Idées Royaume-Uni

Pour éviter le Brexit, une Europe à deux vitesses

Tout le monde perd à voir le Royaume-Uni quitter l'Union Européenne. Tout le monde perd aussi si un accord trop en faveur du Royaume-Uni est trouvé. Pour surmonter la crise politique qui s'annonce, l'Union Européenne doit proposer un nouveau projet capable de convaincre tout le monde sans dénaturer le projet européen : une Europe à deux vitesses

Publié le 19 février 2016 à 08:33

David Cameron veut négocier l'appartenance de son pays à l’Union Européenne à travers un accord qui lui donnerait assez de garanties pour faire campagne pour le "in". Quoi qu’on dise de ce “pari” politique et de l’avenir de David Cameron à la tête du gouvernement de son pays, le résultat sera inévitablement désastreux pour le Royaume-Uni et pour l’Europe. 

Si l’accord aboutit, il décrédibilisera l’Union Européenne ainsi que Donald Tusk et Jean-Claude Juncker. Ce serait un drame car beaucoup d’États- membres de l’UE entameraient le même processus que celui emprunté par le Royaume-Uni, ce qui in fine engendrerait la mort, à petit feu, du projet d’intégration européenne. Le tout amènerait à la fin de l’Union Européenne telle que nous la connaissons à cause des querelles et de l’absence de prises de décision par les institutions européennes. Nous assisterions probablement au retour d’une Europe “économique” qui ressemblerait plus à la CECA de 1951. De plus, la remise en cause de certaines valeurs européennes dans les revendications de David Cameron (notamment sur le non-versement de prestations sociales aux ressortissants de l’UE installés au Royaume-Uni) ne ferait que dénaturer le projet européen, déjà bien affaibli par les évènements de 2015.

Si l’accord n’aboutit pas, la sortie de l’UE (d’ailleurs possible même si l’accord entre en vigueur) du Royaume-Uni serait inéluctable. A savoir pour qui cette sortie sera la pire. L’Union Européenne ne fera certainement aucune concession au pays d'Elizabeth II s’il n’est plus un membre de la communauté européenne, ce qui fera très certainement entrer le pays gouverné par David Cameron en récession. Néanmoins, une sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne pourrait être dangereuse. Cela pourrait inciter d’autres pays européens à quitter le navire et suivre la voie prise par Londres. Enfin, la réaction des marchés financiers face à un "Brexit" serait désastreuse pour nos économies.

En fait, les conséquences d’un "Brexit" étant très incertaines, l’échec des négociations entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni ne serait pas non plus une bonne option. Face à cette impasse, quelles solutions ? 

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Plus de démocratie

Il serait tout d’abord indispensable d’inclure les citoyens européens dans la construction européenne ! Une consultation de tous les citoyens européens sur la voie que doit prendre l’Union Européenne, notamment si elle se fait avec ou sans le Royaume-Uni, doit être organisée au plus vite. Les dirigeants européens y verraient une ingérence de l’Union Européenne. On peut aussi y voir l’engagement d’un processus de démocratie directe.  

Une Europe à deux vitesses

Idéalement, une autre solution serait d’amorcer le projet d’une Europe à deux vitesses. Un des souhaits de David Cameron est que le Royaume-Uni fasse partie de l’Union Européenne sans participer au processus d’intégration (imposé dans les traités européens signés par tous les États-membres). On ne peut pas retenir un pays contre sa volonté et si le Royaume-Uni est encore membre de l’Union Européenne, ce n’est que dans un but purement économique. Une solution au "Brexit" serait alors d’accéder aux demandes de David Cameron… Mais pas entièrement.

Une Europe a deux vitesses existe déjà : certains pays ont l’euro alors que d’autres ne l’ont pas, il existe des systèmes de coopération renforcée concernant seulement une dizaine d’États. Cependant, cette Europe à deux vitesses n’est pas institutionnalisée. Ainsi, dans les différents traités européens, il est inscrit que tous les États-membres doivent avoir pour objectif l’adoption de la monnaie unique alors qu’il existe déjà des pays qui ont un passe-droit comme le Danemark et le Royaume-Uni ou même la Suède. Si un accord est trouvé, il ne faut pas tomber dans le piège d’une Europe à la carte où chacun aura droit à un statut spécial et c’est pour cette raison qu’il faut institutionnaliser une Europe à deux vitesses, où l’on proposera une carte avec deux menus seulement, pas vingt-huit.

