Actualité Elections européennes 2014

Votons pour le peuple européen

Puisqu’il n’existe pas de nation européenne dans laquelle les solidarités sont une évidence, il est temps de créer un peuple fondé sur un projet politique commun, estime un philosophe espagnol. Les élections européennes de 2014 doivent en être la première étape.

Publié le 1 octobre 2013 à 14:52

Comme l’Espagne n’est pas une nation ethnique, le nationalisme s’octroie le droit de fonder sa propre nation politique. De la même manière, nous entendons dire que, puisqu’il n’y a pas de “peuple” européen, il vaudrait mieux ne pas approfondir le projet de l’Union. Bien sûr, un Etat qui n’a ni langue ni culture commune aura plus de difficulté à s’autogouverner, mais idéaliser ces caractéristiques à l’extrême n’a jamais été une bonne idée.

En exploitant à mauvais escient l’image cosmopolite des cercles concentriques, le nationalisme restreindra la solidarité aux siens : outre la famille, les amis et les connaissances, le cœur n’aura plus de place que pour la “grande famille” des compatriotes, c’est-à-dire les personnes qui partagent la même langue et se conforment à une même vision spécifique du monde.

En résumé : la thèse naturaliste du développement empathique et altruiste, composée de cercles concentriques, est erronée. Et il est absurde d’élargir ou de limiter la solidarité à ceux qui forment avec moi le “peuple”. Toutefois, tout cela repose sur une supercherie plus grave encore : “une communauté linguistique est si différente des autres qu’elle doit s’autogouverner politiquement”. L’absence de langue commune (en Europe, en tout cas) fait obstacle à un débat public fluide et instantané. Nous devons par conséquent y travailler. Par ailleurs, il est vrai que nous dépendons d’une langue sans laquelle nous ne pourrions penser le monde.

Cadre supranational

En revanche, au lieu d’adapter un monde minuscule qui fragmente la réalité sociale, la langue nous ouvre au langage, soit l’outil qui nous permet de communiquer et de réfléchir à nos multiples conditionnements culturels. L’apprentissage d’autres langues, la traduction ou l’adhésion aux droits de l’homme montrent que dans toutes les langues, nous envisageons un même monde social, car nous devons tous affronter les problèmes concrets qui en sont issus.

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Attaquons-nous maintenant au corollaire de la double hypothèse que nous avons réfutée : puisque nous sommes différents et que notre altruisme est limité… nous devons restreindre aux nôtres les questions de justice. Cette tromperie élude toute normativité démocratique : si ce sont des questions supranationales qui nous préoccupent, alors le cadre politique devant les résoudre doit aussi être supranational.

En conclusion, récupérer la souveraineté populaire qui est en piteux état nécessite de mettre en place l’intégration politique de l’UE par le biais d’un nouveau demos artificiel. (A son tour, celui-ci devra diriger la nature de plus en plus cosmopolite du droit international, c’est-à-dire le processus par lequel ce dernier – qui est actuellement le socle des Etats les plus puissants – devient un droit également adapté pour et par les citoyens du monde.) Toutefois, que faire à l’heure où l’UE fait naufrage car elle n’a pas les fondations permettant de faire éclore une démocratie transnationale de qualité ?

Plus d’importance au Parlement

Faisons maintenant appel au droit pour adapter intentionnellement la réalité sociale. Selon Jürgen Habermas, “tous les aspects de la culture humaine, y compris le discours et la langue, sont des constructions. Si l’essentiel de la culture a vu le jour accidentellement, […] les accords juridiques sont des [constructions] particulièrement artificielles”. Par conséquent, pour surpasser les structures culturelles qui nous déterminent (frontières, institutions, codes, langue, etc.) et pour que la solidarité traverse les frontières, il devient indispensable d’accorder plus d’importance au Parlement, pour ainsi encourager les citoyens à participer à la législation aux côtés du Conseil de l’Union européenne, tout comme il devient nécessaire de créer de véritables partis politiques européens.

De cette manière, nous ressusciterions un projet commun qu’à l’heure actuelle, nous envisageons uniquement sous l’angle des avantages qu’il peut apporter à notre pays et nous-mêmes. [[Voter pour des partis européens reviendrait à débattre et légiférer démocratiquement sur nos nombreux problèmes]]. Les médias traduiraient et diffuseraient dans chaque sphère publique les informations techniques fondamentales et les intérêts en jeu. Une société civile européenne florissante qui contribuerait à rassembler les intérêts individuels au sein d’un même cadre politique participerait à alimenter cette transnationalisation des diverses sphères publiques.

Comme les Européens seront les concitoyens des personnes avec qui nous établirons un pacte, avec l’accountability [responsabilité] et la responsiveness [réactivité] surgiront forcément des liens solidaires, le sentiment de coappartenance propre à toute forme d’autogouvernement démocratique. Cela ne sera pas très compliqué pour ceux qui partagent déjà beaucoup de choses (des guerres mondiales à une raison éclairée qui affronte les problèmes de façon pratique : la tolérance, l’Etat de droit, la démocratie, etc.), sur lesquelles construire une identité collective plus large et abstraite, mais suffisamment solide pour qu’un Allemand paie des impôts pour un Grec.

Un projet politique

Par ailleurs, voter pour des partis européens dotés d’un véritable pouvoir législatif (et exécutif) mettrait fin aux critiques que l’UE doit maintenant repousser en raison de son fonctionnement bureaucratique et mercantile, et de sa nature intergouvernementale (et nationale), qui soumet les plus faibles aux desseins des plus forts. Seules des solutions alternatives et une forme d’alternance nous permettront de voir l’UE non comme un projet élitiste, mais comme un projet politique dont nous rejetons la dérive actuelle. Un projet non pas figé, mais dirigé par plusieurs partis tenus de nous rendre des comptes s’ils ne veulent pas passer dans l’opposition.

La meilleure redistribution et une souveraineté populaire efficace passe par le renforcement du demos. Pour cette raison, la gauche ne devrait pas s’opposer au projet politique européen, mais plutôt à sa nature monolithique actuelle.

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