Pour le Premier ministre Brian Cowen, l'Irlande peut se passer du plan de sauvetage.

Renflouez l’Irlande, pas ses élites

Les ministres des Finances de l’UE se sont réunis le 16 novembre pour chercher une solution à la crise de la dette irlandaise. Mais, prévient l’éditorialiste irlandais Fintan O’Toole, le renflouement de l’économie du pays ne pourra fonctionner sans une reprise en main de ses institutions politiques.

Publié le 16 novembre 2010 à 15:35
Pour le Premier ministre Brian Cowen, l'Irlande peut se passer du plan de sauvetage.

On ne sait pas encore quand il aura lieu, mais le renflouement de l’Irlande ne représente pas qu’un tournant dans notre histoire. C’est aussi un moment décisif pour l’Union européenne. Dans sa façon de gérer notre vilain petit Etat, l’UE va être mise à l’épreuve.

C’est là qu’elle va montrer si elle est encore un projet social et politique, bâti sur le legs de la Seconde Guerre mondiale, ou si elle n’est rien d’autre qu’un véhicule supplémentaire pour les intérêts étriqués des riches.

Quoi qu’en dise le gouvernement (du reste, qui peut croire tout ce qui nous parvient de cette source ?), la question essentielle au sujet du renflouement n’est pas de savoir s’il va se produire, mais dans quelles conditions. Quel est le taux d’intérêt ? Pendant combien de temps l’Irlande devra-t-elle rembourser, et quand devra-t-elle avoir atteint l’objectif mythique du déficit budgétaire de 3 % ?

Personne n'a intérêt à voir son voisin imploser

On pourrait considérer qu’il s’agit là de questions fiscales techniques. En réalité, elles sont aussi politiques que morales. Elles touchent au cœur même du projet européen.

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L’UE existe parce que nous avons appris une leçon de la plus horrible des façons, parce que nous avons vécu l’ascension de la barbarie et le conflit le plus destructeur de l’histoire de l’humanité.

Cette leçon s’exprime en termes simples : l’intérêt national de chaque pays d’Europe est lié au bien-être de tous les autres. Et, en termes encore plus simples, il n’est dans l’intérêt de personne de voir son voisin imploser.

Trop fragiles pour subir la fessée

L’Etat qui en est le plus conscient est celui qui tient notre destin entre ses mains : l’Allemagne. Les Allemands ont connu deux expériences extrêmement contrastées de ce qu’il advient quand on adopte un mauvais comportement.

A la fin de la Première Guerre mondiale, il avait été décidé de les châtier, de leur donner une leçon. Tout le monde connaît le résultat : une Allemagne dangereuse et qui a basculé dans la démence.

Par conséquent, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’Allemagne s’était comportée de manière encore plus abominable, il aurait été tentant de la punir encore plus sévèrement. A l’origine, il avait été envisagé de la clouer au sol, réaction qui se justifiait pleinement. Mais la mémoire et la sagesse ont prévalu. Au lieu de cela, on a aidé l’Allemagne à se relever.

Nous sommes trop fragiles pour qu’on nous administre la fessée. Nous n’avons pas besoin qu’on nous châtie, mais qu’on nous tende la main. Et l’Allemagne elle-même n’est pas tout à fait irréprochable. La crise est sans aucun doute née de nos propres idioties. Mais ce sont les banques allemandes qui ont été les plus enthousiastes quand il s’est agi de nous prêter dans les années de prospérité.

Et Angela Merkel aurait pu nous éviter bien des ennuis si elle avait dit en septembre 2008 ce qu’elle a déclaré la semaine dernière au sujet des obligataires qui devaient récolter leur part du fardeau. Pour nous, c’est un peu tard que l’Allemagne découvre la folie de l’opération de sauvetage des banques.

Népotisme, ineptie et combines politiques

La question fondamentale dépasse cependant de loin la nécessité de pointer du doigt les responsables, et touche à la raison d’être de l’UE. Le socle même de l’Union est en jeu, les principes d’intérêt personnel éclairé, de solidarité, d’égalité et de justice. Il serait stupide sur le plan économique de punir le peuple irlandais, en particulier les plus vulnérables, qui seront les plus durement touchés par la destruction des services publics.

Mais l’autre partie de l’accord est tout aussi importante. Il ne sert à rien de nous renflouer si cela a seulement pour effet de maintenir en place les systèmes et la culture politique qui ont accouché de ce désastre.

L’UE aurait beau effacer toute notre dette d’un seul coup, dans dix ans, nous nous retrouverions encore en proie à la crise. Pour le dire crûment, nous sommes incapables de nous gouverner nous-mêmes avec nos institutions et nos attitudes actuelles.

Par conséquent, un renflouement équitable et rationnel, avec de faibles taux d’intérêt et un délai de dix ans, devrait s’accompagner d’une révolution dans nos institutions politiques, dans notre moralité publique et nos systèmes de gouvernance. Un contribuable allemand pourrait à juste titre conclure que si ceux que l’on sauve n’ont tiré aucune leçon des conséquences de leurs actes, ils vont croire qu’ils peuvent recommencer quand ils veulent.

Et voilà donc l’autre question que doit se poser l’UE : est-ce un pays que l’on renfloue, ou un système usé, où règnent népotisme, ineptie et combines politiques ? Dans le premier cas, l’UE aura passé un test vital. Dans le deuxième, les Allemands auraient plutôt intérêt à garder leur argent dans leur tirelire.

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