Pour ce projet, une lueur d’espoir arrive de Rome. Paolo Gentiloni, ministre des affaires étrangères italien, a convié ses confrères à Rome mardi 9 février. Mais seuls les ministres des affaires étrangères des six pays fondateurs de l’Europe étaient invités. La volonté italienne est de relancer le processus d’intégration européen avec les membres fondateurs. 

Un projet compliqué mais réaliste

Une Europe a deux vitesses serait une solution au "Brexit" mais ce serait aussi un bouleversement. Tout d’abord, d’un point de vue idéologique. La construction européenne s’est faite rapidement vers l’Est à la fois pour agrandir le marché commun et pour amorcer les rattrapages économiques des anciens pays du bloc soviétique. Une vision de l’Europe pour laquelle a toujours milité le Royaume-Uni, mais sans être soumis aux décisions de Bruxelles.

La négociation d’un accord équitable tout en développant le projet d’une Europe à deux vitesses peut donc être un bon compromis pour tous. Néanmoins, le “timing” doit être parfait entre la conclusion de l’accord et l’annonce d’une Europe à deux vitesses, et nous en sommes encore loin. 

D’un point de vue pratique, cette “fuite en avant” des Six membres fondateurs pourrait être un déclic pour certains États membres, notamment ceux de la Zone Euro (comme l’Espagne et le Portugal, ainsi que l’Autriche) qui suivraient le pas franchi par ces États dans les années suivantes. Mais une Europe à deux vitesses serait susceptible d’engendrer la désintégration du “second cercle” européen créé, dans lequel se trouverait le Royaume-Uni. Un défi audacieux auquel Paolo Gentiloni se risquerait bien.

Si une Europe à deux vitesses est créée, rien n’empêche au cercle d’États les moins intégrés d’avoir des échanges commerciaux avec les autres, le marché commun restant en place, ainsi que Schengen. Cela permettra à Londres de prendre ses distances avec Bruxelles et de ne pas se voir imposer trop de normes et de décisions de la commission européenne. En contrepartie, les pays les moins intégrés, dont le Royaume-Uni, perdront nécessairement un peu de leur force décisionnaire au sein des institutions européennes.

Ainsi ils devraient tout de même être soumis à certaines décisions prises par la commission ou le parlement européen comme, par exemple, une taxe sur les transactions financières. Mais les avantages économiques dont ils bénéficieront (il y en a forcément puisque David Cameron veut rester dans l’Union Européenne) les pousseront à rester dans l’Union Européenne. 

De l’autre côté, les pays européens les plus volontaires ne seront plus freinés par le manque de volonté des États les plus souverainistes et pourront dès lors jouir d’un libre champ d’action. 

Agir vite, avec les citoyens et les parlementaires européens

Il y a quelques années, une Europe a deux vitesses était inenvisageable. Aujourd’hui la question se pose et même si cette solution n’est pas la meilleure, c’est aussi la plus réaliste. La difficulté des négociations avec le Royaume-Uni montre qu’il faut agir vite, en collaborant avec les citoyens européens ainsi que les euro-députés.

Il s’agit ici de savoir quelle Europe nous voulons et le référendum au Royaume-Uni doit pousser les États-membres et les citoyens de l’Union Européenne à réfléchir sur le futur à donner à cette institution. L’Union européenne sous sa forme actuelle n’est plus viable, suscitant des incompréhensions, des tensions et des conflits.

Nous courons droit vers la catastrophe si rien n'est fait. Sous chaque conflit se cache finalement la Question que les dirigeants européens, peu courageux, repoussent éternellement : Doit-on revenir en arrière ou doit-on aller plus loin dans l’intégration européenne ?

Mais les citoyens étant toujours évincé du débat (comme sur la question du "Brexit"), nos dirigeants continuent à éluder cette Question. La solidarité européenne, effritée, ne deviendra qu’un vaste souvenir d’espoir au goût d’échec et de regret laissant derrière elle chaos et misère. L’Union Européenne a déjà un genou à terre, pliant sous le poids de l’égoïsme des dirigeants européens, endossant la responsabilité de bouc-émissaire des partis populistes, supportant les mensonges des uns et les trahisons des autres. Nous devons engager le débat et apporter une réponse pour sauver l’Union Européenne du naufrage, car c’est la dernière bouée à notre disposition.

Cartoon :
"Nous devons renégocier nos relations avec l'UE" Sur le panneau : "Quitter l'UE"
Dessin de Paresh Nath, The New York Times, New York.

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