Idées Référendum sur le Brexit

Chers compatriotes, vous devriez être fiers de cette Europe !

Pour Alex Taylor, journaliste européen au passeport britannique, sortir de l’UE serait non seulement une grave erreur pour les expatriés britanniques qui vivent sur le continent, mais cela ternirait à jamais la réputation du Royaume-Uni.

Publié le 20 juin 2016 à 13:18

Vendredi dernier, j’ai eu un peu de temps libre devant moi à Bruxelles. Je me suis alors dirigé vers le Parlement européen pour faire quelque chose que jamais je n’aurai pensé faire auparavant : je suis entré dans une boutique de souvenirs, j’ai acheté un drapeau européen et j’ai tweeté une photo de moi, le drapeau à la main devant le bâtiment depuis lequel j’animais de nombreuses émissions télévisées.

Dans l’une de ses chansons, Joni Mitchell chante “You don’t know what you got till it’s gone” (“On ne sait pas ce que l’on a jusqu’à ce qu’on l’ait perdu). Dans trois jours, il est possible que mon pays vote sa propre éjection du plus grand marché unique au monde, qui est aussi une union politique et culturelle. Comme n’importe quelle institution, l’Union européenne a ses défauts. Néanmoins, elle a instauré la paix sur notre continent depuis maintenant plus de soixante-dix ans (un simple coup d’œil dans un livre d’histoire suffit pour se rafraîchir la mémoire).

Dans ce contexte, être “européen” m’est tout à coup devenu très précieux et m’est aussi apparu bien fragile. Si le Royaume-Uni vote pour la sortie de l’UE (les derniers sondages sont trop serrés pour prédire l’issue du référendum), mes concitoyens vivant au Royaume-Uni perdront leur citoyenneté européenne, mais ils ne seront pas les seuls, puisque les 2 millions de Britanniques qui vivent et travaillent dans d’autres pays de l’UE la perdront aussi.

Personnellement, cette éventualité m’inquiète beaucoup. En tant qu’ “expatriés” (terme qui désigne les immigrants d’origine européenne), nous pourrions bien perdre nos droits de séjour, nos droits aux soins de santé ainsi que nos droits en matière de travail et de retraite. Pour ne rien arranger, ceux d’entre nous qui ont quitté le Royaume-Uni il y a plus de 15 ans n’auront même pas le droit de voter lors du référendum alors que nous sommes ceux qui avons le plus à perdre.

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La situation difficile dans laquelle nous nous trouvons a été totalement occultée par la question de l’immigration, qui envenime constamment le débat agitant le Royaume-Uni et qui est l’argument principal de la campagne du “Leave” (argument de poids, puisqu’il a donné quelques points d’avance aux partisans du Brexit dans les sondages publiés la semaine dernière). Les médias britanniques parlent de la “liberté de circulation” comme si elle était à sens unique : on immigre toujours au Royaume-Uni. Mais ce qui est toujours passé sous silence, c’est que, depuis des années, on profite tout autant de cette liberté en traversant la Manche et en allant au-delà des falaises blanches de Douvres.

Par exemple, on estime à 800 000 le nombre de retraités britanniques installés en Espagne. Tenons-nous vraiment à échanger les membres du personnel médical polonais et roumains, qui payent des impôts, qui sont compétents, proposent des soins à bas prix et se soucient des malades et des personnes âgées vivant au Royaume-Uni, contre des hordes d’expatriés, qui sont bien souvent d’un certain âge et qui n’auront plus le droit de rester sur leur lieu de résidence actuel ?

Ce point n’est jamais abordé par la campagne, mais en cas de Brexit, il deviendrait un problème majeur. Quelques déclarations laissent déjà se profiler cette issue dramatique. La semaine dernière, Mariano Rajoy, le Premier ministre espagnol, a prévenu que si le Royaume-Uni venait à sortir de l’UE, les Britanniques résidant sur le sol espagnol ne pourraient plus jouir des mêmes droits. Le scénario serait le même en France. Pourquoi les citoyens d’un pays qui a délibérément quitter l’UE continueraient-ils de profiter des avantages qu’elle offre ? Si vous résiliez votre abonnement dans une salle de sport, ne soyez pas surpris si vous ne pouvez plus utiliser ses équipements.

Plus encore, le débat a de quoi inquiéter, puisque cela fait maintenant des mois que la presse majoritairement europhobe (elle se vend à 13 millions d’exemplaires par jour au Royaume-Uni, d’où l’influence importante qu’elle exerce) propage l’idée selon laquelle le Royaume-Uni serait en proie à une véritable invasion et souffrirait de la “liberté de circulation”. Jeudi dernier, Nigel Farage, le leader du parti UKIP, a dévoilé une affiche nauséabonde sur laquelle on peut voir des centaines de réfugiés syriens, attisant ainsi les peurs et la xénophobie sous-jacentes à la campagne (si l’Allemagne a accueilli 1 million de réfugiés, le Royaume-Uni n’en accueillis que 2 000).

Quitter l’UE reviendrait à priver les générations futures de jeunes Britanniques de leur droit à circuler librement : ils ne pourront pas jouir du statut de véritables citoyens européens et aller vivre dans un autre pays membre de l’UE en étant traités de la même manière que les ressortissants de cet État, comme j’en ai eu la chance il y a maintenant 30 ans.

J’ai toujours été fier de mon pays et de l’immense contribution qu’il a apportée à l’histoire européenne et mondiale. Si mes compatriotes votent pour la sortie de l’UE, je demanderai un passeport français vendredi, sans aucune garantie de l’obtenir, tout comme les centaines de milliers de personnes qui seront dans le même cas que moi. J’aurais aussi honte de mon pays, qui aurait alors enclenché la désintégration de l’Union européenne, cette union que nous tenons pour acquise et dont nous devrions tous être fiers.

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