Actualité Partenariat oriental

Pourquoi l’Ukraine fait le choix de l’Europe

A sept semaines du sommet de Vilnius, Kiev multiplie les signes de bonne volonté pour signer un accord d’association avec l’UE. Ironie de l’histoire, c’est le président Ianoukovitch, souvent présenté comme pro-russe, qui est l’artisan de cette politique.

Publié le 7 octobre 2013 à 15:54

Face à la pression politique et économique russe, le pouvoir ukrainien a pris la ferme direction d’un rapprochement stratégique avec l’UE. Le gouvernement a confirmé à l’unanimité l’accord d’association et de libre-échange négocié avec l’UE. Début septembre, le président ukrainien Viktor Ianoukovitch s’est adressé aux parlementaires pour l’adoption des textes de lois nécessaires à la signature et la ratification de l’accord d’association avec l’UE. La Rada suprême s’est immédiatement mise à l’œuvre.
Il y a 10 ans, pendant la Révolution orange, qui aurait pu penser que Ianoukovitch et son principal soutien financier, l’homme le plus riche d’Ukraine, Rinat Achmetov, allaient devenir "la force motrice" vers l’UE ? A peine quelques-uns. Sans aucun doute, le motif poussant ces personnages à endosser ce rôle n’est certainement ni le choix des valeurs de la civilisation européenne, encore moins un signe de patriotisme ukrainien, mais bien plus des intérêts pragmatiques combiné à un savant équilibre des coûts et des profits.
Il se dit même qu’aujourd’hui, les groupes d’affaires de Rinat Achmetov travaillent intensément avec les grandes compagnies européennes influentes pour qu’elles fassent à leur tour pression sur leurs gouvernements pour ne pas bloquer la signature de l’accord d’association avec l’Ukraine.
Viktor Fedorovitch Ianoukovitch est désormais affublé d’un nouveau surnom, Vecteur Fedorovitch, en allusion à ses discours dans lesquels il affirme en permanence que l’Ukraine a déjà choisi le vecteur de l’intégration à l’Europe. Mais comment expliquer l’attitude actuelle du pouvoir ukrainien et des grands groupes économiques ?
Les hommes d’affaires kazakhs et biélorusses en parlent de plus en plus ouvertement. [[Au sein de l’Union douanière eurasiatique, les entreprises russes, dans l’incapacité de concourir avec les sociétés modernes européennes ou américaines, se mettent à pratiquer le protectionnisme]] interne et à éloigner du marché les entreprises d’un même secteur des autres pays membres de l’Union douanière.

Concession bilatérale

La question a son importance en Ukraine, car ses entreprises sont les concurrentes directes de celles de Russie, en particulier dans les secteurs agro-alimentaire, chimique, de la construction automobile et de la métallurgie.
Un autre facteur qui retient l’actuelle élite politique et économique d’intégrer l’Union douanière eurasiatique est l’absence d’assurances légales et politiques de l’effet de l’adhésion à ce bloc commercial sur la baisse du prix du gaz russe. Bien que l’industrie ukrainienne soit particulièrement dépendante du prix du gaz et que théoriquement cela puisse être un levier russe important dans ses relations avec Kiev, il est évident que les documents d’adhésion à l’union douanière ne garantissent d’aucune façon la fourniture de ressources énergétiques au prix du marché intérieur russe. Cela ne peut être qu’une concession bilatérale de la Russie, pas la conséquence directe d’une adhésion à l’union eurasiatique.
Qu’en est-il donc des possibles concessions bilatérales russes à l’égard de l’Ukraine ? La question de la confiance mutuelle est d’importance. Plusieurs fois, Ianoukovitch s’est senti trahi par la Russie. Les soi-disants accords de Karkhiv en 2010 ont laissé un grand ressentiment. En échange de la prolongation de la location des bases militaires [russes] de Sébastopol, le président ukrainien Ianoukovitch, fraîchement élu, avait soi-disant réussi à négocier une réduction importante du prix du gaz. Mais la formule de calcul du prix du gaz présentée par Gazprom a transformé cet accord en un fiasco total pour le président ukrainien. Aujourd’hui, l’Ukraine paye le prix le plus élevé en Europe.
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Dans ce contexte, la question du respect des principes et de l’amour-propre est d’importance. Trahi plusieurs fois, voire humilié (cet été, le président ukrainien a attendu Vladimir Poutine pendant trois heures et leur entretien en tête-à-tête n’a duré que quinze minutes), [[Ianoukovitch veut prouver au leader russe qu’il peut prendre des décisions indépendantes qui ne correspondent pas forcément aux intérêts russes]]. Et surtout que l’Ukraine n’est pas une nouvelle Arménie.
Il faut également rajouter que l’attitude pro-européenne du président renforce sa popularité dans l’ouest et le centre de l’Ukraine, régions qui lui sont généralement peu favorables. Cela compte particulièrement pour lui en vue d’élection présidentielle de 2015.
La situation est donc paradoxale. Un personnage politique qui promettait encore récemment de conférer au russe le statut de seconde langue d’Etat, sans idéologie ni valeurs affirmées, ne promouvant ni l’identité ukrainienne ni la mémoire historique renforçant la souveraineté ukrainienne, peut devenir par le plus grand des hasards l’homme qui dans les livres d’histoire sera présenté comme le leader qui a achevé la politique "multivectorielle" entamée il y a 20 ans et qui a montré la route de l’intégration du pays à l’Europe.

UE-Ukraine

L’accord d’association suspendu à la libération de Ioulia Timochenko

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Il ne reste qu’un obstacle sur la voie de la signature d’un traité "historique" d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine, estime EUobserver : la grâce présidentielle pour l’ex-Premier ministre Ioulia Timochenko, condamnée en 2011 pour "abus de pouvoir" au terme d’un procès qualifié de politique. Depuis, l’UE réclame sa libération.
Début octobre, des représentants du Parlement européen se sont rendus à Kiev pour remettre au président Viktor Ianoukovitch une lettre dans laquelle l’ancienne opposante, malade, exprimait son accord pour quitter l’Ukraine afin de se faire soigner en Allemagne. Si Ianoukovitch devait accorder la grâce à Timochenko, rien ne s’opposerait plus à la signature de l’accord. Celle-ci devrait avoir lieu lors du sommet du Partenariat oriental, le processus de rapprochement entre l’UE et les anciennes républiques soviétiques, à Vilnius, fin novembre.
Un processus qui irrite au plus haut point Moscou, qui a suspendu le 7 octobre ses importations de produits laitiers en provenance de Lituanie en invoquant "un affaiblissement des contrôles" sanitaires dans ce pays.

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