L’Europe se casse les dents sur les cookies

Les efforts de Bruxelles pour réglementer les fichiers-espions qui suivent la navigation des internautes sont battus en brèche par les lobbies des sites commerciaux et le manque d'entente des Etats membres.

Publié le 25 novembre 2010 à 12:49

L’Union européenne, qui se pose en fer de lance de la protection de la vie privée sur Internet, a adopté l’année dernièreune directive en vertu de laquelle les entreprises doivent obtenir le consentement des internautes avant de placer des fichiers de suivi (cookies) sur leurs ordinateurs. Il ne tient plus qu’aux Etats membres de la mettre en vigueur.

Mais les sociétés Internet, les publicitaires, les législateurs, les défenseurs de la vie privée et les pays membres de l’UE ne parviennent pas à s’entendre sur l’interprétation du texte. Suffit-il que les utilisateurs acceptent les cookies au moment où ils configurent leur navigateur ? Faut-il donner le feu vert à un plan, soutenu par les entreprises, qui permettrait aux internautes d’avoir accès aux informations les concernant — et d’en refuser éventuellement la diffusion ? L’utilisateur doit-il à chaque fois cocher une case pour que les cookies puissent être introduits dans son ordinateur ?

Le no man's land de la protection des consommateurs sur Internet

“Nous nous trouvons actuellement dans une sorte de no man’s land”, déplore Bridget Treacy, qui dirige le pôle vie privée au cabinet d’avocats Hunton & Williams, au Royaume-Uni. Bruxelles promet des clarifications pour le début de l’année prochaine.

Les 27 Etats membres sont censés transposer la réglementation européenne dans leur droit national d’ici mai prochain. Mais chaque pays est libre d’interpréter le texte à sa guise, ce qui ouvre la voie à un casse-tête monstrueux sous forme de normes contradictoires. Résultat : il est fort probable qu’aucun changement de taille n’intervienne.

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Les autorités européennes se considèrent à la pointe du combat pour la sécurité des consommateurs, notamment en matière de produits chimiques et d’organismes génétiquement modifiés.

Mais la mise en place de protections effectives sur un Internet sans frontières et en constante évolution s’avère une autre paire de manches. La saga a commencé il y a plus de vingt ans, quand les députés européens se sont proposés de refondre la réglementation sur les cookies.

Ces petits fichiers texte, placés sur un ordinateur par les sites Internet, mémorisent ouvertures de session, mots de passe et préférences, ce qui est commode pour l’utilisateur. Mais ils permettent également de suivre les faits et gestes de l'internaute en ligne. Les sites marchands se fondent sur ces historiques de navigation pour adresser des publicités ciblées.

En vertu de l’ancienne réglementation, ils sont tenus de donner aux consommateurs la possibilité de refuser les cookies, en général en choisissant un réglage sur le navigateur [opt out].

Mais une commission dirigée par Alexander Alvaro, un eurodéputé allemand, a proposé dans la nouvelle directive que l'utilisateur autorise expressément l’introduction des cookies [opt in]. Un avant-projet a ainsi été élaboré, dans lequel il est précisé qu’un cookie ne pourrait être placé sans le “consentement préalable” de l’utilisateur.

La publicité en ligne, un marché de 14,7 milliards d'euros

Cette disposition inquiète les professionnels européens de la publicité sur Internet, par lesquels, en 2009, ont été dépensés 14,7 milliards d’euros pour la publicité en ligne, selon l’Interactive Advertising Bureau (IAB), l’association pour la promotion de la publicité en ligne. La règle du consentement préalable est “inacceptable pour nous”, affirme Kimon Zobas, le vice-président de l’IAB Europe.

M. Zorbas et ses collègues ont fait pression sur les décideurs. Les tractations se sont poursuivies jusqu’à la dernière minute, avant l’adoption du texte par le Parlement européen en mai dernier. Une disposition stipulant qu’un réglage du navigateur autorisant les cookies constituerait un “consentement préalable” a été édulcorée et mise en annexe.

Pour les agences de publicité, le changement de formulation signifie qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir l’approbation pour chaque cookie et que les réglages du navigateur suffisent.

Les défenseurs de la vie privée ne l’entendent pas de cette oreille. Selon l’eurodéputé grec Stavros Lambrinidis, la directive vise à assurer qu’“aucun cookie, aucun logiciel espion, bref que rien ne pénètre dans votre ordinateur et votre travail sans que vous ne soyez au courant et que vous l’autorisiez”.

Neelie Kroes, la commissaire à la Stratégie numérique, semble suivre une voie médiane. Mme Kroes propose une auto-réglementation par le secteur via des principes directeurs applicables à l’ensemble de l’Europe.

Le 16 décembre, les publicitaires entreprendront d’expliquer la proposition aux organisations de défense des consommateurs et de protection de la vie privée. Mme Kroes donnera sa réponse en début d’année, promet un porte-parole. Le débat sur la directive se poursuit dans les 27 Etats membres.

Les autorités de tutelle nationales devraient se contenter de se conformer à la directive européenne. De leur côté, les publicitaires, les portails internet et les producteurs de navigateurs suivent tout cela de très près.

Max Colchester à Paris à collaboré à cet article.

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