Et Pif (re)créa la Roumanie…

Publié le 22 juin 2012 à 14:12

Dire de Pif qu'il est une source d'inspiration pour l'art contemporain européen est peut-être excessif. Et pourtant, quand l'Institut Culturel Français de Bucaresta fait la revue des troupes, nostalgiques, de Pif, et Dan Perjovschiet Mircea Cantor, deux des plus importants artistes contemporains actuels, ont répondu présent. Preuves à l'appui, leurs créations présentées dans le cadre de l'exposition "Pif en Roumanie, un héros de l'Age d'Or" (Bucarest, 20 juin -22 juillet). Une façon roumaine d’exhumer des oubliettes du temps le héros mort en 2009, année de la disparition, en France, du magazine imprimé parL'Humanité (le journal du Parti communiste français).

L'exposition cherche à rappeler aux plus jeunes le souvenir d'un des plus grandes stars de la BD française, tout en faisant un clin d'œil aux “pifophiles” roumains. Ceux qui ont appris la langue française avec Pif, et parfois aussi, juste appris à lire. Ceux aussi pour qui Pif a été une monnaie d'échange plus précieuse que les dollars, qu'on nommait à l'époque les "bénis" pour les distinguer des "quémandeurs" comme l'écrit Adevărul, dans un article repris par Courrier International. Le critique littéraire Cezar Paul-Bădescu se souvient :

Il y avait deux sortes d'enfants en Roumanie: les bénis par le sort et les quémandeurs. Les premiers avaient des parents nantis, qui avaient travaillé à l'étranger ou faisaient tout simplement partie de la Securitate ; ils étaient les heureux propriétaires d'un abonnement à Pif. Ce qui signifiait qu'ils recevaient toutes les semaines la revue et sa surprise. Les autres, les quémandeurs, ne pouvaient qu'essayer de gagner les bonnes grâces des premiers afin de pouvoir emprunter les revues ou jouer avec les surprises. La seule chance pour qu'ils deviennent propriétaires des Pif était le troc. Les élèves détenaient une devise étrangère légale à une époque où, du temps de Ceauşescu [avant 1989], il était illégal d'en détenir. Celui qui avait des Pif pouvait obtenir tout ce qu'il voulait de son petit monde.

Dans l'histoire des relations franco-roumaines, Pif fut plus qu'un petit chien marron atterri par hasard dans la Roumanie communiste. Il incarna un héros qui a fait les frais de son intrusion dans les cerveaux roumains quand, dans les années 80, le dessiné estampillé "*occidental*" , divertissement interdit, a été retiré du marché roumain. On y a vu la main mégalomaniaque du leader du PCR, Nicolae Ceauşescu, mais aussi la preuve que les relations avec le Parti communiste français n’étaient pas au beau fixe. Imaginez seulement, ce petit chien pénétrant le bloc communiste, là où tant d'autres furent arrêtés net. Un exploit de Pif qui ne fera jamais, hélas, le sujet d'une BD !

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On dit que ceux qui ont quitté ce monde ne meurent pas définitivement tant que quelqu’un pense encore à eux. De ce point de vue, Pif reste, aux yeux des européens de l'Est, un héros. Nombreux sont ceux qui le voient non pas comme un personnage d’albums pour les enfants, mais comme le lien avec une certaine insouciance et même, pour la diaspora roumaine, avec leur pays.

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