Tempête sur l’Atlantique

Après l'harmonie qui a suivi la crise bancaire, les politiques économiques de l’Europe et des Etats-Unis divergent à nouveau. Le manque de coordination menace la stabilité de la reprise. Mais le sommet UE-Etats-Unis de Lisbonne, le 20 novembre, offrira l’occasion de rétablir l’entente.

Publié le 11 novembre 2010 à 12:34

Le sommet du G20, les 11 et 12 novembre à Séoul, a lieu alors que la coordination internationale connaît une phase de fortes turbulences. Le ralentissement de l'économie américaine et la décision d'adopter une politique monétaire agressive font penser que Washington cherchera à se décharger sur les autres du coût du rééquilibrage mondial. Le point le plus préoccupant est la rapide détérioration des rapports économiques entre les Etats-Unis et l'Europe.

Aussitôt après Séoul, les Etats-Unis et l'UE se rencontreront à Lisbonne pour un sommetque le bon sens aurait situé avant - et non après - celui du G20. Or il s'agit d'un sommet trop important pour qu'il soit relégué au second plan. La détérioration des relations entre les Etats-Unis et l'Europe est dramatique au regard de ce qu'elle était dans les douze mois qui ont suivi la crise de Lehmann Brothers, une sorte d' "âge d'or" de la gouvernance mondiale, dont le renforcement était considéré comme indispensable tant par les Etats-Unis que par l'Europe.

Une coopération dans un nouveau cadre mondial

La coopération s'est reflétée dans le développement des institutions mondiales de gouvernance économique, si bien que, à l'époque du G20 de Londres, en avril 2009, au pire moment de la crise économique, le cadre de coopération tout entier, y compris la convergence sur la nécessité d'une stimulation fiscale, avait semblé avoir trouvé des bases de discussion solides.

L'entente entre les Etats-Unis et l'Europe a commencé à se détériorer fin 2009, puis en 2010. Ausommet du G20 de Toronto, les divergences ont été majeures : les Européens demandaient la mise en œuvre de stratégies de sortie des politiques de relance, certains que des déficits supplémentaires et de nouveaux apports de liquidités déstabiliseraient l'économie. Les Américains, par contre, considéraient que la croissance des Etats-Unis était en péril et demandaient un renforcement des stimulations.

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En 2009-2010, on a vu que le grand rebond de l'économie américaine n'était pas soutenable et, dès que les conditions économiques aux Etats-Unis ont commencé à se dissocier de celles de l'Europe, la "coopération accidentelle" s'est terminée et on en est revenu aux divergences politiques de ces dix dernières années.

Une interprétation plus prudente serait que les Etats-Unis et l'Europe n'ont pas encore calibré leur coopération en fonction du nouveau cadre mondial issu de la crise. Ce cadre se caractérise par trois facteurs : le poids différent de l'économie transatlantique ; la relation entre croissance et politiques fiscales sur le long terme ; la nécessité de mettre en place des politiques nationales et régionales qui tenant compte des déséquilibres mondiaux.

L'agenda transatlantique est-il encore crédible?

La gouvernance mondiale sort de la crise transformée. Le G20 a remplacé le G7 en tant que lieu de rencontre privilégié entre gouvernements et banques centrales. La coordination monétaire est maintenant centrée sur le Comité de Bâle, avec 34 banques centrales, et non plus sur le G10. Le Conseil de stabilité financièrea élargi le nombre de pays membres bien au-delà du G7, enfin le Fonds monétaire international est en train de revoir son système de quotas de capitaux en réduisant le poids des Européens.

Les Etats-Unis et l'Europe doivent encore calibrer leurs rapports dans ce nouveau cadre. Par exemple, il est impossible de raisonner aujourd'hui sur le change euro-dollar sans prendre en considération le rôle du yuan. S'ils le faisaient, les Etats-Unis et l'Europe redécouvriraient l'utilité de coopérer.

Inévitablement, les Etats-Unis et l'Europe vont devoir se poser la question de "qui soutiendra la consommation" et une fois encore ils devront l'un et l'autre regarder de manière coordonnée vers les économies émergentes. Mais la coordination des politiques économiques ne peut fonctionner que si les exigences de rééquilibrage global sont respectées par les politiques nationales.

Or c'est exactement ce qui ne fonctionne toujours pas. Au sommet de Lisbonne, les Etats-Unis et l'Europe devront s'accorder sur le refus du protectionnisme, ils s'engageront à abaisser les barrières aux échanges de technologies, en particulier celles qui concernent l'environnement. Enfin ils déclareront leur engagement commun dans l'innovation pour la défense des emplois. Mais les Etats-Unis et l'Europe devront, pour être crédibles, faire preuve de cohérence interne. Or, pour l'instant, les signaux ne sont pas ceux que l'on attend.

Même si le sommet Etats-Unis-Europe de Lisbonne n'est pas le lieu pour des négociations monétaires, un engagement sur la coordination des politiques doit être publiquement pris par Washington, de même que l'Union européenne devrait s'y présenter avec un cadre de gouvernement économique crédible. Sans des engagements qui tiennent compte des effets des politiques locales sur les pays tiers, l'agenda transatlantique risque de perdre définitivement sa crédibilité.

G20

L'Europe sur un strapontin

Le G20 de Seoul "n’est que l’un des exemples qui démontrent clairement comment le centre de gravité du monde a basculé de l’arène euro-Atlantique à la région trans-Pacifique",estime la Frankfurter Allgemeine Zeitung, au moment où s’ouvre dans la capitale sud-coréenne le sommet des pays les plus industrialisés. Ce sont les Européens qui ont poussé pour que l’organisme censé "faciliter" les politiques économiques internationales comprenne les pays émergents, note le quotidien allemand. Or, "ils se rendent à présent compte que ceux dont ils avaient plaidé la cause ne sont pas si accommodants ni aussi prêts à partager les responsabilités globales qu’il l’avaient espéré".

Ainsi, les Européens "auront plus de mal à bâtir des coalitions pour défendre leurs intérêts et obtenir un consensus". Une tâche d’autant plus difficile que "l’UE est toujours divisée et qu’elle a un problème de représentativité". Autre conséquence, note cette fois Slate.fr, l’Europe assiste en spectateur à la "guerre des monnaies". La raison, explique le webzine, en est en partie le manque de souplesse des traités et les positions de la Banque centrale européenne souvent considérées comme trop rigides. Mais "le grand problème de ce côté-ci de l’Atlantique est l’absence réelle de pensée économique. Tout ce qu’on demande à un Etat ou à une banque centrale, c’est de ne rien faire quand tout va bien et d’intervenir vigoureusement quand tout va mal. Dans ce schéma, l’Europe est forcément mauvaise : elle est encore plus difficile à manœuvrer qu’un Etat national et donc elle est toujours trop présente ou trop absente."

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