Le poste frontière de Bendery, entre la Transnistrie et la Moldavie.

L’UE ira-t-elle jusqu’au Dniestr ?

Chişinău s’apprête à signer un accord d’association avec l’Union européenne et aimerait entraîner dans son sillage la région sécessionniste de Transnistrie, qui souhaite demeurer dans le giron russe. Sur les rives du Dniestr, on craint une reprise de la violence armée.

Publié le 12 septembre 2013 à 11:24
Dieter Zirnig  | Le poste frontière de Bendery, entre la Transnistrie et la Moldavie.

"Attention ! You are leaving the European sector" ["Attention ! Vous quittez le secteur européen"], annoncent des panneaux à Varniţa. Les récents mouvements de troupes dans ce village frontalier ont réveillé les craintes d’un nouveau conflit sur le Dniestr. N’oublions pas que la Transnistrie abrite, à Kolbasna précisément, le plus grand dépôt d’armement conventionnel de l’Europe de l’Est. Et, accessoirement, que les gazoducs russes qui alimentent en gaz la Roumanie et la Bulgarie passent par la Transnistrie. Ils sont gérés par Tiraspoltransgaz, société contrôlée par Gazprom.
A Chişinău , on parle en ce moment de la résolution du conflit avec la région sécessionniste dans le contexte du processus d’intégration européenne de la Moldavie. Sur la rive ouest du Dniestr, on semble considérer que cet objectif est idéal et que le chemin qui y mène devrait rendre Chişinău plus attractif sur la rive est. De quel genre d’attrait peut-on réellement parler ?
[[La Moldavie pourrait apporter à la Transnistrie un double bénéfice économique : les fonds européens et l’accès aux marchés occidentaux]]. "
La situation économique est précaire en Transnistrie. Tiraspol (la capitale) est intéressée par l’argent de l’UE, les fonds européens destinés à renforcer la confiance entre les parties y sont d’ores et déjà considérés comme une source de développement interne"*, déclarait récemment un responsable de Bruxelles. Les "dons étrangers" représentent 75 % du budget de la région, les exportations, 25 %. N’étant pas reconnue au niveau international, ses exportations passent par des entreprises enregistrées auprès de la chambre de commerce de Chişinău – et bénéficient ainsi des "préférences commerciales autonomes" (PCA) accordées à la Moldavie par l’UE. Les PCA disparaîtront toutefois à la fin de cette année, lors de l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange approfondi et complet (ZLSAC) entre l’UE et la Moldavie.

Vers une nouvelle entente

Selon un rapport réalisé en 2012 par le centre d’analyses indépendant Expert Grup, près de 40 % des exportations de la Transnistrie (métaux et produits métallurgiques, énergie et produits de l’industrie légère) concernent l’UE – essentiellement la Roumanie, mais aussi l’Italie et l’Allemagne. La valeur totale des échanges entre la Roumanie et la région séparatiste avoisinerait les 31 millions d’euros par an. Si le gouvernement de Tiraspol refuse de coopérer avec Chişinău sur la mise en place des conditions requises par l’accord ZLSAC, dont la signature est prévue en novembre prochain, lors du sommet du Partenariat oriental à Vilnius (les 28 et 29 novembre), les agents économiques de Transnistrie risquent de rester en dehors de la nouvelle entente, et l’UE devra appliquer des droits de douane de 17 %.
Ces stimulants économiques peuvent-ils changer radicalement les comportements politiques de cette région majoritairement russophone? Alors que la Moldavie espère signer ce fameux accord de Vilnius, Tiraspol agite la menace de sa "loi sur la frontière d’Etat". Adoptée par le "soviet suprême" de Tiraspol le 23 mai et approuvée le 10 juin par le président Evgueni Chevtchouk, elle redessine les limites du territoire sous la souveraineté de la République moldave du Dniestr. Tiraspol a donc annoncé – froissant Chişinău, l’OSCE, l’UE et le Conseil de l’Europe – la création de points de contrôle le long de la frontière, sous trois mois à partir de la promulgation, soit le 10 septembre.

Postes de contrôle

Varniţa, une des localités que l’on trouve sur la nouvelle carte (à 17 kilomètres de Tiraspol et 65 de Chişinău), est actuellement sous la juridiction du gouvernement de Chişinău. Au printemps, les résidents se sont opposés à l’installation, effectuée de nuit à l’aide d’une grue, d’un poste de contrôle douanier par les autorités de Tiraspol. Dans ses rapports avec les deux autorités, le village de Varniţa est divisé. Sur les 700 retraités qui y vivent, 500 perçoivent leur pension de Tiraspol, en roubles transnistriens, les autres de Chişinău (en lei moldaves). Les premiers perçoivent l’équivalent de 123 euros, les seconds de 52 euros. Certains habitants ont renoncé à leur passeport moldave en faveur du passeport de Transnistrie [avec lequel on ne peut traverser les frontières internationales] pour pouvoir toucher un salaire plus élevé de 30 % à Tighina (Bender), malgré les deux postes de contrôle à franchir.
A leur tour, les autorités de Chişinău parlent déjà, depuis mars 2013, d’installer des postes-frontières avec la région sécessionniste. D’après la presse russophone locale, cela répond à la décision de ces autorités d’imposer un visa d’entrée aux résidents de Transnistrie détenteurs de passeports russes ou ukrainiens [soit la majorité de la population]. [[Il est vrai que le contrôle des migrations à la frontière administrative sur le Dniestr est une condition de la libéralisation du régime de visas avec l’UE]], mais l’étendue de la zone de sécurité – 255 kilomètres – peut constituer un obstacle à sa mise en place. Il est très possible que Tiraspol entrave la mise en œuvre des mesures exigées par l’UE sur le Dniestr. L’apparition de nouveaux postes de type Checkpoint Charlie [l’un des points de passage entre Berlin-Ouest et Berlin-Est pendant la Guerre froide] sur la ligne du Dniestr sera perçue par Tiraspol comme une défaite face à l’Union européenne et comme un recul en matière de reconnaissance internationale.

*Dépôt qui, avec la présence de la 14ème armée russe, a joué un rôle non négligeable lors de la guerre civile qui a éclaté quand la région de Transnistrie, russophone, a décrété son indépendance en 1991.

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