Idées L’état de l’Union

Un discours dans le vide ?

Le discours annuel sur l’état de l’Union européenne, prononcé ce 11 septembre par le président de la Commission José Manuel Barroso, suscite peu d’intérêt auprès des Européens. Un curieux paradoxe, car l’Europe n’a jamais eu autant de place dans leurs vies.

Publié le 11 septembre 2013 à 15:50

Depuis des décennies, les présidents américains ont pris l’habitude de présenter l’état de l’Union au début d’une nouvelle année. Dans un discours rassembleur devant le Congrès, il expose les projets et les défis des prochains mois. Toutes les deux ou trois phrases, son auditoire se lève pour l’acclamer. Nous n’avons pas encore assisté à une ola, mais on n’en est pas loin. Des dizaines de millions d’Américains suivent le discours, qui est diffusé en direct par presque toutes les chaînes de télévision. Les observateurs passeront ensuite des jours et des jours à disséquer chaque mot, chaque lettre, chaque virgule. Les journaux impriment des pages supplémentaires.

Aujourd’hui, José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, prononce lui aussi son état de l’Union. Depuis 2010, il s’adresse au début de l’année politique au Parlement européen. Le discours sera diffusé en direct sur le câble, mais reste à savoir s’il aura une portée au-delà des maisons de repos et des hôpitaux. M. Barroso tient effectivement son discours le matin, et non aux heures de grande écoute, comme aux Etats-Unis. Nous pouvons en revanche pronostiquer la place que la plupart des journaux accorderont à l’article couvrant l’événement : dans le meilleur des cas une petite colonne dans la rubrique sur l’actualité internationale.

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[[Soyons francs : l’état de l’Union européenne est une décoction insipide de sa version américaine]], surtout quand on voit l’effet qu’il produit. L’Europe et les Etats-Unis, ce n’est pas la même chose. Pourtant, ce manque d’intérêt n’est pas justifié. Nous sommes déjà des Etats-Unis d’Europe, bien plus que nous en avons conscience. Certes, dans certains domaines encore, l’administration centrale européenne est bien moins puissante que les autorités américaines. En politique étrangère, par exemple.

Si Barack Obama décidait d’attaquer la Syrie, c’est ce qui arriverait, voilà tout. Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, n’a pas ce pouvoir, ne serait-ce que parce qu’il n’a pas d’armée. Mais dans d’autres domaines, l’influence de Bruxelles sur les vingt-huit membres est supérieure à celle de Washington sur les cinquante Etats américains. Ces dernières années, du fait de la crise de l’euro, l’emprise de l’Europe sur les Etats membres s’est renforcée.

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Les discussions sur notre budget national sont à présent totalement éclipsées par ce que l’Europe permet ou non. Le gouvernement peut désigner avec de grands effets théâtraux un nouveau directeur des chemins de fer nationaux, mais le cadre dans lequel il doit travailler est déterminé par un ensemble de dispositions européennes sur le rail. Le fonctionnement du marché de la poste ou de l’énergie est aussi fixé par la législation européenne. Le prix des appels sur un téléphone portable est décidé par les instances européennes. Des milliers d’autres aspects sont réglementés par l’Europe, depuis la définition du chocolat jusqu’à la manière de fixer les yeux d’un ours en peluche.

La marge se réduit

Actuellement, tout le monde s’agite ici à la perspective des élections flamandes et fédérales du 25 mai 2014. Mais on n’entend pratiquement par parler des élections européennes, qui sont prévues le même jour. [[A bien des égards, les Etats-Unis d’Europe sont plus efficaces que les Etats-Unis d’Amérique]]. Or, pour une raison ou une autre, nous ne voulons pas le savoir. Le pourquoi du comment nous intéresse encore moins.

Bien sûr, dans certains domaines, la politique nationale a encore une certaine marge de manœuvre. Mais ces domaines sont de moins en moins nombreux et la marge se réduit. L’Europe fixe les orientations et, dans l’ensemble, le Parlement européen y apporte une importante contribution. D’ailleurs, quand il s’agit de la législation, il a même le dernier mot. Ce même parlement devra bientôt élire le président de la Commission européenne, et il donne aussi son avis sur chacun des commissaires.

Quand on gratte le vernis technique des dossiers européens, on s’aperçoit rapidement des choix idéologiques et de fond qui doivent être effectués : sur la relation entre la croissance et la compression des coûts, sur l’intérêt de la diversité culturelle, sur les thèmes sociaux et la libéralisation, sur l’agriculture et le développement.

La politique européenne peut s’engager sur toutes sortes de voies et la composition du Parlement européen a des conséquences majeures. Cela nous passionne moins que la question de savoir si nous allons bientôt appliquer les règlements européens à une fédération, ou à une confédération.

L’Europe se niche au plus profond des grandes décisions politiques et dans les petites choses du quotidien, mais nous réussissons cette prouesse de lui accorder très peu d’attention. L’Europe reste dans l’angle mort.

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