Idées L'avenir de l'UE

L’Europe doit changer, et il n’y a que deux voies

François Hollande a annoncé que des propositions sur le futur de l’UE et notamment de la zone euro seront faites après le référendum britannique. On espère que cela sera le cas quel que soit le résultat du vote, car il semble évident que la construction européenne n’a jamais été aussi près de la rupture, de la dilution d’un idéal vieux de 70 ans. Et il apparaît que le seul moyen de la sauver est d’en renforcer l’intégration entre les Etats membres.

Publié le 8 juin 2016 à 08:32

L’Europe n’a le choix qu’entre deux voies : la rupture ou la fédéralisation. Cela doit vous paraître bien manichéen. Pourtant, le raisonnement de “il faut plus d’Europe” que les progressistes annoncent sans avoir rien à proposer ou le raisonnement “un peu moins d’Europe mais quand même encore un petit peu” d’une gauche ou d’une droite conservatrices n’ont aucun sens. Il n’est pas possible de réformer a minima l’Europe, en relevant ou abaissant le principe de subsidiarité.

L’absence d’autres possibilités

Institutionnellement, il apparaît que l'on ne peut plus revenir en arrière sous peine de déséquilibrer l'équilibre (peu stable) établi par les traités. Dans ce cas, par un effet domino, la solution du “moins d’Europe” rejoindra le chemin de la rupture. Si on fait “plus d’Europe”, les problèmes de démocratie resteront inchangés, l’Europe gardera son aspect technocratique et uniquement économique, engendrant la victoire des nationalismes et donc une autre rupture (bien pire et bien plus violente celle-ci).

On peut avoir l’impression que ce point de vue est radical voire clivant, une sorte de chantage avec “l’Europe fédérale ou rien”. Ce n’est pas mon avis, il reste encore du temps. La rupture pourrait aujourd’hui être immédiate, la fédéralisation ne se fera pas en un jour. Ceux qui veulent la précipiter se trompent aussi. Je parle ici d’un projet à long terme, où tout le monde pourra avoir connaissance des enjeux, de l’histoire et des raisons d’un tel projet. Néanmoins, pour moi, la différence ultime, celle qui finira toujours par apparaître, sera “l’opposition” entre fédéralisme et rupture.

Il faut un nouveau traité pour l’Europe, et particulièrement pour la zone euro. Car la voie de la rupture ne peut être la bonne. La mort de l’Europe signifierait un choc politico-financier désastreux pour le monde entier, un choc inévitable, malheureux et si régressif en termes social et économique que l’on ne peut en imaginer les conséquences à long terme.

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Les eurosceptiques pointent parfois les vrais problèmes de l’Europe : manques de transparence et de démocratie, l’approbation d’une politique économique “unique” sans concertation populaire. Cette opacité est insupportable pour tous les citoyens européens. Les dirigeants ne faisant rien pour aider et les représentants européens ayant parfois une inexistence médiatique, à la fois justifiée (un manque criant de charisme) et injustifiée (qui, sérieusement, connait Donald Tusk ?)ne trouvent pas de réponses à ces critiques, agrémentant le mécontentement général.

Nous ne voyons plus que dans l’Europe un monstre sans tête et sans légitimité, à la fois imposant et faible, alliant puissance économique et nihilisme politique.
Tout cela parce que l'on a détourné l’Europe de son objectif initial, à en vouloir faire une machine économique.

Pourtant les solutions divergent. Tout d’abord, la fin de l’Europe n’a pas de sens, aux sens philosophique, économique, social, culturel et politique, la fin de la construction européenne résulterait d’un échec criant de la démocratie et d’un retour à une gêne, telle une mauvaise graine se propageant, celle du nationalisme populiste et extrémiste. L’Europe l’a déjà connu, cela a mené à deux guerres mondiales. Les eurosceptiques en veulent-ils ? Je ne suis pas sûr qu’ils en aient conscience. En tout cas il faut tout faire pour l’empêcher.

La solution fédérale, victime de préjugés

Les racines de la construction européenne ne doivent pas être oubliées : guerres, meurtres mais aussi l'humanisme, la renaissance et l’ensemble de la culture partagée par les pays d’Europe. Il n’y pas que la guerre qui est à l’origine de la construction européenne, il y a aussi des actes de civilisations qui découlent de multiples événements créant une certaine unité, unité théorisée dès le XVII siècle. Alors non, l’Europe n’est pas qu’une construction de technocrates.

La fédéralisation ne doit pas être un choix par défaut, et ce n’est pas comme tel que je l’envisage. Le problème de la fédéralisation est qu’elle fait penser à des épisodes de l’Histoire où certains ont prôné la formation d’une Europe unie, mais une Europe homogénéisée. Ils ont dû le faire par la conquête, non par le compromis, car les valeurs qu'ils promouvaient n'étaient pas celles que promeut aujourd'hui l'Union Européenne. Ils ont eu recours à la violence, d’où un rejet, légitime, de la solution “homo-génique”. Dès l’Empire Romain, en passant par Napoléon, et les régimes totalitaires et fascistes, ces “empires” n’ont, au bout du compte (voire complètement pour les derniers), qu’apporté désastre et destruction.

Pourtant la formation de cette Europe homogénéisée est bien plus probable si on défait l’Europe. Les crises politique et économique que subiront les États seront tellement fortes que le ressentiment contre le voisin, coupable parfait d’une faiblesse inévitable dans un monde mondialisé, deviendra inaltérable, provoquant à terme conflits et malheurs. On voit souvent la fédéralisation comme l’objectif d’une technocratie qui se fait sans le peuple. On a fini par ne plus en parler, mais la fédéralisation n’est pas “une absurdité” ou “un vertige” :

Fédéraliser, ce n’est pas perdre sa souveraineté, c’est la gagner en la partageant.

