Mon pays a changé d’ADN

Au fur et à mesure qu’ils ont connu une prospérité inégalée grâce à la manne pétrolière, les Norvégiens ont abandonné la solidarité et l’égalité pour le libéralisme et le repli, regrette un célèbre écrivain. Les législatives du 9 septembre devraient être le reflet de cette évolution.

Publié le 9 septembre 2013 à 07:58

A mes yeux, la forme de la molécule d’ADN a une beauté étonnante. Voir la double hélice, les spirales qui s’enroulent les unes autour des autres, les liaisons formées par les paires de bases, c’est comme découvrir la condition de toute vie. L’ADN fait penser aux gènes, à notre génotype, et c’est à partir de cette association que je souhaite maintenant aborder la politique.

Bien que ce soit une simplification politique, nombre de mes compatriotes font le lien entre l’évolution presque inconcevable de notre pays vers une plus grande prospérité et une meilleure qualité de vie durant les décennies après 1945 et le Parti travailliste norvégien [Det norske Arbeiderparti - initialement abrégé DnA, aujourd’hui AP]. Pour plusieurs générations d’après-guerre, l’équation DnA = DNA [ADN en norvégien] n’était donc pas incongrue.

Dans son ouvrage Contre le vide moral : Restaurons la social-démocratie, l’historien Tony Judt affirme qu’il n’a jamais été observé de progrès plus flagrants que ceux qui ont caractérisé la période consensuelle de la social-démocratie.

Rares sont ceux qui associeraient aujourd’hui le parti travailliste à l’ADN. Il semblerait en effet que le A pour travail de son sigle DnA ait été remplacé par un B pour banque [DNB est une grande banque norvégienne].

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Notre ADN a changé

Autrefois, l’idée était de prendre un peu aux riches pour donner aux pauvres. Maintenant, tout le monde doit devenir riche. Notre génotype moral a donc changé. Aux efforts collectifs en faveur d’une répartition équitable des richesses s’est substituée une course individuelle au gain financier.

Cette critique ne s’adresse pas uniquement au Parti travailliste. Les efforts politiques des pays nordiques après la guerre avaient ceci d’admirable qu’ils visaient à trouver une alternative au socialisme et au capitalisme, une sorte de troisième voie. Aujourd’hui, cette quête semble avoir été abandonnée. La mentalité DNB a pris le dessus.

Il n’y a pas si longtemps, il nous paraissait évident que les activités fondamentales de la société (éducation, services de santé, soins aux personnes âgées, transports en commun, recherche, infrastructures) puissent être maintenues avec d’autres incitations que le seul gain financier. Aujourd’hui, l’aspect commercial a même fait irruption dans ces sphères, avec l’idée de privatiser tous azimuts.

Nous ne voyons pas que nous sommes en train de dilapider notre patrimoine – la foi dans les principes moraux que sont l’égalité, la justice, la solidarité – et d’introduire à leur place la seule notion de liberté. Et comme nous n’avons plus de débat idéologique, mais une politique-spectacle avec concours du plus beau stand électoral, il n’y a plus grand monde pour comprendre que ce sont deux modèles de société différents. Car plus de liberté implique toujours moins d’égalité, plus de liberté accroît les différences entre les individus.

Norvège SA

Ce qui me manque le plus, c’est de pouvoir régler son compte au dogme “plus de croissance”. A cette idée que la croissance peut se poursuivre à l’infini et que le plus important pour une nation est de réaliser un bénéfice élevé. D’une société, la Norvège s’est transformée en entreprise : Norge AS [Norvège SA].

Mais qu’est-ce que nous sommes devenus riches ! Tellement riches que nous en sommes presque anesthésiés. Le reste du monde n’existe pas. Il est ainsi symptomatique de voir le peu d’intérêt que porte la campagne électorale actuelle à la politique internationale et à l’état de la planète.

Nous montrons notre désapprobation lorsque nous sommes dans des pays où les riches se sont construit des enclaves pour en exclure d’autres individus, plus pauvres. Mais nous ne voyons pas que c’est ce que nous faisons, nous aussi. Toute la Norvège est en train de devenir une telle enclave ; bientôt, il ne nous manquera plus qu’un haut mur le long de la frontière, surmonté d’éclats de verre.

C’est le pétrole, cette aubaine fabuleuse, qui nous a rendus si prospères, si gâtés. Mais le bonheur exige de museler la conscience. Passe encore que nous nous enrichissions davantage durant les guerres ou que, comme l’écrivait Aftenposten dans un éditorial le 3 août dernier : “Lorsque cela va mal dans le monde, la Norvège se porte souvent bien.” Il est plus difficile de fermer les yeux sur tous les dommages que cause la production pétrolière et gazière à l’atmosphère.

Economie vulnérable

Presque chaque jour, nous lisons dans la presse que le dérèglement climatique exige une nouvelle économie. Une chose est sûre : la Norvège ne se battra pas pour cette cause. Un tel changement de cap serait tellement impopulaire que nos dirigeants n’osent pas le proposer.

Ils se contentent de mesures symboliques et d’une “taxe carbone” qui ne diminue d’aucune manière le rythme d’extraction. Certes, les responsables politiques évoquent leur obligation d’œuvrer pour une économie sans CO2, mais, en coulisse, ils s’efforcent de trouver et d’exploiter les derniers gisements de gaz et de pétrole.

Et la majorité des Norvégiens les soutient. Qui souhaite vraiment une convention internationale contraignante sur le climat qui freinerait le développement de la production pétrolière norvégienne ? Qui veut d’une évolution susceptible de faire diminuer le prix du pétrole, ce qui provoquerait un déclin de l’économie norvégienne, accompagné d’un chômage élevé et d’une baisse de la prospérité ?

Notre richesse basée sur le pétrole est extrêmement vulnérable. Aussi essayons nous d’occulter le dilemme moral qu’elle implique. Même si nous sommes conscients des répercussions négatives de la production d’hydrocarbures.

Ne devrions-nous pas envisager une politique prônant un changement radical de système ? Pourquoi ne votons-nous pas tous pour des candidats qui soutiennent cette cause ?
Parce que nous voulons toujours plus. Parce que ce n’est pas l’ADN qui dirige le pays mais, au sens figuré, la DNB. La Norvège est devenue une banque, ce qui pose aussi un problème démocratique.

Elections norvégiennes 2013

Au revoir les sociaux-démocrates ?

Après huit ans au pouvoir, la coalition entre les Sociaux-démocrates du Premier ministre sortant Jens Stoltenberg et les Verts devrait sortir battue des législatives du 9 septembre. Selon Aftenposten, les derniers sondages indiquent que 40,8% des électeurs vont voter pour elle, contre 54,6% qui choisiront la coalition de centre-droit menée par la conservatrice Erna Solberg, qui comprend les populistes anti-immigration du Parti du progrès (FrP), donné troisième dans les intentions de vote.
La campagne a été axée sur l’utilisation de la manne pétrolière et sur les solutions une fois qu’elle se sera tarie, explique pour sa part Dagbladet, ainsi que l’introduction d’un impôt sur la fortune et la réforme du système de santé.

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