Javier Solana en visite dans une zone détruite par les offensives israéliennes à Gaza, février 2009. (AFP)

Javier Solana ou la "soi-disant diplomatie"

Le Haut représentant pour la politique étrangère commune vient d'annoncer qu'il quittera son poste à l'automne prochain. Dépendant de la bonne volonté des Etats membres, il partira avec un bilan mitigé qu'il a su masquer par sa langue de bois.

Publié le 15 juillet 2009 à 15:06
Javier Solana en visite dans une zone détruite par les offensives israéliennes à Gaza, février 2009. (AFP)

Je me souviens quand, lors d’une conférence de presse après l’un des sommets de l’UE, bien après minuit, Javier Solana s’est assoupi assis à côté d’Angela Merkel. Quand celle-ci lui a passé le microphone, il ne savait pas ce qui se passait et s’est rattrapé avec des anecdotes. Finalement, il a décidé de dire "assez".

"Mon temps est venu. Dix ans, c’est plus qu’assez", a-t-il déclaré il y a quelques jours au journal espagnol ABC. Il a confirmé qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat. Officiellement, il ne partira qu’en octobre, mais tout le monde se demande déjà qui sera le nouveau Solana.

Pour les diplomates, journalistes ou spécialistes de l’Union, Solana est un peu plus qu’un Espagnol, ex-ministre des Affaires étrangères, puis secrétaire général de l’OTAN et coordinateur de la politique étrangère de l’Union. Solana est devenu l’incarnation de la fonction d’un soi-disant chef d’une soi-disant diplomatie.

"Soi-disant", car en ce qui concerne la politique étrangère, beaucoup de choses continuent à être "soi-disant". Les soi-disant ambassades, la soi-disant unité, la soi-disant fermeté. La vraie diplomatie, elle, est conduite par les capitales des Etats membres de l’UE, qui préservent jalousement leur souveraineté dans ce domaine.

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Dans ce monde de la soi-disant diplomatie, Solana circulait avec une certaine habilité. Il y a laissé une empreinte très personnelle. Il est devenu le visage et les oreilles de l’Union, et même, comme nous l’avons vu avec le programme nucléaire iranien, son négociateur. Il a été un émissaire infatigable. Sur les dix années de son service, il a dû en passer près de deux en avion. Il éteignait des incendies dans les Balkans, et entretenait jusqu’au Proche-Orient l’espoir d’un engagement européen dans les régions instables du monde.

En parlant au nom de l’UE, il devait se débrouiller avec un mandat très limité. Il ne pouvait ni promettre ni faire grand-chose. Derrière lui, il y avait une grande organisation, mais divisée et, en ce qui concerne la politique étrangère, se retranchant derrière l’Amérique. De plus, il sentait derrière son dos le souffle brûlant des puissances européennes - comme la France, l’Allemagne ou la Grande Bretagne - qui ne voulaient pas de concurrent à Bruxelles.

C'est pourquoi on se souvient de Solana comme d'un diplomate jovial faisant les déclarations d’intentions, fuyant souvent les questions et prêchant des formules diplomatiques vides. Il n’est donc pas étonnant que ce soit le président Nicolas Sarkozy, et non pas Solana, qui a fait aboutir les négociations de paix entre la Georgie et la Russie en 2008.

La faiblesse de Solana ne lui était pas propre, elle était inscrite dans sa fonction de Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Rien que ce long et tortueux titre suscitait le bâillement des interlocuteurs étrangers. L’Union a eu le Solana qu’elle voulait. Et dans tout ça, je pense qu’il a réussi à dépasser les modestes ambitions de l’Union.

Peu importe qui sera le nouveau Solana : qu'il s'agisse de Carl Bildt, le ministre suédois des Affaires étrangères, de Jaap de Hoop Scheffer, le chef de l’OTAN sur le départ, ou d'un autre encore, il sera plus fort, du moins en théorie. Après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le représentant pour la politique étrangère de l’UE sera en même temps vice-président de la Commission. Le problème du chevauchement de compétences entre la Commission européenne et le Conseil européen, dont Solana a été le secrétaire général, sera réglé.

Le nouveau Solana disposera d’un réseau d’ambassades (aujourd’hui appelées les "représentations de la Commission") et de quelques centaines de diplomates. Le seul problème est que les Etats membres ne sont toujours pas prêts à bâtir une vraie politique étrangère commune et à se défaire de leurs compétences au profit du chef de la diplomatie européenne.

Le nouveau Solana va donc devoir continuer à faire semblant qu’il signifie et qu'il peut plus que ce n’est le cas en réalité. Ou alors il se mettra à donner des coups de coudes autour de lui, en s’exposant au conflit avec Paris, Londres ou Berlin.

BILAN

Est-il bon ou méchant ?

Perte pour l'Europe ou bon débarras, la presse européenne a des avis divergent sur le départ annoncé de Javier Solana. "Bruxelles regrette son départ", assure Leonoor Kuijk,la correspondante à Bruxelles du quotidien néerlandais Trouw. "Si le Traité de Lisbonne prend effet, le poste qu’il occupe actuellement sera considérablement étoffé. Enfin l’Union européenne pourra faire face au monde avec un représentant de poids qui disposera de vraies compétences. Si quelqu’un est taillé sur mesure pour ce nouveau poste, ce serait bien Solana."

"Toujours optimiste et jamais l’air fatigué, ni blasé", le Haut représentant pour la politique étrangère commune était un repère pour la politique internationale, assure Kuijk. "Il a rendu son poste crédible parmi les hommes et les femmes politiques européens, et les chefs d’Etat, membres de l’Union européenne ou pas, lui faisaient confiance. La blague bien connue de l’Américain Henry Kissinger dans les années 70 qu’il ne savait pas à qui téléphoner quand il voulait discuter avec l’Europe, n'est plus d'actualité."

David Cronin, le correspondant bruxellois du Guardian, rappelle au contraire l'infaillible tendance de Solana à se faire plaindre. Craignant que son "estomac ne soit pas capable de digérer […] l'orgie d'autofélicitations qui devrait immanquablement accompagner son départ, Solana a brillamment camouflé son bilan de va-t-en-guerre". Pour le journaliste britannique, c'est "en tant que secrétaire général de l'OTAN, quand il a supervisé le bombardement de la Serbie sans mandat de l'ONU, en 1999, que Solana a idéologiquement ouvert la voie à l'offensive menée par George W. Bush en Irak".

Sa présidence de l'Agence de défense européenne, tout comme son parrainage de Secret and Defense Agenda, un centre de réflexion financé par l'industrie de l'armement, a également contribué à "exercer une pression sur les gouvernements", les poussant à "augmenter leurs budgets de défense au moment même où ils taillaient dans ceux dédiés à l'éducation ou à la santé", accuse Cronin qui conclut : "Comment dit-on 'bon débarras' en espagnol ?"

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