Comment Viktor Orbán cherche à garder le pouvoir

Publié le 5 janvier 2012 à 14:03

En mai dernier, Presseurop avait rencontré László Rajk, ancien dissident et signataire d'un appel dénonçant l'affaiblissement de la démocratie en Hongrie. Voici comment il analysait la politique menée par Viktor Orbán :

Aujourd’hui professeur associé à l’Université d’art dramatique et cinématographique de Budapest, l’architecte et designer László Rajk a été l’un des principaux dissidents du régime communiste hongrois dans les années 70 et 80. Fils de László Rajk, exécuté en 1949 lors des grands procès staliniens, il a rejoint l’Opposition démocratique en 1975 et a été l’un des fondateurs de la maison d’édition de samizdats AB Publishing House en 1981. Après avoir été l’un des fondateurs de l’Alliance des Démocrates libres en 1988, il a été député pendant 6 ans après les élections libres de 1990. De 2004 à 2010, il a siégé au Conseil exécutif de la Télévision publique hongroise. Il décrypte pour Presseurop les réformes poltiques controversées du gouvernement hongrois conservateur dirigé par Viktor Orbán.

Comment définiriez-vous le projet politique de la Fidesz, le parti au pouvoir ?

Je dois d’abord dire que leur succès est exceptionnel. Les élections de 2010 ont été un scrutin tout à fait correct, sans fraude. Il a récolté 53% des voix ce qui, dans le système politique hongrois, se traduit par une majorité des deux tiers au Parlement. Personne ne peut contester cela.

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

Son objectif est de garder le pouvoir. Le but des mesures prises, outre la nouvelle Constitution ou la loi sur les médias, est de le protéger du système d’équilibre des pouvoirs : limitation des compétences de la Cour constitutionnelle ou encore la nomination du procureur général de manière à pouvoir contrôler les poursuites judiciaires. Et il est fort probable que d'ici septembre il réussisse à nommer les juges de la Cour suprême. Ces 3 contre-pouvoirs à l’exécutif sont dominés par le gouvernement. Ce qui veut dire qu’il peut passer toutes sortes de loi pour stabiliser son pouvoir.

Prenons par exemple le budget. Première étape, il fait voter une loi selon laquelle,le Président peut dissoudre le Parlement si le budget n'est pas adopté avant mars. Ce qui en soit n’est pas un motif de suspicion. Deuxième étape, une commission du budget a été créée, qui peut mettre son veto même si le Parlement a approuvé le budget. Là encore, cela ressemble à un contre-pouvoir à la majorité au Parlement. Et pour finir, il ont changé la commission du budget. Ce qui veut dire, c’est une hypothèse, que si le Fidesz n’est plus au pouvoir l’année prochaine, qu’un nouveau gouvernement est formé et qu’il tente d’établir un budget, la commission peut mettre son veto et le Président peut dire: "Désolé les gars, il y a de nouvelles élections". Car bien sûr le Président est l’un des leurs. Donc il est clair que ce seul mécanisme est suffisant pour faire tomber un gouvernement futur si le Fidesz perd les élections. C’est ce que je veux dire par "stabiliser".

Cette manière de gouverner est-elle un problème purement national ou un problème pour l’ensemble de l’Europe ?

Si vous regardezde près la réforme de la Constitution ou la loi sur les médias, cela pourrait être très dangereux parce que cela reste conforme à la loi européenne. En Europe, il n’y a qu’un exemple similaire: l’Italie. Mais en Hongrie, cela se produit beaucoup plus vite.

Par exemple, contrairement à d’autres pays européens, la Hongrie n’a pas de loi sur le blasphème, elle semble donc respecter les "instructions" de la Commission européenne. Mais il y a une telle centralisation du contrôle des médias qu’une telle loi n’est pas nécessaire. C’est la même chose avec la réglementation sur le discours de haine, un sujet très sensible pour l’UE.

Pensez-vous que l’UE et les Etats membres ont été assez critiques envers le gouvernement de Viktor Orbán, qu’ils ont exercé assez de pression ?

La Hongrie n’est pas l’Italie, elle a été beaucoup critiquée. La Commission de Venise a critiqué la réforme de la Constitution. L’International press institute et l’OSCE ont critiqué la loi sur les médias. Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés a critiqué la politique envers les Roms. Et cela continue avec la Constitution. Je ne pense pas que l’on puisse dire que nous avions besoin d’être plus critiqués. N’oubliez pas que tout cela s’est mêlé aux événements en Afrique du Nord et que c’est un miracle que la Hongrie soit encore, certes pas en première page, mais parmi les sujets qui intéressent. Je pense que c’est parce que la Hongrie est en Europe. Après l’Italie, les gens commencent à avoir peur que cela puisse se reproduire dans un autre pays. Et je pense qu’ils ont raison.

Propos recueillis par Eric Maurice

Catégories
Tags
Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !