Idées Crise de la gauche européenne

La social-démocratie victime de son époque

Les partis sociaux-démocrates sont en perte de vitesse. A l’origine de cette tendance, les conséquences de la crise économique et l’émergence de nouveaux acteurs politiques qui leur disputent leur rôle traditionnel.

Publié le 11 octobre 2016 à 08:15

C’est un moment difficile pour le centre-gauche en Europe. Au Royaume-Uni, en proie à une crise de leadership, le Parti travailliste gère difficilement les conséquences du vote pour le Brexit. Jeremy Corbyn, son chef, a été réélu lors du récent congrès du parti. Ce dernier a été marqué par la guerre interne qui a éclaté après la victoire du “Leave”, les adversaires de M. Corbyn lui reprochant d’avoir été inexistant face à l’irruption des partis populistes comme le UKIP, qui a soutiré de nombreuses voix au sein d’une classe ouvrière apeurée.
En Espagne, la crise de gouvernance qui traverse le pays depuis maintenant neuf mois, avec la perspective de troisièmes et nouvelles élections législatives si un accord entre les partis ne devait pas être conclu, s’est accompagnée d’une crise, voire d’une guerre ouverte au sein du Parti socialiste (PSOE), entre l’ancien chef Pedro Sánchez et ses adversaires. Ce dernier s’est toujours opposé à ce que son parti s’abstienne, en facilitant la formation d’un gouvernement minoritaire mené par le Premier ministre sortant, le conservateur Mariano Rajoy, et soutenait la formation d’une coalition alternative avec Podemos et d’autres partis. Une partie du PSOE estimait pour sa part que la priorité, c’était la formation d’un gouvernement. Elle a fini par s’imposer, en contraignant Sánchez à la démission.

En France, François Hollande assiste impuissant à l’érosion continue de sa popularité auprès des électeurs, tandis que ses collaborateurs quittent l’un après l’autre un navire privé de cap. Dernier en date, Emmanuel Macron, son ministre des Finances. En même temps, l’ex-président Nicolas Sarkozy ressurgit avec force, et promet aux électeurs sécurité et identité, face à la fragilité perçue en France après les attentats terroristes des derniers mois et la crise migratoire. Ailleurs, la situation des gauches n’est pas meilleure : en Italie, le Premier ministre Matteo Renzi risque de voir son étoile s’effacer s’il n’emporte pas le référendum constitutionnel du 4 décembre.

La social-démocratie européenne est décapitée. Les raisons, qui s’ajoutent aux difficultés internes, sont imputables à une tendance qui s’est manifestée ces dernières années et qui estreliée à la crise politique des partis qui ont occupé le centre politique en Europe depuis la Seconde guerre mondiale. La crise économique y est pour beaucoup, à laquelle se sont greffées les crises de l’euro, de l’UE et de l’idée européenne. L’émergence des partis alternatifs, à gauche et à droite, populistes, xénophobes et dans tous les cas, radicalement opposés à l’establishment, a porté un dur coup aux partis sociaux-démocrates, qui restent solidement ancrés dans la dichotomie centre-gauche/centre-droite caractéristique de l’Europe depuis la fin de la guerre.

L’Union européenne et les décennies de paix qu’elle a assurées à l’Europe sont le fruit de l’accord tacite entre les forces conservatrices et les sociaux-démocrates. C’est donc avec ironie que l’on constate que la social-démocratie est “morte victime de son succès”, une fois que le “pacte pour le bien-être” a été accepté par la plupart des pays d’Europe occidentale. Avec la nouveauté, pour les partis sociaux-démocrates, de se voir obligés à présent de se battre pour conquérir leurs électeurs traditionnels de la classe moyenne et ouvrière, attirés par les mouvements émergents à droite et à gauche. A ce sujet, l’essayiste Paul Mason écrit dans le Guardian que

Le meilleur du journalisme européen dans votre boîte mail chaque jeudi

la social-démocratie paraît privée des ressources intellectuelles pour se rénover. Et c’est là le produit d’une incohérence encore plus profonde : […] l’historien américano-hongrois Karl Polanyi estimait que le capitalisme était composé d’un “double mouvement” : la poussée vers le marché et une force contraire qui s’y oppose. Les réguler est dans l’intérêt de la société. Le beauté de l’idée de Polany était qu’elle permettait au centre-gauche dans les années 1980 de trouver une justification à son existence qui survive à la disparition de la classe ouvrière. A la place de “protéger la classe ouvrière”, l’objectif de la social-démocratie était devenu de “réglementer le capitalisme dans son propre intérêt”. La racine de tous les problèmes de la social-démocratie depuis 2008, c’est que la manière dont cet objectif peut être atteint n’est plus très claire. […] A présent que l’élan primaire du néo-libéralisme est brisé, la social-démocratie devrait se concentrer sur l’invention de quelque chose de différent. Mais elle n’en a pas les ressources nécessaires. . La majorité des élites socialistes et des bureaucraties européennes sont habituées à gérer un capitalisme qui ne fonctionne pas et semblent incapables d’imaginer un autre avenir.
L’urgence à présent pour les partis traditionnels, c’est de recomposer la carte politique et d’occuper à nouveau un rôle prépondérant en son sein. Pour les partis conservateurs, c’est plus simple, car ils sont davantage dans l’air du temps. Le repli identitaire et national et la mise en place de politiques de continuité avec le passé sont rassurantes pour de nombreux électeurs. Pour les partis sociaux-démocrates, le paysage n’est pas si clair que cela. Face aux partis qui émergent avec force à sa gauche, en particulier au sud de l’Europe (Podemos, Syriza,…), il faut repenser le compromis avec le capitalisme “soft” avec lequel ils ont cohabité (et ils se sont accordés) depuis l’après-guerre, à une époque où le néolibéralisme et le capitalisme financier sont décomplexés par rapport au passé.

Mais la violence de la crise a frappé au sein des électeurs, qui ne veulent plus de ce produit électoral. Alors, les Sociaux-démocrates doivent choisir, et concourir : renouveler le compromis historique ou diviser la gauche. D’où la crise permanente des derniers temps.

Dessin de Malagón

Cet article vous a intéressé ? Nous en sommes très heureux ! Il est en accès libre, car nous pensons qu’une information libre et indépendante est essentielle pour la démocratie. Mais ce droit n’est pas garanti pour toujours et l’indépendance a un coût. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à publier une information indépendante et multilingue à destination de tous les Européens. Découvrez nos offres d’abonnement et leurs avantages exclusifs, et devenez membre dès à présent de notre communauté !

Média, entreprise ou organisation: découvrez notre offre de services éditoriaux sur-mesure et de traduction multilingue.

Soutenez le journalisme européen indépendant

La démocratie européenne a besoin de médias indépendants. Rejoignez notre communauté !

sur le même sujet