“Je n’oublie pas !” : slogan des Chypriotes grecs pour dénoncer l'occupation turque du Nord de l'île, épargné par la crise actuelle.

Le pire est encore à venir

Six mois après que la crise bancaire a failli emporter son économie, Chypre est loin d’être sorti d’affaire. Etranglée par le resserrement du crédit et par l’austérité imposée par la troïka, l’économie tourne au ralenti et la morosité s’installe.

Publié le 24 septembre 2013 à 11:27
“Je n’oublie pas !” : slogan des Chypriotes grecs pour dénoncer l'occupation turque du Nord de l'île, épargné par la crise actuelle.

Plus de manifestations quotidiennes dans le centre de Nicosie, plus de files d'attente devant les distributeurs de billets, plus de journalistes de la BBC et de CNN en direct devant le Parlement. Pourtant, pour les habitants de Chypre, les conditions de vie sont aujourd'hui bien moins bonnes qu'il y a six mois, quand la crise était à son apogée. Et beaucoup craignent que le pire soit encore à venir.

Depuis que, le 15 mars dernier, le président de Chypre et l'Eurogroupe ont annoncé leur intention de mettre en place une taxe sur tous les dépôts et ainsi déclenché une crise qui est passée, d'abord, par la fermeture des banques durant deux semaines, puis par la création d'une réglementation encadrant les mouvements de capitaux, l'économie et la société chypriotes ont un enchaînement d'événements somme toute prévisibles : affaiblissement du système bancaire, austérité imposée par la troïka, contraction accentuée de l'économie et flambée du chômage.

Suivant le parcours par lequel sont déjà passés la Grèce et le Portugal, Chypre, petit pays habitué ces dernières décennies à connaître un niveau de vie élevé et à ignorer les crises et la grande pauvreté, est aujourd'hui en passe de découvrir une tout autre réalité. “La population est touchée dans toutes ses strates, des plus pauvres aux plus riches. Chez les plus défavorisés, les difficultés et le désespoir prennent une ampleur qu'on n'avait plus vue depuis l'invasion turque de 1974”, explique Dinos Papakyprianou, un petit entrepreneur dans l'import de biens d'équipement.

C'est il y a six mois, dans les rues de Nicosie, que nous avons rencontré Dinos, alors révolté et angoissé, impatient de voir rouvrir les banques pour pouvoir honorer engagements de son entreprise. Aujourd'hui, contacté par téléphone, Dinos se montre plus résigné, mais aussi plus pessimiste, anticipant une nouvelle dégringolade. “J'ai décidé de diminuer le volume de mon activité, et donc mes risques financiers, pour les ramener au minimum. Pour une raison simple : quand une nouvelle tuile tombera, je ne risque plus de perdre tout ce que j'ai gagné en 32 années de travail. Je préfère être préparé à ce que survienne une nouvelle crise comme celle d'il y a six mois, je déciderai alors quoi faire.

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Chute libre

La décision de Dinos en dit long sur ce que vit l'économie chypriote. Refroidis par les événements de mars dernier (avec la création de la taxe sur l'ensemble des dépôts et une lourde décote sur les dépôts de plus de 100 000 euros dans les deux plus grandes banques du pays), les entreprises n'investissent plus, les ménages consomment le strict nécessaire et l'activité économique est en chute libre.

Aujourd'hui, [[Chypre connaît la récession la plus profonde de toute l'Union européenne]], devant la Grèce. Au deuxième trimestre 2013, le PIB a reculé de 5,2 % en glissement annuel (chiffres Eurostat), soit le pire taux enregistré dans l'île depuis l'invasion turque. Le taux de chômage, qui en mars atteignait déjà le chiffre record de 14,9 %, n'a cessé d'augmenter pour s'élever aujourd'hui à 17,3 %.

Ce vendredi 13 septembre, au terme d'un épineux processus d'approbation par le Parlement de certaines des mesures imposées par la troïka, l'Eurogroupe a débloqué une tranche de 1,5 milliard d'euros, sur un prêt total qui s'élèvera à 10 milliards. “Nous sommes sortis de la zone de danger”, a assuré le ministre chypriote des Finances, Haris Georgiades, pour qui Chypre “est aujourd'hui en phase de stabilisation”. Un optimisme que ne partagent pas les économistes que nous avons interrogés.

Il est vrai, en termes macroéconomiques, que la récession se révèle moins grave qu'initialement prévu, mais dans le secteur financier, les choses sont pires au contraire, avec des banques qui ne sont toujours pas stabilisées. Et cela veut dire qu'on risque de voir la situation globale se dégrader encore, à mesure que le crédit continue de se resserrer”, estime Antonis Ellinas, professeur à l'Université de Chypre.

Sortie de l’euro

Pour lui, le scénario d'une sortie de l'euro reste donc sur la table. “[[Beaucoup doutent de l’efficacité du programme de la troïka]], car on ne voit pas d'où va bien pouvoir venir la croissance. La sortie de la monnaie unique reste donc envisageable, entre autres parce que si la situation se dégrade encore, les Chypriotes seront plus nombreux à vouloir retrouver la livre chypriote, dont ils gardent le souvenir d'une monnaie stable.*”

Idem pour Bernard Musyck, un économiste belge installé à Chypre, pour qui une nouvelle dégradation est plus probable qu'un début d'amélioration. “Dans le secteur public, en raison des pressions de la troïka, il y a eu des changements. Le privé, lui, semble encore dans une phase de déni, mais plus pour longtemps”, juge-t-il, prenant l'exemple du secteur bancaire. "La Bank of Cyprus a absorbé la banque Laiki, mais il n'y a pas encore eu de réductions d'effectifs. L'arrivée des Russes dans l'administration va lancer les premiers licenciements, et les banques vont ouvrir l'après-midi, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Par ailleurs, le gouvernement s'apprête à privatiser différents secteurs, dont ceux de l'électricité, des télécoms et de l'administration portuaire, ce qui augure de licenciements supplémentaires et de baisses de salaires à court terme.

Le scénario s'assombrit encore quand on envisage les deux choses qui pourraient permettre à l'économie chypriote de prendre un virage favorable – et qui sont encore loin de se concrétiser.

Restaurer la confiance

La première serait un regain de confiance des agents économiques dans le secteur bancaire. Or aujourd'hui, la seule chose qui empêche une fuite bancaire, ce sont les contrôles sur les flux de capitaux qui restent en vigueur (quand les établissements bancaires ont rouvert, en mars, le gouvernement avait pourtant promis que ces contrôles ne dureraient que quelques semaines). “A l'heure actuelle, tout ce qu'on peut faire, c'est débloquer 20 % d'un dépôt à terme quand il arrive à échéance”, explique Bernard Musyck, qui prévoit un long processus de restauration de la confiance.

Un second motif d'espérer serait la rentabilisation des réserves gazières découvertes récemment au large de Chypre.
Selon les experts, le problème est qu'il faut compter cinq à sept ans pour que cette ressource naturelle produise de vrais bénéfices économiques. Un délai trop long pour éviter qu'une autre génération de Chypriotes, après celle qui a vécu la guerre de 1974, échappe à la spirale du chômage et de la pauvreté.

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