Fédéraliser, ce n’est pas perdre sa fierté, c’est l’émergence d’un sentiment européen novateur et source de progrès sans supprimer l’État-nation ou la culture nationale, ce sont des attributs indélébiles, une fédéralisation des États-membres n'aurait pas pour objectif de les supprimer. Fédéraliser, ce n’est pas perdre son indépendance, c’est faire apparaître plus de démocratie en contrôlant les dirigeants, le tout dans un État de droit où un peuple est protégé par une constitution. Fédéraliser, ce n’est pas niveler la protection sociale par le bas. C’est l’harmoniser au plus haut, en faisant converger des protections “de base”.

L'épouvantail des “États-Unis” d’Europe n’en est pas un. Tout d’abord parce que le modèle des États-Unis n’est pas le seul existant. La fédération d’États-nations, dont on parle peu, proche du “modèle” d’Hegel, serait sûrement plus adaptée à l’UE. Dans le respect de vieux États souverains aux passés glorieux. Ensuite parce qu’une fédéralisation n’induit pas un transfert total de souveraineté des États-membres vers l'UE. On ne pourra pas appliquer le modèle américain, tout simplement parce que les circonstances sont différentes. Cela n'empêche pas de réinventer un modèle (en reprenant, par exemple, l'ouvrage de Gaëtane Ricard-Nihoul, auteure de Pour une fédération européenne d’États-nations - La vision de Jacques Delors revisitée.)

Le passage au modèle fédéral, une nécessité

Aujourd’hui, l’Europe ne peut plus rester comme telle. Nous faisons face à un semi-modèle à la fois fédéral et confédéral, mélangeant bonnes intentions et bâtons dans les roues des institutions européennes. Les politiques européennes ne sont construites qu’à moitié (et pourtant, elles restent souvent plus efficaces que les politiques nationales), cela suppose donc de passer une étape d’intégration supplémentaire pour les achever et donc les rendre efficientes.

L'espace Schengen est un progrès, il est indispensable à nos sociétés, nos économies et parachève la liberté de circulation en Europe. Un Schengen sans politique migratoire commune n’est pas complet. La coopération anti-terroriste est pragmatique et il est normal d'échanger des informations mais sans échanges d’information et un transfert de compétence à Europol, c'est peu utile. La monnaie commune, c’est le fondement de l’intégration européenne et c’est nécessaire, sans politique budgétaire commune ça ne peut pas marcher, et la convergence des économies sera alors impossible. Une Europe de l’énergie est une volonté novatrice, mais sans budget européen important, c’est irréalisable. Prôner la démocratie dans le monde, c’est culturel, c’est l’Europe, encore faudrait-il que nous élisions les (vrais) dirigeants européens.

Seule une fédéralisation peut permettre de passer ces étapes et de les associer. C’est un raisonnement logique. Même les eurosceptiques en conviendront. On peut tout détruire. Ou alors on peut avancer. Et je n’ai pas cité d ‘autres projets, comme l’Europe sociale, l’Europe de la défense, l’Europe diplomatique, qui sont des objectifs qui seront pleinement accomplis à l’occasion d’un processus démocratique amenant doucement à la fédéralisation.

Il ne faut pas s’étonner que le bateau tangue quand sa construction est faussée. Les architectes du système européen ont oublié d’intégrer tous les matelots dans la construction. Ils ne l’ont construit qu’à moitié rendant le bateau lent et fragile. Ils ne le contrôlent plus. Le capitaine n’en est pas vraiment pas un, de quoi se faire détester par l’équipage. Face à la tempête à laquelle il fait face il coule, et c’est inévitable.

Enfin, tous les États-membres ne seraient pas tenus d’y participer. Si un travail de campagne clair et long est fait en faveur de la fédéralisation, en informant les citoyens, et en respectant les arguments des opposants et de leur propre campagne, le choix d’un peuple, par référendum, est souverain. Une Europe à deux vitesses pourrait être créée en aval de cette fédéralisation, intégrant les pays les moins approbateurs d’une union politique et ceux ne respectant pas les critères de convergence pour bénéficier de la monnaie unique. Le problème ici est de faire en sorte que ce référendum sorte des intérêts nationaux, il faut qu’il soit mobilisateur, sinon il sera faussé. C’est pourquoi son envergure doit être européenne.

Nous n’agissons pas ou presque, nous ne faisons rien pour aller de l’avant en Europe, nous sommes victimes d’un immobilisme permanent, d’un blocage intellectuel. Les populismes et nationalismes s’installent pourtant, annonçant destruction et jours heureux, mettant en avant les clichés les plus sombres, servant des discours anxiogènes à la pelle.

Malgré cet acharnement, le projet européen ne perd pas de sa superbe, il lui manque juste un vrai destin politique, la fédéralisation. L’Europe, qu’au fond nous voulons tous, est l’Europe démocratique, où nous élisons, dans une circonscription unique, une tête de liste qui nous représentera, qui ne sera plus un pion.

Insatisfaits et incrédules, certains habillent l’Europe d’un voile noir, la recouvrant de leur scepticisme, en lui creusant déjà une tombe. Ils ont pourtant oublié ce qu’avait apporté l’Europe, la paix de la blanche colombe. Et ce que pourrait apporter un futur plus intégré : une fédération d’États-nations européens.

Dessin de Tjeerd Royaards

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