Tous responsables

Publié le 22 mars 2013 à 13:55

C’est bien connu, l’histoire est un éternel recommencement. La question est de savoir si les hommes, et en particulier ceux qui nous dirigent, savent en tirer les leçons. Le feuilleton chypriote, que les Européens suivaient d’un oeil distrait depuis l’été 2012, s’est accéleré ces derniers jours et ses rebondissements ont fait craindre un scénario à la grecque. C’est-à-dire que la crise financière d’un pays qui ne représente que 0,2% du PIB de la zone euro puisse destabiliser l’ensemble de cette zone et faire plonger l’UE dans une nouvelle crise systémique.
Le danger, cette fois, n’est pas venu de l’instabilité de marchés spéculateurs mais de la rupture d’un tabou. En taxant les comptes en banque inférieurs à 100 000 euros, le seuil en-dessous duquel les dépôts sont en principe garantis, l’Eurogroupe, le gouvernement chypriote et le Fonds monétaire international ont pris le risque d’un “bank run” (un retrait massif de la part des détenteurs de comptes), et d’un rejet encore plus fort de leur gestion de la crise par des populations criant à l’injustice.
Ce double risque économique et politique en valait-il la peine ? Les compte-rendus de la réunion de l’Eugroupe qui s’est tenue à huis-clos dans la nuit du 15 au 16 mars semblent démontrer que les ministres des Finances ont dû démêler une situation dont aucune issue n’était satisfaisante.
Eviter la faillite d’un système bancaire qui porte un pays sans modèle économique alternatif, sauver les banques chypriotes sans faire fuir les capitaux russes, financer localement un plan d’aide que ni le FMI ni l’Allemagne ne voulaient voir excéder 10 milliards d’euros, trouver rapidement cet argent : cela s’appelle la quadrature du cercle.
Cet état des lieux est la facture à payer pour des années de complaisance et de négligence. D’une part, Chypre a adopté l’euro en 2008 alors que ses partenaires savaient pertinemment que son économie était dopée par de l’argent à la provenance souvent douteuse. D’autre part, cela fait dix mois que le gouvernement chypriote a demandé de l’aide, pour un montant estimé à l’époque à 3-4 milliards d’euros. Le plan conclu à l’aube du 16 mars est de 10 milliards, auxquels s’ajoute la fameuse taxe sur les dépôts censée rapporter 5,8 milliards.
L’Europe est donc aujourd’hui rattrapée par son manque de volonté de traiter la question des paradis fiscaux (qui concerne aussi le Luxembourg) et par sa pusillanimité face à des dirigeants chypriotes (le communiste Dimitri Christofias et depuis un mois le conservateur Nicos Anastasiades) qui ont joué la montre pour ne pas faire évoluer leur système bancaire et conserver la profitable proximité avec Moscou.
Car après la Chine en Grèce, c’est au tour de la Russie de pouvoir se placer en recours, avec en toile de fond l’exploitation du gaz au large de l’île, et comme levier la question des relations UE-Russie. Alors même qu’en utilisant Chypre comme plaque tournante pour ses capitaux off-shore et porte d’entrée dans la zone euro, elle est en grande partie à l’origine du problème.
Beau résultat, pour une crise mineure et après trois années de secousses dont on croyait qu’elles avaient permis d’acquérir une certaine sagesse.

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