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Ilie Rad : “En Roumanie, l’objectivité est encore un luxe”

Publié le 6 décembre 2012 à 18:23

Mircea Eliade disait qu'aucun autre peuple ne fait autant de politique que le peuple roumain. Mais est-ce une raison pour que la subjectivité envahisse autant la presse roumaine, à l’approche des élections législatives du 9 décembre ? Ilie Rad, professeur de Journalisme à la Faculté des Sciences politiques de l'Université Babeş-Bolyai de Cluj–Napoca, explique ce phénomène.

"La presse roumaine manque d'objectivité et c'est très bien ainsi". Telle est l'une des conclusions du colloque national du journalisme qui s’est tenu à Cluj fin octobre. Le professeur de journalisme que vous êtes l’accepte-t-il ?

En tant que professeur, je ne peux que soutenir l'idée d'objectivité. Dire aux étudiants qu’ils doivent être de gauche ou de droite serait un comble ! Mais en tant qu'individu, j'ai mes propres opinions et j'aime la diversité des opinions.

J'en avais assez, il est vrai, de la presse qui chantait à l'unisson pendant le communisme et maquillait la réalité. Mais si vous me demandez si la presse roumaine d'aujourd'hui va dans la bonne direction, alors ma réponse est non.

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Je vois à quel point elle s'est polarisée, avant et après le référendum de juillet 2012. Jusqu'à récemment, la presse manifestait de manière voilée ses sympathies pour tel ou tel politicien ou parti. Aujourd'hui, il est clair que la chaîne B1 est pro-Băsescu et que Antena 3 est contre. Un étranger pourrait se demander, et à juste titre, quelle est la réalité ? Dans quel monde vivons-nous ? Cette polarisation me révolte.

Pourtant, de nombreux chercheurs assurent que la presse roumaine est par définition subjective.

Oui, je pense qu'elle est par définition subjective, et j'ai quatre arguments à ce propos. Tout d'abord, ceux qui ont fondé les premières publications roumaines, Mihail Kogălniceanu, Dimitrie Bolintineanu, Cezar Boliac, étaient aussi écrivains. Or l'écrivain travaille avec des faits concrets, comme les journalistes, mais aussi avec son imagination et des métaphores. Une fois ces éléments combinés, il est difficile de les séparer.

Notre presse a été mise au service de causes nationales nobles: la révolution de 1848, la "petite" Union des principautés de 1859, la guerre d'indépendance de 1877, la création de l'Etat en 1918... La plupart des publications sont apparues pour soutenir ces causes. România liberă par exemple a été créé en 1877 pour soutenir la guerre d'indépendance.

Troisièmement, rappelons-nous que, qui fait de la politique est forcément subjectif. Cette polarisation politique se reflète aujourd'hui dans la polarisation de la presse (le premier ministre Victor Ponta /le président Traian Băsescu).

Et enfin, il y a le problème financier: une institution média qui dépend d'une quelconque entreprise pour des contrats de publicité, est financièrement dépendante. On ne peut être objectif qu'en ne dépendant de personne. Pour la Roumanie, l'objectivité est encore un luxe. Et ici apparait le différend entre le milieu académique et le milieu journalistique réel.

La presse roumaine ne pèche-t-elle pas aussi par provincialisme ?

L’editorialiste Andrei Pleşu était clair à cet égard, à Cluj, dans sa conférence en ouverture: la presse doit s'européaniser une fois pour toutes, en adoptant les valeurs d'une presse européenne. Le respect de l'adversaire, des commentaires décents sur les blogs, moins de parti pris politique, de l'impartialité. Je pensais, comme tant d'autres, que la révolution était notre seule chance d’y parvenir. Mais, je suis sûr qu'avec le temps, nous arriverons à atteindre des standards européens.

Propos recueillis par Iulia Badea-Guéritée

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