Actualité Présidence slovaque de l’UE

“Le favoritisme est avant tout un problème moral”

Comme l’indique un récent rapport sur la corruption en Europe, les emplois publics sont accordés de préférence à des personnes liées au parti au pouvoir à Bratislava. Une caractéristique que la Slovaquie partage avec d’autres pays ex-communistes, explique l’expert slovaque Filip Kostelka.

Publié le 23 juillet 2016 à 17:06

Dans un récent rapport sur l’intégrité publique et la confiance en Europe, réalisé par la Hertie School of Governance (ERCAS) de Berlin pour le gouvernement néerlandais, la Slovaquie est pointée du doigt comme pays où a lieu ce qui est qualifié de “violation parmi les plus flagrantes de l’intégrité publique de la part d’un gouvernement.”

Les médias slovaques, affirme le rapport, ont publié les preuves que “les emplois dans l’administration sont accordés de préférence à des personnes liées au parti au pouvoir.” Le cas en question s’est produit dans la ville de Zvolen en 2013, “mais il aurait très bien pu se passer dans d’autres pays membres”, comme la Grèce ou l’Italie du sud, écrit ERCAS.

Les révélations sont tombées alors que la confiance des Slovaques dans leur gouvernement et leur Parlement a baissé respectivement de 19 % et de 12 % depuis 2009, pour atteindre 29 %, souligne le rapport. La confiance dans les partis politiques a quant à elle augmenté de 3 % sur la même période, pour atteindre 19 %.

L’hebdomadaire slovaque Pluska a publié les preuves qu’à Zvolen, “les candidatures pour des emplois étaient accompagnées de notes expliquant quelles personnes ou institutions ont recommendé tel ou tel candidat”, note le rapport. Parmi les plus fréquents “recommendateurs”, il y avait le député local du SMER-SD, le parti au pouvoir à Bratislava. Certaines candidatures avaient été annotées afin de préciser que le candidat était membre “membre de la section régionale du SMER”, ajoute-t-il.

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Selon un sondage cité par le rapport, 89 % des Slovaques estime que la corruption et les pots-de-vin sont souvent le meilleur moyen pour obtenir des prestations de la part des services publics. 92 % estiment que la corruption est diffuse dans tout le pays, mais seuls 30 % considèrent que les fonctionnaires sont corrompus et 49 % que les politiciens le sont.

Il semblerait que le système fonctionne”, note ERCAS, car “tous ceux qui bénéficiaient d’un ‘parrainage’ ont obtenu un job.” Et d’ajoute que “il s’agit là d’un énième exemple de la manière dont la confiance des citoyens est sapée par les échecs en matière d’intégrité au sein des nouveaux pays membres de l’UE.”

Nous avons demandé son avis sur la question à Filip Kostelka, un chercheur au département d’études électorales à l’université de Montréal et chercheur associé au Centre d’études européennes de Sciences-Po Paris.

VoxEurop – Quelle est votre opinion sur ces conclusions ? Comment expliquez-vous ce favoritisme ?

Filip Kostelka – Je pense que la situation décrite s'est réellement produite. Même s'il s'agit, probablement, d'un cas extrême, des pratiques similaires, mais plus subtiles, peuvent exister dans d'autres mairies et d'autres services d'administration slovaques. En Slovaquie, le clientélisme et le favoritisme se sont particulièrement développés après l'indépendance du pays, dans les années 1990. A cette période cruciale, où les mécanismes de fonctionnement de la nouvelle administration de l'Etat et du système politique se mettaient en place, le pays était gouverné par le premier ministre Vladimir Mečiar.

Mečiar avait des penchants autoritaires et le favoritisme (au sens du terme anglais “patronage”, qui peut se définir comme la capacité des partis politique à attribuer de façon discrétionnaire des emplois publics), précédé de purges, était l'un des moyens pour accroître son influence et pour rester au pouvoir. Après son départ, en 1998, les gouvernements ultérieurs n'ont pas réussi et, souvent, n'ont pas voulu dépolitiser véritablement le service public slovaque, malgré la pression des autorités européennes.

Pensez vous que ce type de corruption est propre au pays ou il se retrouve dans tous les pays de l'Europe ex-communiste ?

En Slovaquie, les années Mečiar ont été un facteur particulièrement néfaste, qui s'ajoute à des facteurs communs à l'ensemble de la zone post-communiste. D'abord, c'est l’héritage moral et comportemental de la période communiste. Sous le communisme, des relations et un “bon” profil politique étaient nécessaires pour avoir accès aux meilleurs emplois. Ensuite, les pays post-communistes sont des démocraties relativement jeunes où le favoritisme constitue souvent une ressource fondamentale pour la construction des partis politiques au niveau local.

A titre d’exemple, ce phénomène était extrêmement fort en Autriche dans les décennies de l’après-guerre et, aujourd’hui, il est très répandu en Amérique latine. L’attrait du favoritisme pour les partis politiques post-communistes est également renforcé par la difficulté de trouver des adhérents dans le contexte actuel du discrédit de l’engagement partisan, du déclin des idéologies, de la croissante individualisation, et du désenchantement général des citoyens avec le domaine politique etc. Cela dit, même si le favoritisme partisan est, pour des raisons évidentes, extrêmement difficile à mesurer, les informations disponibles suggèrent qu’il y a une variation non-négligeable au sein des pays de l’Europe centrale et orientale.

Cette variation peut s’expliquer, entre autres causes, par des différences dans l’évolution de la compétition partisane et par des héritages culturels et bureaucratiques de long terme. On peut supposer que le favoritisme est moins présent en Estonie, Slovénie ou, encore, en République tchèque, qu'il est plus courant en Roumanie et en Bulgarie. Après il y a aussi de la variation à l’intérieur des pays (niveau local, niveau national etc.)

Peut-on croire à une présidence slovaque de l'UE correcte et honnete vu qu'on peut s'imaginer que même dans ce cas les personnes qui sont suposés travailler pour la présidence slovaque n'ont pas été choisies sur des critères d'intégrité et competence?

Personellement, je crois que le favoritisme est avant tout un problème moral et, seulement dans un deuxième temps, un problème d’efficacité. Les personnes qui en bénéficient ne sont pas toujours incompétentes. Dans le cas des postes de haute responsabilité et face aux enjeux nationaux importants tels que la présidence de l’Union, les partis politiques n’ont pas intérêt à promouvoir des personnes complètement dépourvues d’aptitudes requises. Par ailleurs, notamment aux plus grands échelons de l’Etat, le favoritisme n’est rien d’exceptionnel même en Europe occidentale sans parler de l’Europe du Sud… Je suis confiant que, dans la mesure du possible (étant donné la petite taille de leur pays et le contexte difficile autour du brexit), les autorités slovaques ont bien préparé le semestre à venir.

Cet article est publié en partenariat avec ANTICORRP

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