La vérité sur les investissements chinois en Europe

Publié le 3 novembre 2011 à 15:46

Les investissements chinois en Europe, l'aide apportée par la Chine à certains pays membres en 2010 et 2011, le rachat de plusieurs entreprises européennes, l'éventuel renforcement du FESF par des fonds chinois, inquiètent nombre d'Européens. Dans un article paru dans La Vie des Idées, l'économiste Françoise Lemoine fait le point sur le mythe et la réalité de ce que d'aucuns perçoivent comme une main mise de la Chine sur l'Europe

L'économiste précise avant tout la difficulté de connaître la réalité de ces chiffres compte tenu de statistiques très imprécises en la matière. Nombre d'investissements transitent notamment par des paradis fiscaux dont l'opacité ne permet pas de recensement officiel. Les deux sources officielles qui se distinguent, le ministère chinois du commerce et Eurostat, ne relèvent par ailleurs pas les même chiffres :

Mais quelle que soit la source, un constat s’impose : les investissements directs de la Chine en Europe ont été jusqu’à présent très faibles. Pour la Chine, l’Europe ne compte que pour 5% dans le stock de ses investissements à l’étranger fin 2010. Pour l’Europe, la Chine ne compte que pour 0.2% du stock des investissements d’origine extra-communautaire fin 2009 (dernière année disponible), et sa part atteint à peine 0.3% des flux entrants au cours des années 2004-2010. La Chine, en réalité, vient nettement en queue du peloton des BRIC (…)

Cependant, poursuit l'économiste :

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Tout n’est pas exagéré dansl’emballement médiatique de ces derniers mois : les investissements directs de la Chine en Europe se sont bel et bien accélérés depuis 2008. D’après Pékin, ils ont été multipliés par trois entre 2008 et 2009 et ont encore doublé en 2010, faisant passer en trois ans la part de l’Europe de 2% à 10% dans le total des investissements chinois à l’étranger. Les statistiques européennes confirment cette évolution, puisqu’elles enregistrent une multiplication par trois des flux en provenance de Chine en 2010, alors que les investissements internationaux dans l’Union ont plongé de 75% du fait de la crise. La part de la Chine passe ainsi de 0.1% à 1.6% du total du total des flux extracommunautaires. Les quatre pays qui enregistrent les plus importants stocks d’IDE chinois fin 2009 sont la Grande Bretagne, l’Allemagne, le Danemark et la France.

Mais l'ensemble reste cependant modeste et pour Françoise Lemoine, l'attention médiatique suscitée par les investissements chinois s'explique d'avantage par la nouveauté de cette présence et par sa porté politique plutôt que par l'ampleur même des flux :

Ces opérations sont souvent perçues comme relevant d’une stratégie de conquête du monde pour des journalistes selon lesquels la Chine « avance ses pions » ou « pose ses jalons ». Cette interprétation est d’autant plus naturellement mise en avant que la quasi-totalité du capital investi est le fait des entreprises d’État chinois ou contrôlée par lui. Pourtant, le récent rapport de la CNUCED montre que sur ce point la Chine n’est pas une exception. (…) Le rapport dénombre 650 multinationales publiques, dont plus de la moitié vient de pays en développement. La montée en puissance de ces investisseurs suscite inquiétudes et soupçons, et ceux-ci valent particulièrement à l’encontre des entreprises chinoises.

L'hostilité à l'encontre de ces entreprises s'expliquent par trois points majeurs : elles bénéficient des soutiens de l'Etat chinois et peuvent ainsi fausser la concurrence sur le territoire où elles investissent; elles ne sont pas transparentes sur leurs objectifs et leur mode de gestion; enfin, en prenant pied dans des secteurs stratégiques, elles peuvent constitué une menace pour la sécurité nationale :

En Europe, certains projets chinois ont fait d’autant plus de bruit qu’ils portaient sur des infrastructures considérées comme stratégiques, telle la concession obtenue par la société COSCO pour gérer et moderniser le port du Pirée. L’achat de Rover en 2007 puis celui de Volvo en 2010 et enfin de SAAB en 2011 par des entreprises chinoises ont été perçus comme emblématiques du déclin industriel européen (d’autant que l’indien Tata avait acheté Jaguar et Land Rover en 2008).

La portée politique des investissements chinois est encore amplifiée par le contexte de crise économique et le rachat par la SAFE (State Administration of Foreign Exchange) des obligations émises par la Grèce, l’Espagne, le Portugal. La Chine détiendrait, selon certaines sources, près de 10% de la dette européenne : "C'est la conjonction d’investissements dans le tissu productif européen et de prêts aux Etats européens en difficulté qui a fait surgir le spectre d’une présence chinoise tous azimuts".

La présence chinoise s'explique à son sens par une raison simple : les autorités chinoises estiment désormais que l'internationalisation demeure entreprise est le meilleur moyen de poursuive le développement du pays et d'accélerer son rattrapage technologique :

La poussée à l’international correspond aussi à un stade de maturité des entreprises que l’on observe dans les autres grands pays émergents. Cette évolution des investissements internationaux des BRIC suit un modèle connu, selon lequel un pays en développement est dans un premier temps principalement un pays d’accueil pour les investissements étrangers, et dans un deuxième temps devient un investisseur, au fur et à mesure que ses entreprises deviennent compétitives. C’est aussi le chemin emprunté par les firmes japonaises, coréennes ou taïwanaises dans le passé.

Et Françoise Lemoine de conclure :

L’Europe a des atouts face à la Chine : un savoir-faire et des compétences, des technologies, un espace économique à fort pouvoir d’achat et qui est son premier marché d’exportation ; la Chine reste plus dépendante du marché européen que l’inverse. Mais les pays européens neles pays européens ne tireront parti de leurs atouts qu’à condition de défendre une position commune et d’éviter que la Chine ne joue de leurs divisions. (...) Le défi des investissements chinois est avant tout, pour l’Europe, un problème institutionnel.

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