Silvio Berlusconi, le 2 juin 2010 à Rome

Le pouvoir, à utiliser avec modération

Ceux qui détiennent le pouvoir ont la tentation permanente d'en abuser : c'est pour cela que les Constitutions regorgent de garde-fous. Mais, comme le démontrent plusieurs cas récents - notamment en Italie - il arrive que les puissants plient ces règles dans leur intérêt exclusif.

Publié le 4 novembre 2010 à 14:22
Silvio Berlusconi, le 2 juin 2010 à Rome

On ne peut se passer du pouvoir, c'est pourquoi il faut le limiter. Hannah Arendt écrivait que le pouvoir n'a pas besoin de justification puisqu'il est "inhérent à toute communauté politique". Ce dont il a besoin, c'est de légitimité. L'exercice régulé et public du pouvoir politique permet de le limiter tout en l’accordant le mieux possible avec la légitimité et la liberté individuelle, c'est-à-dire avec les principes et la pratique de la démocratie constitutionnelle.

Hannah Arendt écrivait ceci en 1971, commentant ce que l'opinion publique américaine était alors en train de découvrir, grâce à la presse : un ensemble d'abus systématiques du pouvoir mis en œuvre par la Maison-Blanche pour couvrir le rôle des services secrets et du Département d'État en Indochine et au Vietnam depuis la Seconde guerre mondiale.

L'abus de pouvoir est un fait extrêmement grave : il détruit la communauté politique en réduisant les citoyens à l’état de sujets ; en les mettant dans la situation de ne pas savoir et donc de ne pas pouvoir juger avec compétence, il laisse à ceux qui gouvernent l’extraordinaire liberté de faire ce qu'ils veulent. L'abus mine à la racine la confiance sans laquelle il ne peut y avoir de relations politiques dans une société fondée sur le droit.

L'exercice du pouvoir pousse à en abuser

Le libéralisme s’est saisi plus ou moins bien de ce problème par ce que, d'un côté, il admet que le pouvoir est nécessaire et de l'autre que son exercice stimule chez les hommes une propension à ne jamais en avoir assez et donc à en abuser. Le pouvoir alimente la passion pour le pouvoir avec une escalade fatale vers le monopole. Les constitutions modernes partent toutes du principe qu'il faut toujours s'attendre à des abus de la part de celui qui exerce le pouvoir. C'est pourquoi elles institutionnalisent les fonctions publiques et enserrent le pouvoir politique dans des règles rigides et claires.

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À partir de cette conception libérale, l'idée a pris forme que l'unique légitimité que le pouvoir politique puisse acquérir est celle qui est issue du respect des garanties des libertés individuelles et donc de la limitation et du contrôle du pouvoir (limitation dans sa durée et dans son intensité grâce aux élections, aux contrôles de constitutionnalité et à la division des pouvoirs) à travers des contraintes dont celui qui gouverne ne peut s’exempter.

Violer les limites de la décence que cette liberté impose revient à se mettre hors-la-loi (un acte de sédition qui poussa John Locke à justifier la désobéissance et la rébellion, ajoutant que malheureusement les peuples ont davantage de capacité à subir les abus qu'à se rebeller contre ceux-ci). Le pouvoir, lorsqu'il se fait arbitraire n'est plus un pouvoir politique. C'est une domination absolue et donc une force nue qui fait de celui qui la subit un être asservi : c’est là toute la différence entre domination et gouvernement.

Le cas italien est plus sordide et avilissant

Les réflexions d’Hannah Arendt s’adaptent à merveille à ce qui se passe en Italie. Le fait qu’au lieu d'une guerre injuste il s'agisse ici de relations érotiques avec des mineures et des jeunes femmes ne change pas la nature de l'arbitraire. Tout au plus il le rend plus sordide et plus avilissant. Dans le cas italien aussi, la manipulation, le maquillage des faits et la dissimulation sont les armes utilisées par un gouvernement qui a instauré une "cellule de crise" pour réécrire "la vérité du président du Conseil sur l'appel téléphonique à la préfecture de police" [afin de demander la remise en liberté d’une prostituée mineure].

A la dissimulation de la vérité s'est ajouté un bouleversement calculé des faits qui, par plusieurs aspects, met en mauvaise posture l'Italie et ses relations internationales : dans l'appel téléphonique destiné à convaincre qu'il fallait relâcher la mineure il a été dit que la jeune fille était la nièce du président égyptien Hosni Moubarak. Le président du conseil italien utilise son autorité de garant de l'intérêt national pour couvrir ses comportements illicites. Abus donc dans tous les sens du terme, affront envers son pays et mise en cause mensongère d'un Etat étranger.

Dans une démocratie constitutionnelle le chef du gouvernement et les ministres (le pouvoir exécutif) reçoivent leur légitimité du pacte fondateur qui dicte les règles de leur désignation, de leur durée. Mais aussi, si nécessaire, de leur destitution, afin qu'ils puissent être soumis à la justice ordinaire "pour des délits commis dans l'exercice de leurs fonctions". Ces règles et ces limites qualifient l’action politique en tant qu’action publique, et établissent que cette action appartient à la communauté politique et non à celui qui l’exerce. Celui-ci ne peut substituer ses jugements personnels aux modalités définies par la loi dans ses relations avec les institutions.

Or l’abus bloque la dimension publique du pouvoir en faisant de son exercice un fait absolument privé. Et c'est là que le pouvoir devient une force brute, un pouvoir discrétionnaire entre les mains de celui qui le manipule comme un instrument de privilèges. Lors qu’un l’homme d’Etat viole les normes qui régulent son action, il confisque le pouvoir et le plie à ses intérêts.

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