Idées Démocratie en Europe

Plus de pouvoir aux citoyens !

Comme l’ont montré les récents soulèvements populaires dans plusieurs pays, Internet offre aux citoyens une vaste gamme d’outils d’action politique. La plupart pourraient être utilisés en Europe pour faire face à la crise démocratique actuelle, estime un économiste français.

Publié le 18 juillet 2014 à 07:00

Le fait que les citoyens de régimes démocratiques critiquent l’échec de ces régimes à atteindre les objectifs annoncés, et même qu’ils doutent qu’ils soient capables de le faire fait partie de la démocratie. Mais ce n’est pas une excuse pour ignorer la profondeur de la crise globale qui frappe les démocraties, et plus en particulier celles Européennes.

Malgré des processus démocratiques comme des élections et des votes parlementaires, il y a la sensation diffuse que nos sociétés sont gouvernées par un petit groupe de personnes parmi lesquelles les intérêts économiques, médiatiques et politiques sont uniquement fonction de leur propre bien-être et de leur propre profit.

Même si la révolution numérique a rendu possible l’existence d’un nombre croissant d’activités se passant de transaction monétaires réelles, l’essentiel de la pensée politique est dominée par un strict économisme.

Plusieurs analyses ont été proposées afin de trouver des moyens de triompher sur cette crise démocratique. La première se concentre sur l’évolution oligarchique de nos classes dirigeantes — l’augmentation des inégalités et la manière dont les intérêts d’un nouveau groupe d’hyper-riches sont servis.

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

La deuxième décrit nos sociétés comme étant post-démocratiques, et consacre davantage d’attention aux processus institutionnels et au rôle des techniques de gestion dans la destruction du tissu social et démocratique.

Une troisième met en avant le double rôle de la révolution numérique : d’une part, elle renforce la capacité des grandes entreprises d’organiser la production de manière à affaiblir la résistence collective, et de maintenir les sociétés sous contrôle ; d’autre part, elle développe de nouvelles compétences individuelles et de groupe afin d’élaborer une pensée critique, de coordonner, d’innover et de mettre en place des alternatives concretes.

Les penseurs qui adoptent la troisième analyse sont plus optimistes quant à la possibilité que la démocratie se régénère, même s’ils reconnaissent l’ampleur des défis qui l’attendent.

La militance et la défense des libertés et des droits au sein de la sphère numérique
marquent une nouvelle relation entre les citoyens et les politiques, de même que l’utilisation diffuse de l’action politique sur les réseaux sociaux lors des soulèvements en Iran, en Syrie, en Espagne et en Turquie ou encore le mouvement pour le partage des contenus en ligne en Italie et plus généralement en Europe.

Ces mouvements sont profondément différents des mouvement anti-mondialisation de la fin du XXe siècle. Les nouveaux mouvements plongent leurs racines dans l’expression des individus, mais ils ne sont pas individualistes au sens néo-libéral pour autant. Ils visent à développer des communautés basées sur l’amitié, les intérêts partagés, les bonnes pratiques et le voisinage, et ce qu’ils produisent est partagé.

Ils se caractérisent par la participation des individus à plusieurs communautés ou activités, sans affiliation formelle la plupart du temps. Chaque communauté dépend de la Toile et des médias en ligne pour s’exprimer et pour la coordination et pour ses actions elles-mêmes.

Les réalisations de ces mouvements sont impressionnants et vont bien au-delà de ce que peuvent accomplie des groupes de pression comme les ONG qui se consacrent à un seul objectif. [[Les nouveaux mouvements sociaux semblent bien plus puissants et attractifs, avec leurs objectifs mixtes de réforme radicale et d’amélioration de la vie au quotidien]]. Non seulement ils obtiennent des succès, comme le rejet du traité ACTA par le Parlement européen ou le résultat du référendum sur la gestion de l’eau en Italie ; ils élaborent de nouvelles technologies, comme les logiciels ou le design libres, et ils créent de nouveaux processus participatifs avec de nouveaux mécanismes, comme les prêts à taux zéro entre individus, et le financement participatif au moyen de donations.

Plus en général, ils renouvellent la production autonome et l’échange de biens, de services, de culture et de connaissance. Ils rencontrent également des obstacles, engendrés pas le dillemme qu’ils doivent affronter lorsqu’il s’agit de se positionner par rapport à un pouvoir politique et économique centralisé.

Les contraintes sociales et économiques qui apparaissent dans les politiques existantes sont le premier obstacle pour les mouvements qui essayent de changer les options de développement de nos sociétés. Malgré la crise économique qui pèse encore, et les coûts sociaux dévastateurs du maintien du status quo, les changements que requiert un nouveau système semblent hors de portée pour un grand nombre de personnes.

Ces obstacles peuvent être surmontés avec le temps, au fur et à mesure que les gens sortent plus ou moins du système économique et social et profitent des avantages des nouvelles pratiques.

Néanmoins, un tel scénario de changement graduel est peu probable, eu égard à l’attitude des dirigeants post-démocratiques actuels. Ils décrivent toute tentative de réforme radicale en provenance des nouveaux mouvements sociaux, et les critiques envers leurs politiques, comme une nouvelle forme de démagogie populiste.

Plutôt que d’essayer de faire alliance avec ces mouvements, ils les stigmatisent et créént un cadre règlementaire plus hostile pour eux. On dirait qu’ils préfèrent avoir affaire à une véritable xénophobie populiste dans l’espoir que cela convaincra les gens a continuer de les soutenir plutôt que d’ouvrir la porte à des réformes radicales.

Ces éléments exterieurs ne doivent pas cacher le fait que les “reboots” de la société depuis le bas doivent également faire face à des obstacles internes, et en particulier à la difficulté des participants à s’accorder sur un socle commun de réformes. Ils utilisent ou développent d’intéressants outils de délibération collective, des pratiques basées sur les signes de l’Acampada [de Madrid] ou d’Occupy Wall Street, aux outils en ligne de prise de décision comme Liquid feedback.

Ces approches se sont révélées inéfficaces lorsqu’il s’est agi de développer de nouvelles idées. En Espagne, une approche mixte est apparue, qui semble prometteuse : le mouvement du 15-Mai a été possible grâce au travail fait en amont sur l’élaboration d’une plate-forme politique. Ses développements successifs incluaient une intéraction intéressante avec les intellectuels qui proposaient des réformes radicales.

Des réseaux, comme Partido X ont fait un usage extensif de la technologie numérique pour développer leur propositions et les soumettre aux commentaires d’un vaste public. Les politiques qui en ont résulté ont nourri le programme de Podemos et d’autres mouvements qui ont obtenu un succès certain aux élections européennes de mai dernier.

Il est encore tôt pour savoir si cela peut marcher. L’application rigide des politiques d’immobilisme économique ne va-t-elle pas laisser la porte ouverte à l’émergence de régimes autoritaires et xénophobes comme seuls changements possibles ? Ou est-ce qu’un nombre suffisant de dirigeants humanistes et progressistes comprendront qu’il est de leur devoir de donner plus d’autonomie à ceux qui ont déjà tenté de construire un avenir meilleur ?

Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet