Un obstacle de taille sur le chemin de l'UE : le chef des hooligans serbes, le 12 octobre dans le stade de Gênes (Italie), lors de la rencontre Italie-Serbie.

Le bras violent de la yougostalgie

Alors que la candidature de la Serbie à l'UE doit être examinée à la fin du mois, la tension qu’entretiennent les ultranationalistes monte dangereusement, comme l'ont démontré les récentes attaques des hooligans serbes contre la gay pride de Belgrade et lors du match Italie-Serbie, à Gênes.

Publié le 13 octobre 2010 à 12:35
Un obstacle de taille sur le chemin de l'UE : le chef des hooligans serbes, le 12 octobre dans le stade de Gênes (Italie), lors de la rencontre Italie-Serbie.

"Cekamo vas", "On vous attend". Ce slogan, tracé en lettres majuscules sur les murs de Belgrade, accompagné de gouttes de sang dessinées à la peinture rouge, n’a probablement pas échappé à Hillary Clinton quand, le 12 octobre, la secrétaire d’État américaine a traversé pour la première fois le pont sur la Save, là où la rivière se jette dans le Danube et où la Pannonie rencontre les Balkans.

Une menace qui n’était pas à prendre à la légère : dimanche dernier, des groupes de l’extrême droite nationaliste et des hooligans serbes – qui ont de nombreux points communs avec les agitateurs qui ont perturbé un match à Gênes[voir ci-dessous] – ont mis la capitale à feu et sang en manifestant contre la Gay pride. Un signal désastreux d’intolérance venant d’un pays dont la demande d'adhésion à l'Union européenne doit être examinée par les Vingt-Sept le 25 octobre prochain.

Mais madame Clinton a salué l’engagement des forces de police et du président Boris Tadic : "personne", a-t-elle dit – "n’a fait autant d’efforts que la Serbie et ses dirigeants pour se rapprocher de l’Europe". Washington soutient les aspirations européennes de Belgrade qui, après des années de revanchisme, a accepté le dialogue avec le Kosovo et attend le moment opportun, – c’est-à-dire une contrepartie politique consistante – pour arrêter Ratko Mladic, le général qui a massacré 8 000 musulmans à Srebrenica en 1995.

Un univers balkanique commun résiste

[Les entreprises italiennes] Fiat, ENI et demain Finmeccanica jouent un rôle crucial en Serbie. Avec les investissements de Fiat dans l’ex-Zastava, l’usine historique de la ville de Kragujevac, la Serbie pourrait produire dans quelques années plus de 200 000 voitures et exporter des véhicules pour une valeur d’1,3 milliard d’euros par an, soit presque 20% du total des exportations de la Serbie en 2009. Dix ans après la chute de Slobodan Milosevic, le 5 octobre 2000, cette nouvelle est une des plus attendues dans un pays où le taux de chômage est de 30% et où la main-d’œuvre coûte deux fois moins cher qu'en Pologne.

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Les investissements étrangers, plus de 10 milliards d'euros ces dix dernières années – une somme respectable – constituent le levier d’une économie qui se prépare à privatiser Telekom Serbie (1milliard d'euros). Mais pour décoller, Belgrade a aussi besoin pour ses infrastructures de l’argent de Bruxelles ainsi que de la collaboration de ses anciens ennemis.

La Yougoslavie n’existe plus, mais un univers balkanique commun résiste, une "Yougosphère" - néologisme inventé par The Economist : un espace commercial et industriel où Slovènes, Croates et Serbes ont déposé les armes et ont recommencé à coopérer. La preuve la plus récente est la joint venture à trois qui a permis de rouvrir la ligne de chemin de fer aux convois de marchandise le long du Corridor pan-européen numéro 10.

