Idées Réseaux sociaux et attentats

Pourquoi on pleure plus Bruxelles qu’Ankara

Dès que la nouvelles des attentats de Bruxelles du 22 mars s'est répandue, les réseaux sociaux ont véhiculé la solidarité et la compassion des Européens pour les victimes. Un sentiment sélectif, ont aussitôt reproché certains internautes, citant en exemple les récents attentats en Turquie.

Publié le 23 mars 2016 à 22:19

Sur les réseaux sociaux, le dessin de Plantu (détourné ici par Chemin de Fer) a été un des plus partagés. Très rapidement, des messages de soutien ému ont fleuri sur Facebook. Est arrivée aussi une autre réaction : celle reprochant aux internautes leur tristesse ou indignation sélective, suivant que les attentats aient eu lieu à Bruxelles ou Istanbul. Cela est logique, les internautes européens se sentent plus proches des Belges que des Turcs.

"Vous pleurez pour les Belges mais n'avez rien dit pour les Turcs qui ont subi quatre attentats depuis octobre 2015". Voilà ce qu'on pouvait lire sur les réseaux sociaux. Cette remarque acerbe n'est pas dénuée de bon sens. Les terroristes de Daesh attaquent autant l'Afrique ou la Turquie que l'Europe. Tout ce qui ne leur est pas inféodé revient à être leur ennemi. Cependant l'émotion n'est pas de même niveau entre les attentats dans ces pays et ceux ayant eu lieu à Paris, Bruxelles ou Copenhague.

Une première lecture pourrait amener à penser que les Européens sont plus sensibles aux victimes "blanches" des attentats. Cette théorie séduira ceux faisant de la question raciale et communautaire le cœur du débat politique. Cependant, il n'en est rien. Sur les terrasses dévastées de Paris en novembre 2015, la jeunesse visée était autant noire que beure ou blanche. Les terroristes n'ont pas fait de différence. Sinon, ils auraient visé les quartiers chics de la capitale française, dans l'ouest de la ville. Or ils ont délibérément visé le quartier populaire et festif parisien. C'est ça qui a tellement heurté de par le monde et particulièrement en Europe.

Alors pourquoi avoir eu tant de réactions pour Paris et Bruxelles et tellement moins par exemple pour la ville touristique de Grand-Bassam en Côte d'Ivoire ? Parce que les Européens ont eu l'impression que ce qu'il se passe à Paris et à Bruxelles, c'est comme si cela se passait chez eux. Ceci est humain, même si nous devrions tous réagir de la même manière à une victime de terrorisme, quelque soit son pays, dans un monde idéal.

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Nous pouvons tirer trois enseignements de cette émotion. Tout d'abord, les Européens ont bien senti que le fait de viser une station de métro dans le "quartier européen de Bruxelles était symbolique. Les terroristes s'en prennent à ce que représente l'Union européenne, dans ses valeurs communes à vocation universelle.

Deuxième enseignement, les Turcs ne sont pas perçus comme des Européens par beaucoup d'habitants en Europe. On peut le regretter, mais le fait est que les dernières évolutions autoritaristes en Turquie ont contribué à créer un décalage avec les Européens, au moins tout autant que la peur de l'Islam grandissant malheureusement sur notre continent. Les dernières négociations sur les réfugiés avec le chantage exercé par le premier ministre turc n'ont rien fait non plus pour rapprocher les peuples des deux côtés de la mer Egée.

Enfin, l'âme européenne est plus à l'émotion qu'à l'action. Tout le monde s'était ému de la photographie du petit Aylan, mort en Méditerranée. Pourtant rien n'a réellement bougé depuis. Pire, les mouvements populistes d'extrême-droite donnent le tempo politique sur notre continent. De même avec les attentats de Paris et de Bruxelles. Tout les dirigeants nationaux appellent à l'union des Européens, mais quand on leur propose de créer une agence européenne de renseignements, ils répondent que c'est une question de "souveraineté nationale". L'hypocrisie est terrible.

Cependant, nous pouvons faire un constat optimiste : l'espace public européen existe. Les Belges n'ont pas réagi seuls après les attentats. Les réactions sont venues de l'Europe entière. Les terroristes vont-ils réussir à faire l'Europe plus vite que les dirigeants nationaux ?

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