Idées Après le référendum au Royaume-Uni

Les tenants du Brexit ont perdu le contrôle de la situation

Avec leur réthorique xénophobe et leur absence de pragmatisme, les chefs de la campagne en faveur du Brexit ont réveillé des forces qui sont hors de contrôle.

Publié le 30 juin 2016 à 18:24

Voilà maintenant près d’une semaine que le Royaume-Uni a voté sa sortie de l’Union européenne. Et depuis ce moment, les scènes se déroulant à Westminster ont oscillé entre la tragédie et la farce, alors que les têtes tombent, que les Remainers se retournent les uns contre les autres et que les Leavers reviennent honteusement sur leurs promesses d’argent supplémentaire pour la NHS, d’intensification des échanges commerciaux et de restrictions à l’immigration. Il est de plus en plus évident que l’électorat a été la victime de ce que Brian Reade, journaliste du Daily Mirror, a appeléla plus grande escroquerie de toute l’histoire des scrutins britanniques” : elle a été orchestrée par des opportunistes et des idéologues qui n’ont élaboré aucun plan d’avenir viable.

Une crise économique se profile à l’horizon, et les journaux se sont empressés de publier des histoires d’électeurs qui regrettent d’avoir voté Leave maintenant que tout est joué. La gauche libérale s’est fait une joie de relayer l’histoire d’un ancien rédacteur en chef du Sun qui a exprimé ses remords quelques jours seulement après avoir poussé ses lecteurs à voter Leave. Le père d’un de mes amis, bien que fier d’avoir décidé de voter Leave, demande la citoyenneté irlandaise.

Ceux qui étaient pour le maintien du Royaume-Uni dans l’UE peuvent trouver un peu de réconfort dans les remords des Leavers, alors que la situation économique du Royaume-Uni va de mal en pis. Mais il est probable que des millions de personnes continueront de penser que ces dures épreuves en valaient la peine si il y existe une chance pour que l’immigration baisse. C’est précisémment ce noyau dur d’électeurs en colère qui est terrifiant. Boris Johnson a attisé le sentiment d’hostilité envers les immigrés sans aucun scrupule et a promis aux lecteurs du Sun que l’immigration serait au plus bas s’ils votaient Leave.

Pourtant, en lisant le récent manifeste du Brexit qu’a publié Johnson dans sa tribune hebdomadaire pour le Telegraph, on voit que ses priorités sont tout autres. Il veut assurer à “nos voisins, nos frères et nos sœurs qui ont fait ce qu’ils croyaient passionnément être juste” qu’ils pourront conserver leur liberté de circulation ainsi que leur accès au marché unique de l’UE.

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Comme dans une bonne partie de ce qu’écrit Johnson, on peut aisément remplacer le “nos” par “mes”, sans que cela n’altère la compréhension. Ses voisins vivent dans un quartier aisé d’Islington, l’un des bastions du Remain, alors que ses frères et sœurs font partie de l’élite des hommes politiques et des journalistes et qu’ils ont mené campagne contre le Brexit.

Quand il évoque sa promesse d’établir une sélection des migrants basée sur un système de points, laquelle est vaguement mentionnée en fin de l’article, ce qui transparaît, c’est le manque d’enthousiasme d’un homme qui sait très bien que l’UE n’approuvera jamais :

Oui, le contrôle démocratique de la politique d’immigration sera de nouveau du ressort du gouvernement, qui pourra mettre en place un système de points équilibré et humain de façon à répondre aux besoins du marché et de l’industrie.

Même s’il s’est souvent laissé aller à des commentaires xénophobes dans la presse, Boris Johnson ne semble pas vouloir s’engager pleinement pour ce qui a été l’un des piliers de sa campagne. Son cynisme réside dans le fait de d’avoir d’abord considérer les électeurs inquiétés par l’immigration comme une force à mobiliser, pour ensuite les ignorer complètement. C’est comme ça que Boris Johnson s’est construit. Il a affirmé à tout bout de champ que 3000 ou 4000 extrémistes islamistes s’apprêtaient à s’infiltrer au Royaume-Uni : il les a courageusement insultés avant de déclarer : “Je n’ai pas peur des représailles djihadistes”.

Si on tient compte du fait qu’il a lui-même inventé cette menace, son courage n’est plus si impressionnant. En tant que l’une des figures de proue de la campagne de dénigrement menée par le Parti conservateur contre Sadiq Khan, le candidat travailliste à la mairie de Londres, Boris Johnson s’est servi de sa tribune dans le Telegraph pour laisser entendre qu’étant issu de l’immigration, Khan était peu digne de confiance :

L’Islam et le Parti travailliste sont tous les deux en proie à des luttes, et dans les deux cas, Khan, quelles que soient ses vraies opinions, plaît aux extrémistes. Je ne veux pas qu’il dirige notre capitale.

Johnson est maître dans l’art du langage politique codé. De cette façon, il peut récuser les accusations selon lesquelles il attiserait le sentiment de haine envers les immigrants, tout comme il a scrupuleusement évité de participer aux mêmes évènements que Nigel Farage, le leader ouvertement xénophobe du parti Ukip. Toutefois, il a aussi pu profiter de l’élan final qu’a donné à sa campagne la recrudescence du sentiment d’hostilité envers les immigrants.

Le problème, c’est que Johnson a mis en marche une machine qu’il ne sera pas en mesure de contrôler, puisque la peur de l’immigration semble fonctionner comme une logique mythologique qui rejetterait toute réponse pragmatique du politique. Et l’une des nombreuses erreurs de Boris Johnson est d’avoir déclaré qu’il avait l’intention d’aborder les négociations avec l’UE, en particulier celles qui concerneront l’immigration, de façon pragmatique. En même temps, il a participé à la réapparition d’une rhétorique xénophobe qui insinue que les immigrants sont des fardeaux par définition.

Si l’on s’en tient à cette logique, le taux d’immigration n’atteindra jamais un niveau suffisamment bas, et la seule présence d’étrangers sur le sol britannique constitue un affront. Aucun homme politique de parti traditionnel ne peut gagner ce jeu. En Hongrie, Viktor Orbán, qui ne correspond pas vraiment à l’idée qu’on pourrait se faire d’un modéré, subit aujourd’hui la pression grandissante du Jobbik, parti d’extrême droite ultranationaliste, et de sa rhétorique dangereuse, après avoir fait du contrôle de l’immigration l’un des fers de lance de sa campagne, dans un pays où à peine 2 % des résidents sont nés à l’étranger.

De la même façon, au Royaume-Uni, les Ukippers menés par Farage attendent en coulisses pour demander une “limitation” plus stricte encore de l’immigration, pendant que la presse à scandale continuera d’inventer ou d’exagérer des histoires. Au lendemain du vote pour la sortie de l’UE, The Sunday People a affiché en une le message “500 000 migrants se dirigent vers le Royaume-Uni”.

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