienne peine à se remettre du tsunami qui vient de la secouer, chez lui, à Gênes, le leader du Mouvement 5 Étoiles vole déjà par la pensée au-delà des frontières. Son objectif déclaré est désormais d’exporter son expérience vers d’autres pays européens où la crise politique et économique est semblable à celle que traverse l’Italie. “Nous ne pouvons pas penser que nous avons fait tout ça pour nous arrêter ici, à Rome. On doit aller plus loin et notre objectif, c’est Strasbourg en 2014, le Parlement européen. Parce qu’il y a une nécessité similaire à celle de l’Italie et parce que si nous prenons pied en Europe, ce sera un changement déterminant pour toute notre époque”, a-t-il déclaré à ses partisans.

Velléitaire ou visionnaire ? Ces dernières semaines, l’objectif est devenu nettement plus concret depuis que les discussions sur le réseau social Meetup se sont étendues au-delà des frontières et des langues. Une “révolution”, disent les participants, “une espèce de Mai ’68 qui aurait la Toile pour vecteur”. “Nous venons tout juste de commencer”, expliquent Grillo et les siens à ceux qui les écoutent ces jours-ci, et qui ne sont pas aussi nombreux qu’on pourrait le croire : le Mouvement 5 étoiles (M5E) a des contacts surtout dans les pays de l’Est — en Slovaquie, Roumanie et Bulgarie. Mais ses regards se tournent particulièrement vers la Grèce, l’Espagne, le Portugal : “C’est en ce sens que je répète que nous venons à peine de commencer”.

Unir le mouvement

Les thèmes du mouvement, c’est d’abord l’environnement et, tout autant, la décroissance. Les groupes visés sont les Indignados, mais aussi les Verts allemands. Pas les extrémistes de droite ou de gauche, comme les Grecs d’Aube dorée ou de Syriza, ou du Front national en France. Plutôt, comme en Italie, ces millions de citoyens liés par des batailles communes plutôt que par des idéologies ou des appartenances, des Européens qui n’ont pas trouvé jusqu’à maintenant une “maison” politique qui leur ressemble. Des modérés, des jeunes, mais pas seulement, comme en Italie. “Il est évident que le nom “5 étoiles” ne sera pas revendiqué mais les programmes et les modes d’action sont exactement les mêmes. Dans chaque pays, ils trouveront leurs représentants”.

En Europe, la presse reste divisée au sujet de Grillo. Manuel Castells, de La Vanguardia écrit que “le caractère expérimental de ce projet qui s’en prend à la politique traditionnelle est bien clair. Il a été soutenu par des millions de personnes et par une grande partie des jeunes qui s’identifient avec le désir de sortir de l’impasse des manipulations et de l’opacité engendrées par la délégation des pouvoirs. Or ce sentiment de distance croissante entre les société civiles et les institutions politiques se répand  aussi en Espagne”.

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L’Espagne, justement. Un des points de départ de ce que pourrait être la propagation des idées du M5E en Europe. Le 15 octobre 2011, les rues et les places s’étaient remplies de jeunes qui réclamaient un monde nouveau. C’étaient les Indignados espagnols, les Indignés français ou les Occupy Wall Strett américains. Ils étaient des milliers. En Italie, il y eut quelques magasins pillés, la police matraqua ici et là, et puis plus rien.

Que sont devenues ces protestations ? On ne les a plus entendues, elles se sont épanchées sur les réseaux sociaux, dans l’attente de s’organiser à nouveau. L’Italie, le pays qui interprète chaque phénomène politique d’une manière bien à lui, s’est retrouvé non plus avec des Indignés dans les rues mais avec un mouvement qui voulait entrer dans les institutions. Et c’est ce qu’il a fait.

Aujourd’hui le nouveau défi, c’est de se faire le vecteur d’un langage commun qui unisse le mouvement à travers l’Europe et au-delà, et qui, comme disent les amis de Beppe Grillo, soit constructif. Radical dans ses discours, mais respectueux des institutions. “Aucune hospitalité” disent ses proches, “ni aux extrémistes, ni aux racistes, parce que les ‘vaffanculo’ et les ‘qu’ils s’en aillent tous !’ ne servent plus. L’heure est à l’entrée au Parlement”. Ils ajoutent : “Un bouleversement de la situation politique contemporaine est en cours et ça passe par une remise en valeur du politique”.

Rendez-vous en 2014

À l’étranger, les réactions sont très diverses :  “L’Italie n’a pas seulement fait entrer les clowns”, dit Jonathan Hopkin, professeur de politique comparée à la London School of Economics sur Foreign Affairs. Il répond fermement à The Economist, qui avait vu dans l’avancée de Grillo et le énième retour de Berlusconi, un lamentable duo de comédie à l’Italienne.  

Ce n’est pas seulement un défi lancé contre la politique d’austérité mais aussi, contre le système traditionnel des partis. La crise économique y a contribué, mais l’offensive de Grillo contre une classe politique corrompue et égoïste était déjà dans l’air avant le début du déclin”, dit Hopkin : “Dans toute l’Europe, l’adhésion aux partis politiques est à son niveau le plus bas depuis la Seconde guerre mondiale”. La preuve en serait le succès du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni, du parti Pirate en Suède, du parti anti-Islam de Geert Wilders aux Pays-Bas et de partis populistes comme le Front national en France. Il conclut : “L’Italie pourrait ouvrir la voie à un changement qui concerne l’Europe toute entière”.

Jamais jusqu’à ce jour un parti contre l’austérité n’avait remporté les élections dans un pays européen, pas depuis que la grande crise économique a débarqué sur le Vieux continent. L’Espagne de  Mariano Rajoy et le Portugal de Pedro Passos Coelho sont des  États où la rigueur a toujours été la règle. Il y a seulement une semaine, le Premier ministre portugais écrivait un long  post sur Facebook - qu’il signait Pedro - demandant encore une fois à son peuple de faire des sacrifices. Il a reçu plus de 36 000 réponses et l’une d’elle, citant l’ancien président américain Ronald Reagan, s’est taillée un franc succès : “N’espérez pas que la solution vienne du gouvernement. Le gouvernement, c’est le problème”.

La lassitude est profonde, dans les pays d’une Europe qui demande depuis des années que l’on se serre la ceinture. La proposition du Mouvement 5 étoiles est de créer une Union européenne qui sache expliquer clairement ses choix à ses concitoyens. “Je n’ai jamais dit que je veux être dans ou hors de l’euro”, affirme Grillo. “Ce que je veux, ce sont des informations correctes. Je veux un plan B, un plan de survie pour les dix prochaines années. Ensuite, par référendum, nous déciderons. D’abord il faut informer : essayons de comprendre ce que sont les coûts et les bénéfices. A peine l’avais-je suggéré qu’on m’a lancé : ‘Tu es un démagogue, un fou, tu veux entraîner l’Italie à la faillite, tu es un irresponsable’. Seulement parce que j’ai dit qu’il fallait examiner cette hypothèse”.

Mais cette idée rassemble  beaucoup d’Italiens et d’Européens qui voient l’Union  comme quelque chose de lointain, perdue de vue là-bas à l’Assemblée de Bruxelles ou au Parlement de Strasbourg. Et cette nouvelle tentative de dialogue à l’italienne pourrait plaire à beaucoup. Ainsi , à l’heure où tout le monde regarde avec inquiétude le Parlement italien, certains pensent déjà aux élections européennes. Rendez-vous en 2014.

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