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Gianni Pittella : “Il est temps de tourner la page de l’austérité”

Publié le 29 novembre 2012 à 16:24

Ce 29 novembre, la Commission des Affaires économiques et monétaire du Parlement européen a approuvé la position de l’assemblée sur la supervision du système bancaire européen. Elle servira de base aux négociations avec les Etats membres, en vue de l’adoption d’un texte sur l’union bancaire par le Conseil des ministres des Finances le 4 décembre prochain. Il s’agit d’un dossier que le premier vice-président du Parlement, Gianni Pittella, a suivi de près. Il en parle à Presseurop dans cet entretien accordé à la veille du vote de la Commission.

Presseurop - Où en sommes-nous de l'union et de la supervision bancaires ?

Gianni Pittella - Berlin ne voulait surtout pas que la BCE puisse exercer son contrôle sur les banques les moins importantes, et notamment les près de 1 600 Landesbanken (banques régionales) et caisses d'épargnes allemandes. Mais nous sommes parvenus à un compromis : le conseil de supervision de la BCE sera compétent pour toutes les banques des Etats de la zone euro e des Etats de l'UE qui souhaiteront intégrer le Système unique de supervision bancaire. Les autorités bancaires nationales auront simplement un role d'assistance dans la supervision.

Nous créons ainsi un système de supervision bancaire unique mais flexible qui pourra s'appuyer sur l'assistance des autorités nationales mais dont la BCE restera le pivot. Le Parlement devra également veiller à ce qu'il n'y ait pas de conflit d'intérêts entre l'autorité de contrôle et les banques contrôlées. Un sujet sensible en raison notamment de l'extrême porosité du secteur bancaire. Ensuite, nous avons établi que le président et le vice-président du comité de supervision doivent être élus après approbation par le Parlement européen — tout comme le président de la BCE d'ailleurs — afin d'assurer le contrôle démocratique sur cet organisme.

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Nous demanderons par ailleurs que le que le comité de supervision soit en contact permanent avec la Commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement. Quant à la mise en oeuvre, nous espérons que le Conseil l'approuve lors du sommet des 13 et 14 décembre, afin que la supervision puisse commencer progressivement début 2013.

Une fois adopté ce comité de supervision bancaire, quelles étapes reste-t-il à franchir pour parvenir à une véritable union bancaire ?

Il y a encore quelques pas à accomplir, notamment en matière d'harmonisation de la règlementation en matière de dépôts bancaires. Mais le pas le plus important, c'est bien la supervision. C'est même une révolution : on passe de 27 superviseurs nationaux —une chose absolument contradictoire dans une Europe où l'on trouve des banques supra-nationales, un véritable handicap — à un seul superviseur. Nous ne pourrions pas empêcher de nouvelles crises bancaires en maintenant le système actuel.

La mise en place de la supervision bancaire unique a aussi l'avantage d'enclencher un cercle vertueux : si l'on fait l'union bancaire, on peut faire l'union économique et fiscale. Et de là, l'union politique, car cela n'a pas de sens de partager au niveau européen uniquement l'aspect économique et financier, et pas l'aspect politique.

L'union politique, vous y croyez ?

Oui ! Même s'il y a des résistences que nous devons nous efforcer de vaincre. Et j'espère qu'à partir de 2014, date des prochaines élections européennes, on puisse mettre en place une nouvelle Convention européenne, qui dote l'Union de nouvelles règles sur le plan politique et qui fixe le cadre de l'union politique à venir.

Pensez-vous que le Parlement a un rôle à jouer dans la vie économique de l'Union et dans la recherche de solutions à la crise économique ?

Avec le traité de Lisbonne, le Parlement est devenu co-décideur. Je pense qu'en l'espace de quelques années, il deviendra une véritable chambre législative. A terme, LA chambre législative de l'Union européenne devra être le Parlement. Aujourd'hui, nous voulons faire entendre notre voix sur la manière de gérer la crise. Nous nous battons pour faire entendre aux chantres de l'austérité que tous les analyses confirment que les effets d'une politique basée uniquement sur l'austérité sont dévastateurs : la dette publique ne recule pas, la récession s'installe, le chômage augmente, la demande interne baisse, l'Europe perd de la compétitivité internationale et les prévisions sur un retour de la croissance disent qu'il faudra attendre 2014.

Avez-vous des propositions alternatives ?

