Révolution conservatrice en Pologne
Une manifestation pro-choice à Varsovie, au printemps 2016.

“Toute goutte d’eau supplémentaire peut faire déborder le vase”

Publié le 19 avril 2016 à 22:15
Une manifestation pro-choice à Varsovie, au printemps 2016.

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Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Polityka, l’historien et philosophe des religions Zbigniew Mikołejko considère que la situation politique actuelle en Pologne est “dangeureuse” car “toute goutte d’eau supplémentaire peut faire déborder le vase”.

Le chercheur explique que les deux camps politiques principaux (le PiS conservateur de Jarosław Kaczyński et l’opposition libérale) ne sont pas les seuls acteurs intervenant dans ce conflit. Ainsi, dit-il, "l’Eglise [catholique], qui ne prend pas position officiellement, s’est excessivement liée pour ses intérêts au PiS, en devenant de fait partie dans ce différend, bien qu’elle sache que c’est le Tribunal constitutionnel et l’opposition qui ont raison”. En outre, “Jarosław Kaczyński s’est associé avec des hooligans et autres extrémistes parce que cette alliance lui profite à l’heure actuelle. Néanmoins, il pourrait bien se retrouver l’otage de ces radicaux qui ne connaissent pas de limites.” Le gouvernement s’est allié “à une foule anachronique convaincue qu’elle a tous les droits” dont l’impudence “est censée être un symbole de leur force. […] Ils enfreignent les règles car il n’y a personne pour le leur interdire. Ils ont pris le pouvoir de manière démocratique mais pour violer les principes du pouvoir du peuple.

De l'autre côté de la barricade, en dehors des partis PO et Moderne (libéraux), se trouve notamment le Comité de défense de la démocratie (KOD). Mais l’historien explique que

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le KOD n’est lié qu’à l’intelligentsia et la classe moyenne qui n’avaient encore jamais manifesté. […] Les ouvriers ne rejoindront ce mouvement que si les mines ou les usines sont affectées par la crise. Il convient de souligner que le PiS ne s’est pas encore attaqué à la politique sociale et aux conditions de vie des travailleurs. Bien au contraire, il a introduit des allocations familiales de 125 euros par enfant.

Zbigniew Mikołejko parle donc de “deux civilisations. La frontière entre les deux a toujours existé, mais elle était invisible. A présent, elle se transforme en gouffre.
Le chercheur considère que l’échec de la réforme du système éducatif est en partie responsable de la situation actuelle :

Les libéraux [qui l’ont mise en place] sont donc également à blâmer. A quoi ça rime de donner autant de diplômes de l’enseignement supérieur, alors que les Polonais appartiennent à la société qui lit le moins en Europe ? […] On peut avoir un Bac + 5 sans avoir jamais lu un texte de plus de trois pages.” Mikołejko estime même que “le système éducatif à l’époque communiste était plus performant. Les gens avaient alors conscience que l’ascension sociale dépendait du niveau de formation.

Par ailleurs, la passivité d’une grande partie de la population s’explique par le fait qu’on “enseigne le conformisme aux Polonais. Malgré les apparences, nous ne sommes pas un peuple d’insurgés, nous avons un besoin d’adaptation, de survie et de prudence lié à nos fortes traditions paysannes.

L’historien et philosophe considèrent que le pouvoir en place s’en sert pour “construire un système qui repose sur un bolchévisme déguisé : vous pouvez manifester votre mécontentement dans la rue mais nous allons vous discréditer dans les médias. C’est la dialectique stalinienne de l’ennemi de classe.
L’universitaire espère que ce conflit “ne mènera pas à bain de sang. Il peut se terminer par l’instauration d’un régime autoritaire camouflé qui garde des apparences d’ordre démocratique et peut s’installer durablement dans le paysage politique polonais.” Avant de conclure que la Pologne actuelle fonctionne comme la Russie tsariste dans laquelle, comme l’écrivait le marquis de Custine “le tsar n’est qu’en apparence tout-puissant. En réalité, il n’est que l’esclave principal du système. Kaczyński est l’esclave du système qu’il a créé.

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