Les dommages collatéraux de la crise de l’euro

Bien que ne faisant pas partie de la zone euro, la Confédération n’est pas à l’abri des conséquences de la tempête qui frappe la monnaie unique. A commencer par la surévaluation du franc suisse, une catastrophe pour les exportations et le tourisme.

Publié le 11 août 2011 à 14:28

"36,50 francs suisses la nuit pour deux personnes, tout compris". Monika Abplanalp, la gérante du camping, veut dire par là : ici en Suisse, les prix n’ont pas augmenté, c’est seulement chez vous, dans les pays de la zone euro, que tout semble avoir changé. "Il y a quatre ans, quand nous avons ouvert, 36,50 francs suisses valaient encore 22 euros. Maintenant ils en valent 33."

Le résultat, pour le camping de Monika Abplanalp, niché dans les Alpes bernoises : "Moins de touristes, beaucoup moins. Normalement, les Allemands, les Suisses et les Néerlandais sont nos principaux clients. Mais il n’y a pratiquement pas de touristes allemands cette année et beaucoup de compatriotes passent leurs vacances à l’étranger, parce que tout est beaucoup moins cher là-bas en ce moment."

Pauvres Suisses : ils sont hors de la monnaie unique, ont des finances publiques parfaitement en ordre, et pourtant il sont victimes de la crise de l’euro. Le franc suisse, autrefois si égal à lui-même, a atteint ces dernières semaines des sommets sans précédent, une catastrophe pour les exportations et le tourisme. Fuyant les problèmes dans la zone euro et les inquiétudes aux Etats-Unis, les investisseurs se reportent massivement sur le franc suisse, un placement refuge. Un franc suisse vaut actuellement 95 centimes d’euro, soit une hausse de plus de 13 % en un mois. Lorsqu’il était au plus bas, avant le début de la crise du crédit en 2007, il s’achetait encore à 60 centimes d’euro.

Un cocktail en terrasse à 20 euros

Cela fait du franc suisse la monnaie la plus surévaluée du monde, a calculé l’Organisation de coopération et de développement économiques début août. La valeur naturelle de la monnaie se situe plutôt entre 71 et 77 centimes d’euro, estime un porte-parole de la banque centrale suisse. Cette appréciation présente des avantages pour les Suisses vivant dans les régions frontalières, qui peuvent faire des courses très bon marché à l’étranger. Les aires de stationnement des supermarchés de l’autre côté de la frontière débordent de plaques d’immatriculation suisses.

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Mais pour l’économie suisse, cette hausse n’a rien d’intéressant. Le nombre de touristes européens avait déjà nettement diminué au premier semestre de 2011 : les Belges en recul de 9,5 %, les Néerlandais de 8 %, les Allemands de 7,6 %, d’après les chiffres publiés le 5 août par l’Office fédéral de la statistique. La Suisse n’a jamais été une destination bon marché, mais l’appréciation actuelle du franc suisse est d’une ampleur inégalée depuis quarante ans. Une nuit dans la suite la plus abordable du Beau Rivage, l’hôtel de luxe genevois, qui coûtait en novembre l’équivalent de 582 euros, revient aujourd’hui à 740 euros. Et si vous consommez cet été un cocktail à une terrasse en Suisse, vous aurez à régler une note de près de 20 euros.

L’industrie suisse subit elle aussi des pressions. Les sociétés exportatrices ont de plus en plus de mal à concurrencer leurs rivales étrangères. Les grandes signatures suisses comme l’horloger Swatch et le groupe technologique ABB ont déclaré prendre en compte une baisse de leur chiffre d’affaires. Certaines entreprises plus petites demandent à leurs salariés de travailler plus d’heures en échange du même salaire pour compenser le manque à gagner.

La hantise des Suisses

La banque centrale suisse, face à l’intensification des pressions politiques, a ramené son taux directeur à près de zéro. Elle espère ainsi enrayer l’escalade du franc suisse. La parité avec l’euro est la hantise des Suisses : si la tendance se poursuit, la monnaie helvète vaudra bientôt autant, voire plus que l’euro.

La Suisse paie le prix de sa stabilité financière. "Si nous avons ce type de problèmes, c’est que nous connaissons une situation très positive, alors que l’Europe et les Etats-Unis sont confrontés à de grosses difficultés", a déclaré à la télévision suisse Philipp Hildebrand, président de la banque centrale. La Suisse est un des rares pays européens qui affiche un excédent budgétaire, sa balance commerciale présente un confortable excédent et le taux de chômage, à 3 %, est encore plus bas que celui des Pays-Bas, le meilleur élève de la classe dans l’UE.

Si l’augmentation du franc se poursuit, la croissance économique, supérieure à 3 % au premier trimestre, enregistrera probablement une forte contraction. Les spécialistes n’excluent d’ailleurs pas une récession. Malgré tout, le sort des pays de la zone euro n’est guère enviable, constatent les Suisses un peu moqueurs. "Les Pays-Bas et l’Allemagne paient pour les autres pays de la zone euro", dit Monika Abplanalp. "La Suisse est belle, propre et sûre. Espérons qu’elle le reste."

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