Le vrai procès de la NSU reste à faire

A peine ouvert, le procès de cinq membres du groupuscule néo-nazi a de nouveau été reporté. Mais il ne faut ni s’attendre à toute la lumière sur le terrorisme d’extrême droite, ni oublier le vrai scandale de cette affaire : l’incompétence et l’aveuglement des autorités.

Publié le 7 mai 2013 à 15:28

Le procès qui s’est ouvert le 6 mai à Munich [et a été suspendu à la demande de la défense] n’est pas le procès de la NSU [Nationalsozialistischer Untergrund, Clandestinité nationale-socialiste]. Pas plus que le procès de Nuremberg de 1945-46 ou le procès d’Auschwitz à Francfort, de 1963 à 19­65, n’ont été les procès du national-socialisme, et pas plus que le procès de Stammheim (1975-77) n’a été celui de la Fraction armée rouge.

Chaque fois, il s’est agi – et c’est le cas encore aujourd’hui – de juger des accusés individuels, nazis et terroristes de droite et de gauche. Munich sera le procès de Beate Zschäpe et d’autres néonazis. Rien de plus, rien de moins. Un tribunal a la capacité et le devoir de déterminer la responsabilité individuelle de chacun et de punir les coupables – il n’est pas habilité à juger une époque ou une idéologie, ni son enracinement dans la population.

Cela peut en décevoir plus d’un. Car ceux qui se présentent à la barre sont généralement des individus tristes, déboussolés, butés – ni impressionnants, ni monstrueux, mais très petits. Si on les regarde dans les yeux, on ne voit pas le mal et ses mobiles.

Obstination coupable

C’est pourquoi le battage suscité par le procès de Munich bien avant son ouverture est un peu exagéré. Car ce procès, qui semble déjà vain, ne permettra pas de dévoiler ce qu’attend avec avidité une partie de l’opinion. Il dote inévitablement la principale accusée d’une personnalité intéressante et énigmatique qu’elle n’a visiblement pas – d’après ce que l’on sait, malgré son silence. Encore une fois, le mal est banal, et l’on refuse de l’accepter.

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

C’est ainsi que l’opinion, aussi scrutatrice soit-elle, risque de ne pas voir le vrai scandale. Le scandale, c’est qu’il a fallu toutes ces années pour comprendre et élucider les meurtres de la NSU – alors que le mobile, comme il est aisé de s’en rendre compte a posteriori, était limpide.

De 2000 à 2006 au moins, des meurtriers ont sillonné l’Allemagne, assassinant des gens très clairement pour la seule raison qu’ils étaient d’origine étrangère ou d’anciens immigrés. Les motivations racistes de ces homicides sautent aux yeux aujourd’hui. On sait aujourd’hui qu’il aurait dû être clair, après le deuxième, au plus tard après le troisième meurtre, dans quelle direction il fallait orienter l’enquête : vers les milieux d’extrême-droite.

Au lieu de quoi, les services chargés de l’enquête se sont obstinément attardés sur une autre piste. Certes, ils avaient fait le lien entre les neuf homicides, mais ce lien jetait d’emblée le discrédit sur les victimes, sans aucune justification, les assimilant à des malfaiteurs. Si tous sont étrangers ou d’origine étrangère, supposait-on, il y a de fortes chances qu’ils soient eux-mêmes des criminels. Encore une fois, le fait qu’il s’agissait d’un acte d’ostracisme délirant saute aux yeux a posteriori : les victimes ont été dissociées des Allemands de souche qui, eux, sont intègres et ne fraient pas avec les criminels.

Le fait que sept des neuf personnes assassinées étaient des entrepreneurs n’a pas été interprété comme le signe de la réussite de ces immigrés qui avaient eu le courage de se mettre à leur compte, mais simplement comme un indice laissant supposer qu’il s’agissait forcément d’affaires louches et que les individus assassinés étaient sans doute les victimes de règlements de comptes au sein de la communauté turque. Les néologismes associés à l’affaire – "Döner-Morde" [littéralement, "meurtres de vendeurs de kébab"] , "commission ‘Bosphore’" [pour désigner la commission chargée de l’enquête] – parlent d’eux-mêmes, avec leurs consonances réductrices et diffamantes.

Evidence ignorée

Cette consternante méconnaissance de la réalité, les ratés de l’enquête, la destruction abracadabrante de documents et l’échec de l’Office de la protection de la Constitution, notamment en Thuringe, ont hélas permis à la série de se poursuivre.

Le président du tribunal munichois a sa part de responsabilité dans le ridicule dans lequel se retrouve la justice allemande. Il n’a pas saisi la perche que lui tendait la Cour constitutionnelle – de libérer trois places supplémentaires pour les journalistes turcs [dans la salle d’audience]. En essayant de tenir ainsi les journalistes judiciaires à l’écart, il a une nouvelle fois fait la preuve qu’il n’avait pas saisi toute l’importance de ce procès.

Aucun autre pays au monde ne s’est confronté de manière aussi systématique et volontaire à un lourd passé criminel. On le doit à des fonctionnaires infatigables, par exemple l’ancien procureur général de Hesse, Fritz Bauer, un juif revenu s’installer en Allemagne et sans qui le procès d’Auschwitz à Francfort n’aurait pas eu lieu. Et le mérite en revient également à une opinion qui a osé le débat et qui – tardivement, certes – a fait du national-socialisme un passé qui ne peut et ne doit pas être occulté. C’est une bonne chose, et le pays peut en être fier.

Pour autant, cette conscience du passé et cette autocritique n’ont pas empêché la justice et les médias de garder des œillères pendant des années et de passer à côté de l’évidence au sujet de ces homicides. Il n’est pas facile de conjuguer au présent les leçons du passé.

Portrait

Beate Zschäpe ou la banalité du mal

Beate Zschäpe n’est pas uniquement un des membres fondateurs de la NSU : elle en est le "visage", explique Der Spiegel. Zschäpe est accusée du meurtre, entre 2000 et 2007, de huit personnes d’origine turque, d’une personne d’origine grecque, de l’attentat meurtrier contre deux policiers et de complicité dans un attentat à la bombe, à Cologne.
Fille d’une Allemande et d’un Roumain, née en 1975 à Iéna, en Thuringe, elle est élevée par sa grand-mère après que ses parents l’ont abandonnée. Sa "vraie famille", ce seront les terroristes néo-nazis Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt, avec qui elle a eu une relation sentimentale et auprès desquels "elle est devenue une criminelle", ajoute le magazine.
Dans les années 1990, ce trio inséparable faisait partie du Thuringer Heimatschutz (Protection de la patrie thuringoise), la plus importante organisation néo-nazie de la région. Ensemble, ils profanent des mémoriaux de victimes du nazisme et louent un garage pour y fabriquer des explosifs, rapporte le Spiegel.

Mais le rôle de Beate Zschäpe était avant tout de sauver les apparences, note le magazine :

Elle s’occupait de la façade. Elle jouait le rôle de l’aimable voisine, de l’amie loyale et de la colocataire serviable. Avec son caractère ouvert et sympathique, elle inspirait confiance. [...] On pourrait penser que Zschäpe avait cette soif intarissable de normalité dans la clandestinité.

Tags
Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet