Nucléaire au Royaume-Uni

“Le moyen le moins cher” de réduire les émissions de CO2

Alors que l’Allemagne et la France cherchent à réduire leur dépendance à l’énergie nucléaire, le Royaume-Uni a décidé de relancer la construction de deux réacteurs pour la première fois depuis 20 ans. Un choix risqué, dont la pertinence économique peut se comprendre, estime la presse européenne.

Publié le 22 octobre 2013 à 14:28

Cet accord controversé avec les sociétés françaises EDF et Areva, et leurs partenaires publiques chinoises CGN et CNNC, pour construire deux nouveaux réacteurs atomiques à la centrale de Hinkley Point, dans le Somerset (sud-ouest de l’Angleterre) créera quelque 25 000 emplois mais a été conclu à un prix très élevé : celui d’un prix de l’électricité assuré aux opérateurs qui est le double par rapport à celui du marché ; des inquiétudes quant à l’importance de l’investissement chinois dans le projet (entre 30 et 40% du coût global) et par dessus-tout, les risques pour l’environnement inhérents au nucléaire.

"Nous payons peut-être le prix fort pour une nouvelle centrale nucléaire mais au moins, elle nous fournira une certitude qui nous manque depuis si longtemps", écrit The Daily Telegraph déplorant le fait que "pour attirer les entreprises publiques chinoise et française, nous avons dû leur faire des ponts d’or". Le quotidien ajoute :

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Comment une nation jadis leader mondial dans la technologie nucléaire, qui a joui de ressources abondantes en charbon, en pétrole et en gaz, peut devenir dépendante de la France et de la Chine pour garder ses lumières allumées ? Nous nous trouvons dans cette position parce que notre politique énergétique, depuis des décennies, est une pagaille sans nom. Même quand nos réserves d’électricité ont commencé à baisser - une disparition accélérée par diverses directives européennes et autres objectifs britanniques - le gouvernement, de façon scandaleuse, a fait peu de provisions pour les remplacer.

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Un éditorial du Financial Times montre comment le pays a été obligé de poursuivre sur la voix du nucléaire parce que la loi sur le changement climatique de 2008 a fixé des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre trop optimistes. Le quotidien écrit que

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si nous avons besoin de nouvelles centrales nucléaires pour garder nos lumières allumées, c’est parce que le Royaume-Uni a exclu d’autres options pour pouvoir tenir des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre parmi les plus contraignants au monde. Si nos dirigeants pensent que ces engagements peuvent être défendus même après qu’on en ait découvert le prix, ils doivent exposer leurs arguments. Sinon, ils doivent faire marche arrière. Le fait que ce serait gênant ne doit pas constituer une excuse pour contraindre la Grande-Bretagne à des coûts qu’elle ne peut pas se permettre. [...] Le pays doit maintenant se demander s’il peut financer une course à la réduction des émissions de gaz à effet de serre alors que d’autres traînent des pieds.

Pour le Times, l’accord se résume à une équation simple : "La Grande-Bretagne a besoin d’énergie nucléaire. L’accord est tardif [...] et bienvenu." Dans son éditorial, le quotidien estime cependant que le gouvernement britannique aurait dû mieux négocier, compte tenu de la situation financière d’EDF.

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Le gouvernement aurait dû obtenir de meilleures conditions de la part d’EDF. La Grande-Bretagne a besoin de renouveler sa capacité nucléaire mais l’accord est également crucial pour l’entreprise qui fait face à un dépassement de coûts pour son usine en Normandie [à Flamanville]. La Grande-Bretagne est obligée par la loi de 2008 sur le changement climatique d’atteindre certains objectifs en terme de réduction des gaz à effet de serre. Malgré le coût considérable, le nucléaire est le moyen le moins cher d’y parvenir. Le prix des [énergies] renouvelables comme l’éolien en mer est nettement plus élevé.

En France, Mediapart note qu’il s’agit de "la première fois depuis la catastrophe de Fukushima, au printemps 2011, qu’un Etat européen commande une nouvelle installation nucléaire." Le site d’information prévient que

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l’accord entre Londres et EDF doit encore franchir les fourches Caudines de la Commission européenne, qui doit juger s’il s’agit ou non d’une aide d’Etat. Le gouvernement britannique devrait déposer sa demande auprès de Bruxelles dès cette semaine.

De son côté, La Croix estime que la décision de Londres est "spectaculaire [même si elle correspond à un] choix assez consensuel au Royaume-Uni mais [qui] en stupéfiera beaucoup en France et en Europe". Le quotidien souligne par ailleurs que "le nucléaire est devenu un axe structurant de coopération" entre Londres et Paris, "tout comme les questions de défense et les grands dossiers diplomatiques". Il y voit également un choix politique de la part du gouvernement britannique :

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La Grande-Bretagne est l’ardent promoteur d’un marché européen sans barrières. Ayant largement ouvert ses portes au champion français de l’électricité, elle pourra se permettre de plaider encore plus vigoureusement la cause du libre-échange.

En Allemagne, où la catastrophe de Fukushima a accéléré la sortie du nucléaire, Die Welt comprend la décision des Britanniques car la nouvelle centrale "fera partie de la nouvelle génération, produisant de l’énergie de manière sûre en utilisant moins d’uranium que les précédentes". De plus, explique le quotidien,

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les Britanniques ont moins d’options [que les Allemands]. Presque la moitié de la production d’énergie de la Grande-Bretagne se base sur le gaz naturel, mais les sources de gaz britanniques en Mer du Nord s’épuisent rapidement. Un retour au charbon est exclu à cause des grandes ambitions pour protéger le climat. Et un virage énergétique qui tourne à la kermesse aux subventions selon le modèle allemand n’est plus un exemple à copier pour les Britanniques. [...] La construction des nouvelles centrales pourrait [même] être rentable.

Die Tageszeitung est à l’inverse très critique :

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La décision des Britanniques n’est pas une victoire pour l’économie atomique mais l’aveu définitif de son échec, parce que l’argument selon lequel le nucléaire ne coûte pas cher est une bonne fois pour toutes balayé par ce deal : non seulement l’Etat britannique se porte garant pour une large partie de l’investissement affecté au nouveau réacteur de Hinkley Point, mais il garantit également un prix fixe de presque 11 centimes [d’euro] par kWh aux opérateurs qui fourniront l’électricité, plus que ce que les consommateurs allemands payent aujourd’hui pour l’énergie provenant de grandes installations solaires ou des parcs éoliens.

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