Idées Comprendre le Brexit

Une révolte démocratique contre une élite sourde et méprisante

Pour le chroniqueur David Randall, le vote du “Leave” exprimé lors du référendum du 23 juin, est à comprendre essentiellement comme un coup porté aux patrons de la finance qui ont pris l’économie britannique en otage et une riposte contre la politique des principaux partis vis-à-vis de l’immigration.

Publié le 5 juillet 2016 à 22:24

Pour le chroniqueur David Randall, le vote du “Leave” exprimé lors du référendum du 23 juin, est à comprendre essentiellement comme un coup porté aux patrons de la finance qui ont pris l’économie britannique en otage et une riposte contre la politique des principaux partis vis-à-vis de l’immigration.

Pour comprendre pourquoi le Royaume-Uni a choisi de quitter l’Union européenne, le mieux est de revenir 8 500 ans en arrière, au moment où les glaces polaires ont fondu et ont fait monter le niveau de la mer, immergeant ainsi les zones qui unissaient la Grande-Bretagne au reste du continent. C’est comme cela que le pays commença à prendre ses distances avec l’Europe et que naquit le scepticisme, qui s’est parfois mué en hostilité, qui va de pair avec cette attitude. La relation qu’a entretenue le Royaume-Uni au continent peut être qualifiée d’aberration ; mais, d’un point de vue historique, l’aberration tient plus aux 44 années d’une adhésion peu enthousiaste.

Cette idée pourra être vue comme typique de l’attitude réservée des Britanniques, mais l’écart et la distance (renforcée par les profonds fossés que constituent la Mer du Nord et la Manche) sont un point important de l’histoire britannique, et l’absence d’invasion depuis 950 ans ne s’explique pas par une prouesse militaire quelconque, mais par ce point. A l’abri derrière leurs digues, forts côtiers et imposantes falaises blanches, les Britanniques ont développé une mentalité particulière, bien souvent maladroite, parfois belliqueuse, qui prend quelques fois des allures de cynisme, et qui est marquée par un goût pour l’ironie qui les rend peu susceptibles de prendre au sérieux les idéologies englobantes ou les projets politiques d’envergure.

Voilà pourquoi même les plus fervents partisans de l’UE n’ont parlé, lors de la campagne, des conséquences du Brexit qu’en termes de niveau de vie, de travail, de retraites et de prix de l’immobilier, sans s’essayer une seule fois à invoquer, sur fond sonore de la Neuvième symphonie de Beethoven, l’idéal d’une union paneuropéenne parfaitement intégrée.

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En dehors de quelques rares cercles d’influence dans les zones urbaines (la BBC, le Guardian, etc.), ce rêve d’europhiles ne fait saliver personne, et l’inadéquation existant entre cette fameuse vision, vers laquelle les représentants de l’UE tendraient inexorablement selon bon nombre de Britanniques soupçonneux, et le simple accord commercial qu’a, à l’origine, signé le Royaume-Uni en 1972 a été l’un des arguments qui ont poussé les électeurs à voter Leave. Beaucoup voulaient reprendre le pouvoir et, pour ainsi dire, réinstaurer la barrière de la Mer du Nord, qui nous séparait autrefois des eurocrates et de toutes leurs activités.

Mais rien de tout cela ne serait arrivé sans deux éléments cruciaux : [l’ancien ministre des Finances travailliste] Gordon Brown qui a empêché le Royaume-Uni de rentrer dans la zone euro (un référendum aurait été impossible si nous avions partagé la même monnaie) et les soubresauts qui ont agité le Parti conservateur de David Cameron. Le parti avait, ou du moins a, une importante frange eurosceptique, et a été, depuis un an environ, confronté au succès grandissant du parti europhobe UKIP dans les sondages.

Pour faire d’une pierre deux coups et tuer dans l’œuf ces menaces potentielles, Cameron a promis un référendum et s’en est allé à Bruxelles en grande pompe pour renégocier la participation du Royaume-Uni à l’UE. Il a obtenu bien peu et est rentré au pays comme celui qui avait promis à sa famille de faire des courses pour la semaine et qui revient avec un sachet de chips. Ses cris de victoires ont été accueillis avec sarcasme. L’électorat n’aime pas qu’on le prenne pour une andouille. Il n’a pas non plus apprécié que ce même homme lui dise que s’il votait Leave, des catastrophes s’ensuivraient, et que celles-ci pourraient même aller jusqu’à un risque accru de guerre.

Les banques et les grandes entreprises ont joint leur voix à la sienne pour avertir l’électorat du fléau économique et des plaies bibliques qui l’attendaient s’il votait Leave. Cette stratégie n’a pas été la bonne. Depuis le début de la crise financière en 2008, la plupart des gens ici (et ailleurs aussi, je suppose), n’attendaient plus qu’une chose : voir les banquiers, les financiers et les chefs d’entreprises, qui sont surpayés, à l’abri des conséquences de leur propre incompétence, et qui profitent d’une économie de bas salaires qui repose sur l’immigration, punis d’une façon ou d’une autre. Les élections, qui se sont disputées entre les deux principaux partis, peu enclins à s’abaisser à un tel geste, ont privé le peuple de l’occasion de les punir. Mais le référendum lui a offert l’occasion de porter un coup aux plus riches, et il a saisi cette opportunité.

L’appartenance du Royaume-Uni à l’UE aurait bien pu survivre à tous les obstacles déjà mentionnés ; tous, sauf celui de l’immigration. Le pays est connu pour avoir accueilli des millions de citoyens du Commonwealth, ainsi que des victimes de persécutions religieuses et politiques.

Toutefois, les dernières décennies ont vu arriver un trop grand nombre d’immigrés sur le sol britannique (officiellement, cinq millions depuis 1997, mais ce chiffre est très certainement à revoir à la hausse) dans un laps de temps trop court pour que tout le monde s’intègre rapidement à la société et pour que les services publics s’adaptent facilement. Les inquiétudes qu’a soulevé ce phénomène et les conséquences sur la disponibilité des soins de santé et du logement ainsi que sur la capacité d’accueil des écoles ont non seulement été ignorées par beaucoup de médias, mais elles ont aussi été écartées des discussions sous prétexte qu’elles relevaient du racisme. Puisque les deux principaux partis politiques étaient, jusqu’à encore très récemment, réticents à l’idée d’aborder la question, et encore moins d’agir pour régler le problème, les élections n’ont pas offert d’issue à ceux qui étaient mécontents de ces profonds changements.

Le référendum a été pour eux l’occasion de laisser libre cours à leur colère. Des millions d’électeurs ont associé, à tort ou à raison, l’UE à une immigration non contrôlée et potentiellement infinie, étant donné les projets d’expansion prévus par Bruxelles. Le peuple a finalement pu exprimer ses sentiments grâce aux urnes. Étonnamment, les trois quarts des votes exprimés dans les zones aux taux d’immigration les plus élevés étaient en faveur du Leave.

Qu’on l’approuve ou qu’on le déplore, il s’agit là d’une révolte démocratique portée par 17 millions de personnes issues de la classe ouvrière et de la classe moyenne contre une élite coupée d’une réalité qu’elle s’efforce de ne pas voir, et qui a, pendant trop longtemps, ignoré les préoccupations du peuple en les taxant d’ignorance grossière et en insistant sur le fait qu’elle savait tout mieux que quiconque.

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