Une foire de l'emploi, à Varsovie, 12 avril 2011.

L’envers de la médaille du miracle économique

La Pologne est peut-être considérée comme l'une des réussites économiques de l'Europe, mais son système de santé et ses services sociaux s'effondrent. Et ses jeunes qualifiés préfèrent de plus en plus s'exiler plutôt que d'accepter des emplois très mal payés et sans avenir.

Publié le 7 juin 2011 à 13:50
Une foire de l'emploi, à Varsovie, 12 avril 2011.

Les Polonaises qui vivent en Grande-Bretagne ont en moyenne davantage d'enfants que leurs compatriotes restées au pays. Quand Gazeta Wyborcza, le plus grand quotidien de Pologne, a publié cette information il y a quelques mois, la surprise fut énorme. Elle n'était pourtant pas complètement inattendue.

Nombre de commentaires reflètent le gouffre qui sépare le discours public polonais de notre réalité sociale. L'"Occident" était censé être un endroit libéral, voire libertin, et de ce fait très dangereux et corrupteur pour nos jeunes. Mais des enfants ? Voilà qui n'entre pas dans ce scénario.

Les hommes politiques conservateurs tirent régulièrement la sonnette d'alarme sur l'état catastrophique de la situation démographique du pays. Les Polonaises ont en moyenne 1,23 enfant, une très mauvaise nouvelle pour l'avenir du pays.

Un marché dévasté

Les explications avancées pour ce faible taux de natalité sont essentiellement d'ordre idéologique. On accuse l'hédonisme de la jeune génération, la permissivité et la sursexualisation de la culture populaire et le manque de patriotisme. Et quand il apparaît que les véritables raisons sont peut-être bien plus prosaïques – des services sociaux en dessous de tout, la faiblesse voire le manque de système de santé, l’absence d'emploi pour les parents et de crèches pour les enfants, le coût élevé du logement - les commentateurs sont mal à l'aise. Le fait que les Polonaises résidant en Grande-Bretagne ont davantage d'enfants que les immigrés du Bangladesh illustre soudain l'échec calamiteux de la politique sociale au pays.

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La vérité inconfortable, c'est que la jeune génération, qui est la plus éduquée de l'histoire de la Pologne – près de la moitié des personnes âgées de 25 ans sont diplômées de l'université - est confrontée à un marché du travail épouvantable. Cela n'est pas uniquement dû à la crise économique mondiale : la Pologne n'a connu qu'une période de ralentissement, pas un déclin du PIB.

Malgré tout l'avenir des jeunes Polonais est loin d'être brillant : le pays qui a payé de grosses sommes pour les former n'a pas besoin d'eux sur le marché du travail et ne sait absolument pas quoi en faire : le taux de chômage officiel pour les diplômés de l'université tourne autour de 20%. Ceux qui parviennent à trouver un emploi sont tout aussi frustrés : ils ont souvent l'impression d'occuper des emplois sous-qualifiés, des "McJobs" sans la moindre perspective de carrière et doivent souvent gagner une partie de leurs revenus au noir pour échapper aux impôts – ce qui rend par exemple l'obtention d'un crédit difficile. Il n'y a pratiquement aucune sécurité de l'emploi ; les employeurs pensent que le marché est fait pour les acheteurs et qu'ils pourront toujours trouver un meilleur employé, c'est à dire plus "malléable." Ils sont lents à recruter et rapides à licencier.

Des explications idéologiques bidons

C'est là un tableau que la plupart des Européens de l'Ouest connaissent bien. En Espagne, le taux de chômage des diplômés est deux fois plus élevé qu'en Pologne. La différence en Pologne, c'est le niveau élevé de l'émigration et l'absence totale de mouvement de protestation – ce qui permet aux responsables politiques de garder le silence sur la question ou de donner des explications idéologiques bidons.

Le problème est en partie structurel. La Pologne a une économie où la technologie n'est pas très importante ; elle est dominée par de petites entreprises familiales et il n'y a donc que peu de travail pour les diplômés. Il y a quelques semaines, le journal pour lequel je travaille a publié une lettre d'une jeune diplômée en droit qui prépare son doctorat. Elle n'a pas pu trouver de travail correspondant à son diplôme. Elle a postulé à un emploi de secrétaire mais son patron potentiel lui a écrit pour lui dire qu'elle devait devenir sa maîtresse en ajoutant "Si vous n'êtes pas d'accord, ne répondez pas à mon mail – je me fiche de ce que vous pensez." Imaginez-vous un peu 50 000 diplômés en lettres, c'est ce que nous produisons chaque année, sur ce genre de marché du travail.

La question la plus importante c'est peut-être l'inefficacité de notre Etat et sa classe politique vieillissante et déconnectée de la réalité. Deux des plus grands partis politiques du pays sont dirigés par des quinqua- et sexagénaires, qui ont grandi en luttant contre le communisme. Ils font semblant de s'intéresser aux problèmes de la jeunesse mais pas grand chose de plus.

Les solutions que peut offrir l'Etat, des réductions fiscales pour les employeurs qui recrutent des diplômés, sont en outre lamentablement inadaptées. L'appareil d'Etat est à la fois pléthorique et notoirement inefficace : le gouvernement a récemment reconnu qu'une aide sociale de 50 zlotys (12 euros en coûtait 100 (25 euros) en frais administratifs. Pas étonnant qu'il n'y ait pas d'argent pour des plans destinés aux jeunes. Pas étonnant que ceux-ci quittent la Pologne.

Selon une étude récente, il y avait en 2009 1,8 à 2 millions de Polonais, des jeunes pour la plupart, qui travaillaient à l'étranger. Même si c'est la crise à l'Ouest, ils ne semblent pas près de revenir.

Nos responsables politiques ont beau dire "Nous ne voulons pas que nos jeunes soient à Londres, nous voulons qu'ils soient en Pologne", ils sont en fait bien soulagés. Ils sont ravis que les jeunes ne soient pas là : pas de protestation, pas de criminalité, pas de problème. Il y en a même quelques uns qui envoient de l'argent au pays.

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