Actualité Arrestation de Mladić
Potočari, près de Srebrenica (Bosnie-Herzégovine), juillet 2010. Les préparatifs pour l’inhumation de 775 victimes du massacre de juillet 1995.

La honte ne s’effacera pas

Dans son ensemble, la presse européenne accueille avec satisfaction l’arrestation de Ratko Mladić. Mais les réactions varient selon l’implication des différents pays lors de la guerre de Bosnie.

Publié le 27 mai 2011 à 15:11
Potočari, près de Srebrenica (Bosnie-Herzégovine), juillet 2010. Les préparatifs pour l’inhumation de 775 victimes du massacre de juillet 1995.

L’arrestation de Mladić "représente symboliquement la fin des guerres sanglantes dans les Balkans", affirme l'ancien dissident Adam Michnik dans Gazeta Wyborcza. Elle constitue pour l’Europe un message important : "La cruauté et l’ignominie ne resteront pas sans punition".

Plutôt que d’afficher, à l’instar de la plupart de ses confrères, le portrait du "bourreau de Srebrenica", Libération prend le parti de mettre en Une son oeuvre, en publiant la photo saisissante d’une fosse commune découverte en 1996 dans la ferme de Pilica, près de Srebrenica, un an après le massacre. Dans les pages intérieures, l’éditorialiste Vincent Giret se félicite:

Il est des jours comme ce 26 mai 2011 où il ne faut pas désespérer de l’Europe. C’est bien à l’Union, à son modèle, à ses valeurs de justice et de liberté, à sa force d’attraction et à l’acharnement de ses diplomates que l’on doit l’arrestation du plus grand criminel européen depuis la Seconde Guerre mondiale.

Giret loue l’"intransigeance" de Bruxelles vis-à-vis de Belgrade — pas de discussions sur l’adhésion sans coopération avec le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPY) :

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C’est cette intransigeance au nom des valeurs, qui a payé, conjugué à la force d’attraction de l’Union et à l’impatience de ce peuple de rejoindre un jour le cercle envié des pays membres de droit. Hantés par la menace du déclin, les Européens ont tendance à oublier cette vérité que les Serbes nous rappellent avec éclat: le "modèle européen" demeure la référence ultime de tous ceux qui aspirent au développement et à la liberté.

Au contraire, Adriano Sofri dans La Repubblica rappelle que cette même Europe

avait laissé que la violence, l’infamie et les atrocités soient perpétrées, et parfois elle les a fomentées et soutenues, par interêt ou par lâcheté. C’est franchement difficile de qualifier la capture de Mladić comme un succès de l’Europe : il vaut mieux dire qu’elle en atténue la honte.

A Bruxelles, De Standaard se place du point de vue des victimes de Mladić, et en particulier les veuves des milliers d’hommes massacrés par ses soldats. Telle Haditza, rencontrée à l’époque par l’éditorialiste Bart Beirlant :

L’arrestation de Mladic à Lazarevo – déjà rebaptisée l’Abbottabad de la Serbie – est avant tout important pour les nombreuses Hatidza de Srebrenica, de Sarajevo et de nombreux autres endroits en Bosnie. Pour elles, savoir que le principal coupable de la mort de leurs maris et fils était toujours en liberté, était une idée insupportable.

Mais il souligne aussi que l’arrestation de Mladić constitue

Un message pour les dictateurs au Moyen-Orient tels le président syrien Bashar el-Assad et le leader libyen Kadhafi, qui croient pouvoir tuer sans être punis. L’époque de l’impunité est derrière nous.

Aux Pays-Bas, dont les casques bleus étaient responsables de la sécurité de la "zone protégée" de Srebrenica au moment du massacre, l’arrestation de Mladić revêt une "importance particulière", comme l’explique Paul Brill dans le Volkskrant :

Il commandait les troupes qui après la chute de Srebrenica ont déporté et tué environ 8 000 musulmans. C’était l’homme qui a ridiculisé le contingent néerlandais complètement dépassé.

Brill rappelle toutefois que

Les Pays-Bas y ont joué un rôle actif [dans la pression internationale], en rappelant sans cesse la nécessité d’une meilleure coopération de la Serbie avec le TPY et en en faisant une condition dans les négociations de Belgrade pour l’entrée dans l'Union Européenne.

Mladić devrait ainsi être transféré à La Haye dans les prochains jours, pour y être jugé. Mais, selon le quotidien pragois Hospodářské noviny, il vaudrait mieux que "le procès ait lieu à Belgrade, et que le verdict soit prononcé par des Serbes", afin que ceux-ci "puissent faire face à leur propre histoire". Comme le souligne son confrère Mlada Fronta DNES, "vingt ans après le début de la guerre en ex-Yougoslavie, les Serbes ne veulent plus rien entendre à propos des combats ou de la culpabilité". Les Serbes se rapprochent de l’Europe, écrit le journal :

Ils peuvent voyager en Europe sans besoin des visa. Au niveau économique également, le pays fait des progrès. En revanche, pour ce qui est du dialogue sur la guerre et sur leurs responsabilités, il faudra attendre les prochaines générations.

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