Jamais Belgrade ne reconnaîtra l'indépendance du Kosovo

Mais les grandes stratégies sur l’échiquier serbe concernent surtout les pipelines. C’est probablement par là que passera le premier tronçon européen du South Stream, le gazoduc russe réalisé en joint venture avec l'ENI et la Turquie, dans laquelle pourraient entrer aussi les Allemands. La compagnie Serbijagas, solidement liée à la russe Gazprom, a annoncé qu’elle était prête à mettre en route les chantiers de la partie onshore de South Stream dès la fin 2012.

Ceci lui assurerait un net avantage sur Nabucco, l'autre méga-projet de transport de gaz vers l’Europe soutenu par les Américains et par l’UE, qui veut contourner la Russie en puisant directement dans les gisements de la Caspienne et en apportant le gaz jusqu’en Autriche, et s’affranchir ainsi de Moscou. Cette logique est diamétralement opposée à celle du South Stream, qui devrait au contraire approvisionner l’Europe en gaz russe en contournant l’Ukraine et la Biélorussie, empêtrées dans d’exténuants contentieux gaziers avec Moscou.

Mieux vaut être l'ami de Washington que celui de Moscou

Dix ans après la chute de Milosevic, la mosaïque balkanique est encore fragmentée par les séquelles d’un passé qui semble résister au changement. La Bosnie sort à peine d’une campagne électorale qui a confirmé les divisions ethniques, le Kosovo, dans l’attente d’élections anticipées, s’efforce de surnager dans une brume d’instabilité et Boris Tadic a déclaré le 12 octobre que "Jamais Belgrade ne reconnaitra son indépendance".

Les Etats-Unis ont en main de bons arguments pour convaincre Tadic qu’il vaut mieux être l’ami de Washington que celui de Moscou. La secrétaire d’Etat est disposée à sponsoriser, outre l’entrée dans l’Union européenne, son rattachement à l’OTAN. Un pas décisif pour les fournitures militaires d’une armée qui change de visage : le service militaire obligatoire a été aboli et la Vojska serbe deviendra à partir de 2011 une force professionnelle destinée de plus en plus à des missions internationales.

Les Européens, tout comme l'OTAN, les Américains, le Russes et les pays voisins attendent de Belgrade qu’elle fasse ses preuves. "Cekamo vas", "on vous attend", pouvons-nous répondre aux Serbes, mais loin cette fois des scénarios belliqueux, avec moins d’intolérance et sans yougo-nostalgie. Le nom de domaine ".yu", qui pendant dix ans a continué à perdre des morceaux sur les cartes géographiques, vient juste d’être officiellement supprimé sur l'Internet, une fin numérique qui ouvre peut-être la voie à une nouvelle génération de Serbes.

Vu de Serbie

Les ultras nationalistes, un obstacle sur la voie de l'UE

"La Serbie mérite une voie préférentielle pour l'UE", titre Blic au lendemain de la visite d'Hillary Clinton à Belgrade. A cette occasion, rapporte le quotidien de la capitale serbe, la secrétaire d'Etat américaine a assuré le président Boris Tadic du soutien de Washington "pour que la Serbie atteigne son objectif : rejoindre l'Union européenne". Tadic doit toutefois faire face à un obstacle interne, noteLa Repubblica : les hooligans serbes qui, en l'espace de quelques jours, ont défrayé la chronique. D'abord, en "mettant à feu et à sang la capitale" à l'occasion de la Gay pride qui s'est déroulée à Belgrade le 10 octobre. "Quelques-uns ont été arrêtés", note le quotidien romain, "*m*ais le gros s'est déplacé, avec couteaux, barres de fer et fumigènes, à Gènes pour le match entre leur équipe nationale 'adorée' et l'Italie", le 12. Les organisateurs ont dû interrompre le match. "Cette racaille a fini par se souder avec les milieux les plus rétifs de la droite nationaliste, comme le mouvement Obraz", observe La Repubblica. Leur objectif, selon Milan Petrovic, un journalsite de Blic cité par le quotidien italien, "est politique : il s'agit de créer autant de problèmes que possible à Tadic et à son gouvernement. Et un climat d'instabilité qui devrait, dans leurs intentions, amener le pays au plus vite vers des élections anticipées".

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