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Alba Iulia, la capitale d’un imaginaire européen

A l'occasion du Festival Dilema Veche, qui se tient à Alba Iulia, en Roumanie, du 21 au 23 août, les journalistes de VoxEurop et des titres partenaires qui y participent ont rédigé pour l'hebdomadaire un texte sur leur rapport avec la Roumanie et leur expérience avec ce pays.

Publié le 17 août 2015 à 09:41

Il existe des villes qui laissent derrière elles un parfum de déjà-vu. Il en existe d’autres, spectaculaires, qui surprennent à chaque pas. Il existe aussi des villes qui ont une signification spécifique du point de vue de la géographie sentimentale personnelle, des villes qui, même insignifiantes, nous semblent uniques et magnifiques. Mais il existe aussi des villes où, sans bien comprendre pourquoi, on se sent tout de suite chez soi. Il s’agit de ces villes où un je ne sais pas quoi devient permanence, et ce ne sont pas toujours celles où nous sommes nés ou dans lesquelles nous habitons. Parmi ces villes où l’on se sent chez soi, et qui, pour moi, ne sont pas nombreuses – Paris, Cluj, Antalia, Chisinau –, se trouve une autre catégorie. Celles où le temps a de la patience avec les gens, des villes bénies. Comme Alba Iulia.
Je sais, depuis que j’ai découvert l’écrivain franco-turc Nedim Gürsel, avec ses Écrivains et leurs villes, réédité récemment au Seuil, que les villes ont une âme et que la meilleure manière de toucher cette âme est de pénétrer la cité à travers les yeux de l’écrivain qui l’a décrit. Mais qu’est-ce, je me demande, que pénétrer une ville non par les yeux des écrivains, qui restent rares à s’acquitter de cette tâche avec assiduité, mais par celui, fier et noble, de tout un éventail de princes ? Car à Alba Iulia ne sont pas nés de grands écrivains (à l’exception peut-être de Martin Opitz, à l’époque baroque, et Romulus Rusan, de nos jours), mais surtout des princes : Michel le Brave, Gabriel Bethleem, prince de Transylvanie au XVIIème siècle, mais aussi roi de Hongrie. Et de grands princes de l’Église, des évêques : Ignatiu Batthyany, le créateur de la Bibliothèque magique qui porte son nom, Iuliu Hossu, un des artisans de la Grande Assemblée Nationale du 1er décembre 1918, Aron Marton…
D’une certaine manière, on pourrait dire, rien qu’en prononçant ces noms, qu’Alba Iulia respire non seulement l’histoire mais aussi le cosmopolitisme. Le multilinguisme. Capitale d’un imaginaire européen, longtemps avant d’être l’autre capitale de la Roumanie. La dénomination n’est pas le fruit du hasard : c’est ici qu’a été signée l’Union des principautés roumaines, c’est ici qu’est née la Roumanie, à partir de cette lointaine année 1599, quand Michel le Brave tentait déjà l’inimaginable, l’union des principautés roumaines ; et Alba Iulia est connue finalement par ces détails historiques. Détails d’une histoire plus récente, évidement, car oublier son passé daco-romain, puis sa signification en tant que capitale du couronnement du roi Ferdinand et de la reine Marie, en 1922, revient négliger une partie de son être.
Pour moi, Alba Iulia a correspondu, d’abord, au temps où, étudiante à Brasov, j’apprenais ce qu’est l’espace “mioritique” [nom donné aux régions roumaines qui ont vu naître la balade de Mioritza, très vieille balade], cet enchaînement d’espaces – collines et vallées –, qu’il est gouverné par la signification du mot dor [manque de quelqu'un, mot intraduisible mais similaire au portugais saudade], que ces courbes dessinées par les vallons et les coteaux qui ponctuent la géographie qui s’étend entre Sibiu et Alba, en passant par le Răşinari de Cioran et le Lancrăm de Lucian Blaga, représentent d’une certaine façon l’âme roumaine. Je rêvais tout éveillée de voir ces espaces et oui, jamais je n’oublierai la nuit où j’ai emprunté de manière fantomatique ce chemin, vallée, colline, vallée, colline, Blaga et le reste, jusqu’à Alba Iulia. Entrée dans une citadelle vide, mais mystérieuse et si lumineuse, si grandiose. D’en haut, du haut de la porte principale, le monde semble diffèrent. Immense, profond, immortel. Une terre de promesse, de la jeunesse éternelle et de vie sans mort. Une seule seconde dans mon imaginaire, en revanche, si limité à l’époque.
J’ai redécouvert Alba Iulia des années plus tard, grâce au festival Dilema Veche, grâce à l’idée des édiles d’Alba, d’intellectuels de Bucarest, des débatteurs qui se cherchaient un espace pour penser et une identité. J’ai été heureuse d’apprendre que c’était cet espace de Transylvanie qui avait été choisi. Qu’il s’agit de cet espace réinventé avec des fonds européens, imaginé par des âmes de l’Ardeal, rêvé chaque année (car chaque édition du futur festival commence à être préparée lors du déroulement du festival en cours), et qui n’est pas aisément accessible. Il faut des heures et des heures par la superbe vallée de l’Olt, ou en traversant les Carpates via l’axe Rucar-Bran, après un passage par Sinaia, afin d’arriver dans le lieu magique où deux cathédrales, orthodoxe et catholique, vivent ensemble bordant un chemin sans fin, celui de la foi. J’espère que, d’une certaine façon, l’aéroport qui prendra vie ici, un jour, se fera le plus tard possible. Car peut-être que ce chemin vers la citadelle, la citadelle d’Alba Iulia mais aussi vers la forteresse qui nous habite, ne devrait pas se faire autrement qu’ainsi : en parcourant ce fameux espace, la colline, la vallée, le sommet, la faille, l’extase mais aussi l’agonie…

Article paru sur le site de Dilema Veche.

Foto: vue de Alba Iulia.

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