Il faut tourner la page de l'austérité. L'heure est venue pour les investissements. Nous souhaitons un plan européen pour la croissance, la cohésion sociale et le développement durable. Un plan fondé sur le financement des réseaux d'infrastructures matériels et immatériels. Des premiers font partie les réseaux ferroviaires, les réseaux énergétiques, les réseaux télématiques et les énergies renouvelables. Des seconds font partie l'éducation, la formation, la recherche et la mobilité des jeunes. Il s'agit d'un plan d'une valeur de plusieurs centaines de milliards que l'on doit mettre en place au plus vite.

Et où comptez-vous trouver ces milliards, alors que les Etats membres font face à des coupes budgétaires parfois massives, car ils n'ont plus d'argent ?

Nous devons mettre en place des bons du trésor européens — les fameux eurobonds — afin de recueillir quelque 3 000 milliards d'euros. Cette somme, ce n'est pas moi qui l'ai inventée : ce sont des économistes menés par [l'ancien président de la Commission européenne] Romano Prodi et par [l'économiste italien ] Alberto Quadro Curzio. 2 300 milliards seraient destinés à la mutualisation de la dette européenne, et donc à la réduction de celle-ci ; les 700 restants seraient utilisés pour financer ce plan d'investissements. Si nous disons à Mme Merkel et aux citoyens allemands “Ecoutez, le lancement de ces eurobonds ne vous coûtera pas un centime, parce que la garantie de ces eurobonds serait fournie par les réserves en or des Etats membres et par leur patrimoine public”.

Les Etats peuvent garantir à la fois leur propre dette publique et une éventuelle dette publique européenne ?

Leurs réserves en or et leur patrimoine est bien suffisant. On pourrait décider que les Etats consacrent à la garantie des eurobonds la partie de PIB excédant les 60% [la part de l'endettement public admise par les critères de convergence de l'euro]. Techniquement, c'est faisable. Il faut prendre acte que c'est la bonne solution. Après, si pour soutenir les eurobonds, Mme Merkel exige que l'on avance sur l'union budgétaire, c'est à dire que les Etats membres de la zone euro respectent les critères prévus par le pacte budgétaire et qu'il y ait [de la part de l'UE] un contrôle plus sévère sur leurs politiques de bilan, je dis "OK". Pourvu que l'on avance également avec l'union politique.

Vous avez évoqué l'hypothèse que le Parlement devienne la chambre législative de l'UE. Actuellement, ce rôle est joué par le Conseil. Comment envisagez-vous les rapports entre les deux institutions dans ce cas de figure ?

J'imagine un pouvoir législatif bicaméral — le Conseil étant la seconde chambre, une sorte de Sénat — où les deux chambres aient les mêmes pouvoirs. Le président du Conseil serait assimilé à un président du Sénat. A moins que l'on ne veule imaginer transformer le Conseil en organe exécutif, mais cela poserait la question du rôle de la Commission.

A l'avenir, vous imaginez plutôt une UE fédérale, ou une union à deux, voire trois vitesses, ou une union plus intergouvernementale ?

Mon souhait est de parvenir à une union fédérale. L'intergouvernemental n'a pas produit de résultats brillants. Parce que la logique intergouvernementale veut que toute négociation est dirigée par les intérêts nationaux. Et il est clair que ceux-ci divergent.

Une réforme qui revient souvent dans les articles que nous avons publiés est celle de l'élection au suffrage universel du président de la Commission et des commissaires européens. Qu'en pensez-vous ?

Je suis favorable à l'élection directe du président de la Commission. Et elle pourrait se faire même dès 2014, sans bouleverser les règles qui régissent actuellement les élections européennes : si les partis appartenant à un groupe politique au Parlement européen indiquent lors de la campagne quel est leur candidat à la présidence de la Commission, les électeurs voteront aussi pour ce dernier. Si le Parti socialiste européen indique l'actuel président du Parlement, Martin Schulz — ce que je souhaite, car il a toute l'envergure nécéssaire pour ce poste — tous les partis affiliés indiqueront Schulz comme candidat.

Que pensez-vous de l'hypothèse de listes électorales transnationales, avec des candidats qui se présenteraient dans d'autres pays que le leur ?

J'y suis favorable. Je suis également favorable à l'élection des commissaires européens parmi les eurodéputés, car cela permettrait de retirer le droit de les nommer aux gouvernements et de résoudre le déficit démocratique, un des maux qui affligent aujourd'hui l'Europe.

Propos recueillis par Gian Paolo Accardo

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