Une bonne élection

Publié le 28 février 2013 à 11:14

Le résultat des élections italiennes a sidéré un peu tout le monde au-delà des Alpes. Mais les dirigeants européens devraient plutôt pousser un soupir de soulagement : à quelques décimales près, Angela Merkel et compagnie ont failli se retrouver nez à nez avec Silvio Berlusconi au prochain sommet européen. La résurrection du Cavaliere et l’effondrement retentissant de Mario Monti, le candidat de Bruxelles et de Berlin, alimentent dans la presse européenne les commentaires ironiques sur la “bénédiction” d’Angela, qui finit régulièrement par se transformer en arrêt de mort pour celui qui la reçoit.
On s’attendrirait presque en songeant au chef du Parti démocrate (PD), Pier Luigi Bersani qui, quelques jours avant le vote, se prenait le bec avec Monti pour savoir lequel des deux la chancelière préférerait voir à la tête du gouvernement, sans même considérer un instant l’éventualité que la majorité des Italiens, à qui il revenait d’en décider, ne voudraient y voir ni l’un ni l’autre.

Slavoj Žižek a récemment souligné ce dégoût croissant envers la démocratie, que certains considèrent désormais ouvertement comme un danger pour la stabilité économique. Beaucoup se sont imaginés que les pressions et les intimidations suffiraient à convaincre les électeurs de ne pas faire de vagues et de voter comme il se doit, arrivant même, comme en Grèce, à parler de recommencer une élection qui n’aurait pas donné les résultats espérés. Mais en Italie, on ne revotera pas, du moins pour le moment.
La raison est simple : si on votait à nouveau, le bénéficiaire serait, selon toute probabilité, le Mouvement 5 étoiles (M5S) de Beppe Grillo, l’homme qui, plus encore que Berlusconi, empêche les dirigeants européens de dormir. Pour montrer qu’il n’est pas moins borné que sa rivale Angela Merkel, le candidat social-démocrate à la chancellerie allemande, Peer Steinbrück s’est empressé d’exprimer son sentiment d’horreur en déclarant que l’Italie venait de se choisir “deux clowns”.

Et pourtant, à bien y regarder, ces élections sont pleines de bonnes nouvelles. Comme l’a remarqué récemment le directeur de La Stampa Mario Calabresi, elles ont apporté le remède à ce qui était universellement considéré comme l’un des grands maux d’un vieux pays en panne : aujourd’hui, l’Italie a un des parlements les plus jeunes d’Europe, avec une belle proportion de femmes et de nouveaux visages, et beaucoup de ceux qui l’ont occupé pendant ces vingt dernières années en sont désormais exclus. D’une manière ou d’une autre, l’énorme pression d’un renouvellement réfréné depuis des temps immémoriaux a enfin ouvert une brèche.

Le mérite en revient pour une grande part au M5S, qui, en dépit de la personnalité controversée et des intonations souvent inadmissibles de son leader, s’est transformé en un portillon qui a permis à des dizaines de jeunes outsiders d’accéder à la piste en circuit fermé de la politique institutionnelle. Ces nouveaux venus méritent le respect : ce ne sont pas des automates télécommandés par Grillo et, une fois entrés au Parlement, ils auront droit au vote secret.

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Désavouant l’engagement de leur leader à ne passer d’accord avec personne, de très nombreux électeurs du M5S ont déjà exprimé leur volonté de soutenir un possible gouvernement du PD. De toutes les erreurs commises par Bersani, faire appel à eux plutôt que d’accepter l’offre d’une grande coalition avec Berlusconi, n’est certainement pas la pire.

Un gouvernement minoritaire dirigé par le PD avec l’appui du M5S serait quelque chose d’extrêmement nouveau et intéressant dans l’Europe des coalitions blindées, de la gouvernabilité comme valeur absolue, et du consensus bruxellois. Un laboratoire dans lequel les décisions ne répondraient pas à l’impératif d’afficher face aux marchés une sacro-sainte stabilité mais naîtraient d’une dialectique permanente qui devrait être la base de la démocratie. C’est surtout la seule manière de composer entre les exigences souvent contradictoires d’une société devenue dramatiquement fragmentaire, comme la nôtre, et plus généralement, des sociétés européennes.

Ce ne sera pas une promenade de santé. Il y a dans le programme du M5S des points qui seront certainement favorablement accueillis par l’Europe, tels que la réduction des coûts de la politique, et d’autres potentiellement explosifs, comme, pour n’en citer qu’un, le référendum sur la monnaie unique. Mais après quatre ans de crise, le conflit qui couve dans l’Union européenne et dans ses États membres ne peut plus être considéré comme un simple débat de salon.

Comme l’a écrit Adriana Cerretelli dans le Sole 24 Ore, “Angela Merkel a tout fait pour écarter de sa route vers les élections de septembre le danger de nouveaux sursauts d’instabilité européenne.” Mais son échec est désormais évident et les montagnes de poussière accumulée sous le tapis font bientôt faire basculer la table. Le moment est venu d’ouvrir une nouvelle période de confrontation, qui traite ouvertement des problèmes et les mette sur la place publique, au lieu de les laisser gérer par le système intergouvernemental habituel des discussions de cénacle, toutes portes closes.
Berlin et ses alliés n’ont plus de parti en Italie, ni en Espagne où c’est tout le système politique qui est désormais suspendu à un fil, au risque de se retrouver bientôt sans interlocuteur. La dialectique de l’austérité et les prédictions contrastées quant à l’avenir de l’Union européenne, devront désormais être débattue hors du cénacle, au vu et au su de tous. Les élections européennes de 2014 tombent à pic : une campagne électorale à l’échelle de tout un continent, comme l’a proposé récemment Andre Wilkens - dans laquelle les idées et les prises de positions pourront mesurer leur poids réel et régler ouvertement leurs comptes : c’est là peut-être la dernière carte qui permettra d’éviter que la façade du consensus européen s’écroule, entraînant avec elle tout l’édifice.

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