Idées Election présidentielle en Autriche

Une victoire pour la gauche, mais pas une défaite de l’extrême droite

Le candidat soutenu par les Verts Alexander Van der Bellen a été élu dimanche lors d’un ballottage historique avec le candidat populiste Norbert Hofer. Si son élection marque un espoir pour la gauche européenne, près de la moitié des Autrichiens sont aujourd’hui en accord avec les idées nationalistes de Hofer.

Publié le 6 décembre 2016 à 10:44

Cette fois, on dirait que c’est bon.

L’Autriche a voté, une fois encore, dans un second tour qui a vu s’affronter, une fois encore le candidat indépendant Alexander Van der Bellen, soutenu par les Verts, et celui d’extrême droite Norbert Hofer, du Parti de la libérté (FPÖ). Van der Bellen l’a finalement emporté, avec 51,7 % des voix.

En tant qu’Autrichien vivant à l’étranger, j’ai été surpris que ce “troisième tour” de l’élection présidentielle autrichienne n’ait pas attiré l’attention de l’opinion publique européenne autant que le second tour](5086814), qui s’est déroulé au mois de mai dernier. Peut-être parce que nous étions tous fatigués.

Fatigués d’une Autriche qui n’a toujours pas réglé ses comptes avec son passé nazi ; ou fatigués de devoir constater une fois encore la façon dont les partis institutionnels ont, au cours des dernières décennies, transformé la politique autrichienne en une série de passages de témoin sans intérêt entre une grande coalition et la suivante. Mais malgré le poids relativement faible de la présidence de la République en Autriche, et l’importance relativement modeste de l’Autriche sur l’échiquier international et européen, le vote de dimanche avait une forte charge symbolique.

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L’Autriche est à la fois un signal d’espoir pour les forces politiques progressistes à gauche et à droite qui refusent l’extrémisme, et un signal d’alerte pour tous les partis traditionnels et leur politique traditionnelle. La victoire de Van der Bellen ne représente pas une caution de cette politique-là. Et, en une année marquée par des camouflets cinglants pour la politique traditionnelle, comme le Brexit ou l’élection de Donald Trump, associés à la montée de l’extrême droite partout en Europe, l’Autriche fait plutôt figure d’exception et de règle.

Une exception car l’option populiste ne l’a finalement pas emporté ; et c’est la règle, car cette même option populiste est devenue acceptable pour la majorité.

La victoire de Van der Bellen semble également être une bonne nouvelle pour la gauche pro-européenne : la plupart des voix en plus qu’il a récoltées par rapport au mois de mai proviennent d’ électeurs qui n’avaient pas voté à ce moment-là, selon l’analyse du vote qu’a faite la télévision publique ÖRF.

Environ 150 000 personnes supplémentaires sont en effet allées voter au lieu de rester chez elles. Ce scrutin en Autriche peut certainement être perçue comme une victoire pour la gauche, mené par un candidat progressiste et pro-européen. Une victoire qu’il ne faut pas minimiser : agiter le spectre d’une conquête imminente de l’Europe par l’extrême droite au mieux n’influence pas les décision des électeurs ; au pire, cela les pousse dans les bras des populistes de tous bords.

Comme je l’écrivais en mai, après la victoire à un cheveu d’Alexander Van der Bellen lors du vote qui a ensuite été annulé, “pour la moitié des électeurs, voter pour un candidat d’extrême droite n’est plus un tabou.” Ça n’a pas changé : le candidat Vert l’a emporté. Mais celui d’extrême droite n’a pas perdu.

Le discours tenu par le FPÖ lors de la soirée électorale insistait sur le fait que le parti n’a jamais conquis une part aussi importante de l’électorat ; et Marine Le Pen a déjà prévu que son allié autrichien pour figurerait à ses côtés lors des prochaines élections législatives. Mené par Heinz-Christian Strache, le FPÖ est en tête des sondages.

L’Autriche n’a pas une tradition de “front républicain” contre l’extrême droite. Cette élection pourrait être le premier signe que quelque chose de ce genre est en train de se dessiner : même si les Chrétiens-démocrates (ÖVP, centre droit) n’ont pas soutenu officiellement de candidat, la plupart des chef de parti se sont exprimés en faveur de Van der Bellen. Le soutien officiel du chef de l’ÖVP Reinhold Mitterlehner, bien qu’il ait provoqué quelques tensions au sein du parti, a été dénoncé par Hofer comme en partie responsable de sa défaite.

Mais, face à la perspective d’une hémorragie de voix lors des prochaines élections législatives, l’ÖVP pourrait rapidement revoir sa position, afin de se poser en partenaire de coalition avec le FPÖ, comme en 200-2006.

En mai, j’écrivais que “le pays restait polarisé entre deux visions du monde : l’une ouverte et pro-européenne ; l’autre nationaliste, qui promet des frontières fermées et qui rejette l’UE.” Cela aussi n’a pas changé. Van der Bellen a déjà exprimé le souhait de travailler avec tous les Autrichiens, mais cela ne devrait probablement pas suffire à passer outre les mondes parallèles et opposés dans lesquels les partisans des deux candidats évoluent. D’une certaine manière, l’Autriche n’est qu’une démocratie occidentale de plus devant faire face aux défis posés par les réseaux sociaux ou à ce que certains appellent la “post-vérité”. Jamais l’Autriche n’a connu de campagne aussi virulente.

A présent, après presque un an de campagne, le pays est divisé. Les blessures vont guérir mais, comme après les élections de par l’Europe dans lesquelles les partis traditionnels ont échappé à une défaite sans apporter ensuite de réel changement, elles ne guériront qu’en surface.

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